Forces de l'ordre comparées à la police de Vichy : "Un parallèle absurde" estime l'historien Laurent Joly
Le 19 juillet, le maire de Colombes Patrick Chaimovitch a comparé certains actes des forces de l'ordre actuelles à ceux de la police de Vichy. Interrogé sur franceinfo lundi, l'historien Laurent Joly évoque un parallèle "indécent" et "absurde".
"Il est dans son rôle mais il peut se passer de parallèle aussi absurde", estime lundi 27 juillet sur franceinfo Laurent Joly, historien spécialisé dans l’étude de l’antisémitisme, alors que Patrick Chaimovitch, le maire EELV de Colombes (Hauts-de-Seine), a comparé les forces de l'ordre d'aujourd'hui à celles de Vichy, le 19 juillet, lors d'une commémoration de la rafle du Vel d'Hiv.
franceinfo : Peut-on faire ce lien, entre la police d'aujourd'hui et la police de Vichy ?
Laurent Joly : Le parallèle est un petit peu indécent. On est dans un cadre de commémoration, donc déjà il faut se garder de faire de la politique dans ce genre de contexte. Ca n'a pas de sens : le contexte, la pression politique, la situation de dictature, d'occupation, et puis le fait qu'on sentait bien, même chez les policiers qui exécutaient ces opérations, qu'il y avait quelque chose de pas normal qui se passait. Il s'agissait d'arrêter des gens pour les exterminer. C'est pour le moins problématique.
De quels crimes s'est rendue coupable la police de Vichy ?
Là aussi, on est dans une simplification, y compris dans ceux qui ont contesté les propos de Patrick Chaimovitch. Cette police était aux ordres du pouvoir politique en place, de l'occupant, et on lui a demandé d'aller arrêter des gens chez eux. Donc les policiers qui ont eu à faire ça ont dû, pour l'essentiel, exécuter les ordres. Mais ce n'était pas une police collaborationniste, c'était une police ordinaire, et il y avait toute la gamme des comportements.
Même dans un contexte aussi terrible que celui de l'Occupation, certains ont prévenu, d'autres sont revenus en disant "je reviens dans deux heures". C'est tellement énorme d'avoir arrêté 13 000 personnes en deux jours qu'on oublie que deux tiers des adultes visés ont échappé à la Rafle, en grande partie parce que c'était des agents ordinaires, et que ces agents de l'Etat n'étaient pas des antisémites militants. Ils ont obéi aux ordres, mais ils l'ont fait sans un grand zèle.
Sur Twitter, le maire de Colombes dit faire le lien entre la Rafle du Vel d'Hiv, les génocides d'avant et après le nazisme, et d'autre part, les migrants pourchassés partout en Europe car ils sont différents. Pourquoi est-ce anachronique de faire ce lien ?
C'est anachronique car on n'est pas dans le même contexte : nous sommes dans un Etat de droit, l'Europe n'est pas l'Europe nazie.
L'Europe nazie, c'était l'absence totale de démocratie, là on a quand même des contre-pouvoirs. D'ailleurs lui peut dire ce qu'il dit, il peut essayer d'alerter les gens.
Laurent Jolyà franceinfo
On n'est pas du tout dans la même situation, et c'est absurde de devoir rappeler qu'il n'y a pas de politique génocidaire, de camps d'extermination, de centres de mise à mort, de camps de concentration... Il faut vraiment faire très attention en faisant ce genre de parallèles, même si c'est très bien de dire qu'il faut bien se conduire avec les migrants. Il est dans son rôle mais il peut se passer de parallèle aussi absurde.
Pourquoi convoque-t-on la Seconde guerre mondiale et ses horreurs, car ce n'est pas la première fois ?
Parce que ça fait son effet, parce qu'on se dit qu'on va pouvoir frapper fort, toucher l'émotion et surtout stigmatiser des politiques qu'on dénonce. Ce qui est regrettable, c'est que c'est une tendance qu'on retrouve de plus en plus dans la sphère politique. C'est assez courant dans le milieu associatif, dans les conversations courantes des gens.
On a eu aussi le Premier ministre qui a récemment fait le parallèle entre l'anonymat sur Internet et Vichy, ce qui est doublement absurde car Vichy préconisait la transparence, et que ceux qui se cachaient étaient des résistants. Ce sont des parallèles absurdes, car Vichy a laissé une trace durable dans notre mémoire collective.
Quand on pense au mal en politique, on pense à la collaboration et à Vichy. Donc instantanément, par réflexe, on se met à comparer, mais ça n'a souvent pas le moindre sens.
Laurent Jolyà franceinfo
Est-ce que ça correspond à un courant idéologique, ou à une forme d'échec de la pensée ?
Depuis les années 1970-80, ça revient fréquemment : il y a des passes d'armes à l'Assemblée nationale dans les années 1980 entre Jacques Toubon et des parlementaires de gauche, où on se renvoie Vichy à la figure quand on parle de lois sur la nationalité. C'est assez classique, mais récemment, on a l'impression que c'est de plus en plus déconnecté avec la réalité de la période de l'Occupation.
Aujourd'hui, on a un polémiste, Eric Zemmour, qui ne cesse de parler de Vichy de manière complètement anachronique, en recyclant des vieilles idées de la période de la guerre. On s'autorise avec ce passé-là un usage politique, on ne faisait pas ça il y a quelques années, quand il y avait des gens comme Simone Veil qui étaient vivants, on ne se permettait pas. Le fait que les grands témoins ont disparu, que c'est tellement loin, on a plus tendance à raconter n'importe quoi d'un point de vue historique. Quand on décortique les propos de Chaimovitch, du Premier ministre, ça n'a vraiment aucun sens. C'est sans doute inévitable, car le recul du temps fabrique aussi l'ignorance. Mais le pouvoir stigmatisant de Vichy reste toujours aussi fort.
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