Cet article date de plus de cinq ans.

Guerre d'Indochine : ces soldats africains engagés dans les troupes françaises

Il y a tout juste 65 ans, le 7 mai 1954, au moment de la reddition de Dien Bien Phu, qui sonne le glas de la colonisation en Indochine, plusieurs dizaines de milliers d’Algériens, de Marocains et de Sénégalais se trouvaient dans les rangs de l’armée française. Récit.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Prisonniers du corps expéditionnaire français à Dien Bien Phu, escortés par des soldats vietnamiens. Photo prise en mai 1954. (AFP / VNA FILES)

Avant la bataille proprement dite, "les troupes françaises – souvent composées de soldats algériens, sénégalais ou marocains – avaient résisté victorieusement aux vagues d’assaut vietnamiennes", observe Libération. La guerre étant mal acceptée par l'opinion française, l'armée avait dû recruter des hommes venus d’autres régions de l'"Empire" colonial, surtout d’Afrique.

"Les soldats africains coûtent moins chers que les Français. Leurs soldes sont moins élevées, leurs primes et leurs avantages réduits, et leurs pensions dérisoires. Leur recrutement représente donc un double avantage : renforcer facilement les rangs de l’armée sans alourdir les dépenses de l’Etat", constate Radio France Internationale. Attirés par une solde importante à leurs yeux, les hommes venus du continent africain sont nombreux à s’engager.

En Indochine, le choc est brutal. "Nous étions colonisés. La France faisait de nous ce qu’elle voulait. On a combattu, on a tué", a raconté laconiquement à Jeune Afrique (JA) en 2006 un ancien combattant marocain prénommé Hatimi.

Nombre de Sénégalais "sont affectés dans les blockhaus installés en pleine rizière qui constituent la ligne de fortification imaginée (…) pour protéger le delta du Tonkin" (nord du Vietnam), explique RFI. Ils sont souvent cités et décorés pour leur bravoure au combat, tout en s’adaptant bien à l’Indochine. "Il y a une chose qui m’avait surpris : c’était la facilité qu’avaient les tirailleurs à apprendre la langue du pays. Ils observaient avec finesse la civilisation vietnamienne (…). Beaucoup parlaient vietnamien et avaient des liaisons avec les femmes vietnamiennes. Au point d’avoir des enfants", rapporte un officier cité par le site de la radio française.

Un soldat d'origine guinéenne, combattant en Indochine dans les rangs de l'armée française, pose avec une ombrelle le 20 juillet 1952.  (AFP - INTERCONTINENTALE)

Quelques centaines de ralliements

De son côté, le Vietminh tente de rallier à sa cause ces hommes issus des colonies africaines de la France. A la demande de son dirigeant Ho Chi Minh, le parti communiste marocain, contacté par l’intermédiaire du PCF, envoie sur place "un membre de son comité central, Mohamed Ben Aomar Labrach", plus connu sous le nom de Maarouf, raconte un article du Monde Diplomatique cité par le site algerieinfos-saoudi.com. Il "occupera en permanence une fonction importante, multipliant les appels à la désertion de ses frères membres du corps expéditionnaire ou travaillant à l’éducation politique marxiste des prisonniers ou des ralliés d’Afrique du Nord".

Cette information est confirmée par les survivants marocains cités par JA. "Maarouf était membre de la hiérarchie vietnamienne et de son appareil de guerre, il avait beaucoup d’influence", raconte ainsi l'un d’eux. Pour autant, sa propagande a apparemment "eu ses limites – le faible nombre de ralliés suffit à le démontrer"… De fait, seuls quelques centaines d’hommes rejoindront les unités vietnamiennes.

Survient la reddition de l’armée française et la fin de la première guerre d’Indochine. Près de 27 000 Africains (près de 5800 Sud-Sahéliens et de 21 000 Maghrébins) auraient été tués ou auraient disparu au cours d’un conflit qui a duré de 1946 à 1954. Conflit qui aurait entraîné en tout la mort d'un peu moins de 600 000 hommes (dont 500 000 côté Vietminh), selon des estimations officielles françaises. Sans parler des victimes civiles.

Les survivants sont faits prisonniers comme les autres par les vainqueurs vietnamiens avant une très dure et meurtrière marche de six semaines vers les camps où ils vont être parqués. Ils sont répartis par nationalité. Epuisés, ils sont jugés plus réceptifs à la propagande. "Les commissaires politiques leur rabâchent le dogme marxiste pour en faire des instruments de la machine communiste. Pour le Vietminh, les soldats africains sont des disciples privilégiés, des libérateurs potentiels de l'Afrique colonisée. Mais les tirailleurs (souvent sénégalais, NDLR) sont les plus réticents à cet endoctrinement. Malgré leur diversité, ils forment une masse soudée et fidèle à la France" (cité par RFI).

Militaires vietnamiens faits prisonniers par des tirailleurs marocains lors de la bataille de Phu-Ly (appelée aussi bataille du Day), dans le golfe du Tonkin, en mai-juin 1951.  (JENTILE / AFP)


Dien Bien Phu, "Valmy des peuples colonisés"

De leur côté, la centaine de Marocains ralliés au Vietminh sont "regroupés dans des camps-villages où ils seront pris en charge – et en main –", explique Jeune Afrique. Ils seront mieux traités que les autres combattants du corps expéditionnaire français grâce à l’influence du dirigeant du PC marocain Maarouf. A tel point qu’ils vont rester une vingtaine d’années au Vietnam…

"Mariés à des Vietnamiennes avec lesquelles ils eurent bientôt des enfants, ils devinrent paysans dans une ferme d’Etat (…) et se construisirent, en cette improbable communauté maroco-vietnamienne, une vie inattendue : les enfants étaient scolarisés, les hommes et les femmes travaillaient, étaient payés, leur santé était suivie par des médecins", rapporte JA qui raconte l’imbroglio de leur retour dans leur pays.

Dans le même temps, Dien Bien Phu a sonné le glas de la colonisation française. Son retentissement dans le monde est considérable. "Cette bataille reste un symbole. Elle est le Valmy des peuples colonisés. C’est l’affirmation de l’homme asiatique et africain face à l’homme de l’Europe", écrit ainsi Ferhat Abbas, futur président de l’Assemblée nationale constituante de l’Algérie indépendante, cité par Le Monde Diplomatique. Moins de six mois plus tard, le 1er novembre 1954, a lieu la "Toussaint rouge", début de l’insurrection en Algérie contre la colonisation française.

Ouali Djellali, soldat du 27èe bataillon des fantassins algériens, en train d'écouter la radio dans la jungle de Na Phao (Laos), le 5 mai 1954, pendant la bataille de Dien Bien Phu. (AFP / INTERCONTINENTALE)


Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.