Cet article date de plus de sept ans.
Journées nationales de l’archéologie : la Grande guerre vue par l'archéologie
L’archéologie ne travaille pas seulement sur l’Antiquité ou le Moyen-Age. Elle investit aussi des terrains comme ceux de la Première guerre mondiale. L’occasion de fournir un éclairage complémentaire à celui qu’apportent les historiens. Rencontre avec un spécialiste, Gilles Prilaux, archéologue à l’Inrap.
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Pourquoi faire des fouilles sur la Première guerre mondiale, une période qui est quasiment contemporaine de la nôtre ?
De fait, nous disposons d’une documentation très importante sur cette période : photos, films, témoignages… Mais quand on est directement en contact avec des vestiges de la Grande guerre, on tombe parfois sur des choses qui vont à l’encontre de ce qu’ont pu enseigner les livres d’histoire.
Par exemple ?
On découvre notamment des éléments sur les pratiques funéraires. Une donnée importante dans la mesure où à l'issue du conflit, quelque 700.000 corps n’ont pas été récupérés sur le front Ouest .
Regardez la découverte, en 2001 à Arras, d’une grande fosse de 20 m de long contenant les restes de 20 hommes âgés de 20 à 40 ans. Découverte faite par des archéologues de l’Inrap et de la ville d’Arras. Originaires de Grimsby (Angleterre), ils avaient été enterrés sur le dos les uns à côté des autres de façon à ce qu’ils soient coude-à-coude. Une manière de montrer les liens étroits qui les unissaient. On les a appelés les «Grimsby Chums», les «copains de Grimsby». Nous avons reçu une volée de bois de vert de la part de la presse britannique quand celle-ci en a parlé. Car ces liens de fraternité allaient à l’encontre des procédures officielles d’enterrement en vigueur en Grande-Bretagne. Il paraissait inconcevable que des soldats aient pu défier les autorités !
Dans ce contexte, l’archéologie de terrain, froide et factuelle, apporte des éléments différents. C’est un complément au travail des historiens.
Vous parlez des pratiques funéraires. Mais qu’apporte l’archéologie sur la vie quotidienne des soldats ?
Là encore, des petits éclairages. Quand nous fouillons, nous travaillons sur le principe de «Montre-moi ce que tu mets dans tes poubelles, je te dirai qui tu es». Les archéologues sont ainsi notamment amenés à s’intéresser aux latrines et aux dépôts d’ordures laissés par les combattants. Cela apporte un éclairage nouveau sur leurs pratiques quotidiennes. On peut ainsi connaître le type de vaisselle qu’ils utilisaient. Et apprendre qu’ils en volaient parfois chez les civils ! On peut savoir ce qu’ils mangeaient, les combustibles utilisés pour la cuisson des aliments. Autant de détails qu’on ne trouve pas dans les récits des combattants.
Personnellement, vous vous êtes intéressé aux graffitis des souterrains de Naours…
Au départ, nous y avons fait des fouilles pour préciser la datation des lieux. En éclairant les parois des caves, pourtant visitées par 50.000 à 60.000 touristes par an, j’ai observé des graffitis écrits au crayon à bois. Le phénomène est important : on trouve quelque 3000 noms de soldats, dont ceux de 1800 Australiens qui sont passés visiter ces caves. Ce qui n’a rien de surprenant dans la mesure où Naours se situait dans le secteur australien, à une vingtaine de kilomètres du front.
Lors de leur passage, ces soldats ont pu connaître quelques minutes de paix dans ce monde souterrain. C’est très émouvant quand on sait que la plupart d’entre eux sont morts quelques jours plus tard. Ces graffitis sont leurs derniers témoignages écrits.
Plus généralement, qu’apporte leur étude ?
Des informations sur le repos des combattants. Aujourd’hui, on les imagine évoluant en permanence dans la boue des tranchées. Mais en fait, ils ne passaient que 15 à 20 % de leur temps en première ligne. Pour le reste, ils étaient installés en deuxième ligne ou transférés à l’arrière. Là, ils se refaisaient une santé, s’épouillaient, se soignaient.
Il fallait aussi les occuper pour éviter qu’ils pensent trop. On organisait alors des spectacles de théâtre, des combats de boxe, des visites comme celle des souterrains de Naours.
Venus du bout du monde, ils y ont laissé de nombreuses informations en inscrivant des graffitis sur les murs: leurs noms, leurs régiments, la date de leur passage. Grâce aux archives militaires australiennes, j’ai ainsi pu remonter dans des histoires d’hommes incroyables. Et entrer en contact avec des descendants.
On dépasse là le simple cadre des fouilles…
Il y a effectivement une différence entre une fouille sur un site gallo-romain, qui est d’abord une préoccupation technique, et la découverte du corps d’un soldat de la Première guerre. Lequel peut être identifié grâce à sa médaille et à son matricule. Cela change les perspectives. En 2001, nous avons ainsi retrouvé les restes d’un soldat écossais Archibald McMillan. Il a ensuite été réinhumé en 2002 en présence de son fils, alors âgé de 87 ans et qui n’en avait que deux au moment du décès de son père. 200 militaires britanniques avaient fait le déplacement pour l’occasion !
De tels moments donnent le frisson. On passe à travers le miroir : d’archéologue, on devient citoyen du monde !
Les archéologues s’intéressent-ils à des périodes plus récentes que la Première guerre mondiale ?
Il y a eu des fouilles dans des camps de la mort datant de la période 1939-1945 ou dans certains charniers au Rwanda. Reste à savoir si cela ressort encore de l’archéologie. Cela pose question quand, par exemple, des vêtements sont encore conservés sur les corps. Pour moi, on est alors plus dans une approche de médecin légiste. Mais les archéologues peuvent apporter un soutien méthodologique pour éviter d’endommager le site où sont enterrées des personnes disparues. Et pour éviter d’abîmer leurs restes.
Dans le cadre des JNA 2017, Gilles Prilaux tiendra une conférence à Souchez au «Lens'14-18 Centre d'Histoire Guerre et Paix» (Pas-de-Calais) sur l’archéologie de la Première guerre mondiale. Il dressera un état des lieux des traces laissés par les combats, à travers le résultat de fouilles menées dans le nord et l'est de la France.
De fait, nous disposons d’une documentation très importante sur cette période : photos, films, témoignages… Mais quand on est directement en contact avec des vestiges de la Grande guerre, on tombe parfois sur des choses qui vont à l’encontre de ce qu’ont pu enseigner les livres d’histoire.
Par exemple ?
On découvre notamment des éléments sur les pratiques funéraires. Une donnée importante dans la mesure où à l'issue du conflit, quelque 700.000 corps n’ont pas été récupérés sur le front Ouest .
Regardez la découverte, en 2001 à Arras, d’une grande fosse de 20 m de long contenant les restes de 20 hommes âgés de 20 à 40 ans. Découverte faite par des archéologues de l’Inrap et de la ville d’Arras. Originaires de Grimsby (Angleterre), ils avaient été enterrés sur le dos les uns à côté des autres de façon à ce qu’ils soient coude-à-coude. Une manière de montrer les liens étroits qui les unissaient. On les a appelés les «Grimsby Chums», les «copains de Grimsby». Nous avons reçu une volée de bois de vert de la part de la presse britannique quand celle-ci en a parlé. Car ces liens de fraternité allaient à l’encontre des procédures officielles d’enterrement en vigueur en Grande-Bretagne. Il paraissait inconcevable que des soldats aient pu défier les autorités !
Dans ce contexte, l’archéologie de terrain, froide et factuelle, apporte des éléments différents. C’est un complément au travail des historiens.
Vous parlez des pratiques funéraires. Mais qu’apporte l’archéologie sur la vie quotidienne des soldats ?
Là encore, des petits éclairages. Quand nous fouillons, nous travaillons sur le principe de «Montre-moi ce que tu mets dans tes poubelles, je te dirai qui tu es». Les archéologues sont ainsi notamment amenés à s’intéresser aux latrines et aux dépôts d’ordures laissés par les combattants. Cela apporte un éclairage nouveau sur leurs pratiques quotidiennes. On peut ainsi connaître le type de vaisselle qu’ils utilisaient. Et apprendre qu’ils en volaient parfois chez les civils ! On peut savoir ce qu’ils mangeaient, les combustibles utilisés pour la cuisson des aliments. Autant de détails qu’on ne trouve pas dans les récits des combattants.
Personnellement, vous vous êtes intéressé aux graffitis des souterrains de Naours…
Au départ, nous y avons fait des fouilles pour préciser la datation des lieux. En éclairant les parois des caves, pourtant visitées par 50.000 à 60.000 touristes par an, j’ai observé des graffitis écrits au crayon à bois. Le phénomène est important : on trouve quelque 3000 noms de soldats, dont ceux de 1800 Australiens qui sont passés visiter ces caves. Ce qui n’a rien de surprenant dans la mesure où Naours se situait dans le secteur australien, à une vingtaine de kilomètres du front.
Lors de leur passage, ces soldats ont pu connaître quelques minutes de paix dans ce monde souterrain. C’est très émouvant quand on sait que la plupart d’entre eux sont morts quelques jours plus tard. Ces graffitis sont leurs derniers témoignages écrits.
Plus généralement, qu’apporte leur étude ?
Des informations sur le repos des combattants. Aujourd’hui, on les imagine évoluant en permanence dans la boue des tranchées. Mais en fait, ils ne passaient que 15 à 20 % de leur temps en première ligne. Pour le reste, ils étaient installés en deuxième ligne ou transférés à l’arrière. Là, ils se refaisaient une santé, s’épouillaient, se soignaient.
Il fallait aussi les occuper pour éviter qu’ils pensent trop. On organisait alors des spectacles de théâtre, des combats de boxe, des visites comme celle des souterrains de Naours.
Venus du bout du monde, ils y ont laissé de nombreuses informations en inscrivant des graffitis sur les murs: leurs noms, leurs régiments, la date de leur passage. Grâce aux archives militaires australiennes, j’ai ainsi pu remonter dans des histoires d’hommes incroyables. Et entrer en contact avec des descendants.
On dépasse là le simple cadre des fouilles…
Il y a effectivement une différence entre une fouille sur un site gallo-romain, qui est d’abord une préoccupation technique, et la découverte du corps d’un soldat de la Première guerre. Lequel peut être identifié grâce à sa médaille et à son matricule. Cela change les perspectives. En 2001, nous avons ainsi retrouvé les restes d’un soldat écossais Archibald McMillan. Il a ensuite été réinhumé en 2002 en présence de son fils, alors âgé de 87 ans et qui n’en avait que deux au moment du décès de son père. 200 militaires britanniques avaient fait le déplacement pour l’occasion !
De tels moments donnent le frisson. On passe à travers le miroir : d’archéologue, on devient citoyen du monde !
Les archéologues s’intéressent-ils à des périodes plus récentes que la Première guerre mondiale ?
Il y a eu des fouilles dans des camps de la mort datant de la période 1939-1945 ou dans certains charniers au Rwanda. Reste à savoir si cela ressort encore de l’archéologie. Cela pose question quand, par exemple, des vêtements sont encore conservés sur les corps. Pour moi, on est alors plus dans une approche de médecin légiste. Mais les archéologues peuvent apporter un soutien méthodologique pour éviter d’endommager le site où sont enterrées des personnes disparues. Et pour éviter d’abîmer leurs restes.
Dans le cadre des JNA 2017, Gilles Prilaux tiendra une conférence à Souchez au «Lens'14-18 Centre d'Histoire Guerre et Paix» (Pas-de-Calais) sur l’archéologie de la Première guerre mondiale. Il dressera un état des lieux des traces laissés par les combats, à travers le résultat de fouilles menées dans le nord et l'est de la France.
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