"Je pourrais passer la nuit à t’écrire..." : des lettres d’amour, datant de deux siècles et demi, ouvertes pour la première fois
En 1758, la jeune Marie Dubosc écrit depuis le Havre à son mari Louis Chambrelan, premier lieutenant de la frégate française "La Galatée". "Je pourrais passer la nuit à t’écrire… Je suis ta femme, fidèle pour toujours. Bonne nuit, mon cher ami. Il est minuit. Je crois qu’il est temps pour moi de me reposer", envoie-t-elle. En pleine guerre de Sept ans, son époux emprisonné par les Anglais ne recevra jamais ces mots d'amour. Et Marie mourra l'année suivante.
Renaud Morieux, professeur d'histoire européenne à l'université de Cambridge, a appris l'existence de ces lettres par hasard, lors de recherches en 2007 dans les archives nationales britanniques. Il reçoit, après en avoir fait la demande, un carton avec trois petits paquets de lettres retenues par un ruban blanc, 104 lettres en tout, qui n'ont jamais été ouvertes en plus de deux siècles et demi. Ces missives n'avaient pas d'enveloppes mais étaient repliées sur elles-mêmes, en six fois et cachetées. Rien que d'y penser, Renaud Morieux en tremble encore. En bon historien, il sent tout de suite la portée exceptionnelle et la rareté de ces documents. "Quand j’ai ouvert ces lettres, mon rythme cardiaque s’est accéléré, se souvient-il. Le fait d’être le premier lecteur d’un document, ça ne m’était jamais arrivé".
"Il y a quelque chose de presque transgressif, de voyeur, dans le fait d’ouvrir une lettre alors qu’on n’est pas le destinataire. Et c’était dramatique aussi."
Renaud Morieux, professeur d'histoire européenneà franceinfo
Ces lettres, "écrites par des femmes à leurs époux, par des sœurs à leurs frères, des mères à leurs fils," ne sont, de fait, jamais parvenues à leurs destinataires.
Contrairement à ce qu'il avait l'habitude de voir, ce ne sont pas des lettres écrites par des aristocrates, des bourgeois ou des marchands mais par des gens ordinaires, raconte l’historien. 59% d’entre elles sont écrites par des femmes et témoignent de leurs conditions de vie de l'époque. Ce sont souvent des femmes de marins, qui tiennent seules le foyer en l'absence des hommes. "La perception des loyers ou le paiement des traites, la mort d’un membre de la famille, la naissance d’un enfant sont contés avec un décalage temporel qui est vraiment une des caractéristiques de ces lettres et nourrissent l’anxiété. L’absence, le silence…. C’est assez différent du monde dans lequel on vit", explique le chercheur.
Déjà des demandes de descendants curieux
Pourquoi ces lettres ne sont jamais arrivées jusqu'à leurs destinataires ? Renaud Morieux formule plusieurs hypothèses : pendant la guerre de Sept ans, la marine française affronte la Royal Navy anglaise. Cette frégate française, "La Galatée", qui avait appareillé à Pauillac avec quelque 181 membres d'équipage en mars 1758, avait pour mission de percer le blocus anglais et de faire route vers l'actuel Québec pour ravitailler les troupes françaises assiégées par les Anglais. Mais "La Galatée" sera interceptée dans l'Atlantique et l'équipage français capturé et emmené à Portsmouth, dans le sud de l'Angleterre. Ces lettres ne contenant pas d'informations stratégiques aux yeux de l'amirauté britannique, elles seront mises dans un coin pendant 250 ans.
Renaud Morieux prépare un livre sur ces courriers et mesure l'intérêt que suscitent ses travaux. "J’aimerais une exposition pour mettre ces lettres à disposition du grand public, d’autant qu’il y a énormément de gens qui s’intéressent à la généalogie, livre Renaud Morieux. J’ai déjà été contacté par des descendants qui me disent : 'Je savais que j’avais un arrière-arrière-arrière-grand-père qui s’est marié plus tard avec une Anglaise. Est-ce que je pourrais avoir copie de ses lettres ?'", explique-t-il, réjoui. Mais ce sera aux archives nationales britanniques de décider du devenir de ces lettres d'amour, car elles en sont les seules propriétaires.
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