Journées nationales de l’archéologie : quand l’archéologue passe par le laboratoire...
Deux chercheurs du Centre de recherche et de restauration des Musées de France (C2RMF), assis à leurs ordinateurs, sont penchés sur deux bracelets et un torque (collier) en or richement décorés, sortis de terre il y a quelques mois. On a l’impression que ces objets, symbole de richesse et de puissance, étaient encore portés il y a peu… «On a juste procédé à un nettoyage de surface», raconte Dominique Robcis, chef de travaux d'art spécialité métal à la C2RMF, qui est en train de regarder des images en 3D. «Le scan 3D haute résolution a révélé des traces d’usure dûs aux frottements contre la peau du défunt ou contre ses vêtements», ajoute le scientifique.
Ces objets exceptionnels font partie du mobilier découvert dans la tombe d’un prince celte, qui vivait au milieu du Ve siècle avant notre ère. De par son importance, la découverte est comparable à celles de Vix en Côte-d’Or (1953), à une soixantaine de kilomètres de Lavau, et de Hochdorf en Allemagne (1977).
Paré de ses bijoux, le défunt était étendu sur un char à deux roues. Dans sa tombe, on avait également placé un grand chaudron pouvant contenir 200 litres de vin, un pichet (oenochoé) grec pour verser la boisson, une passoire et un gobelet en argent, métal rarissime dans ces contrées à l’époque. Autant d’élements de vaisselle liés à la consommation de vin. «Les princes celtes avaient adopté le mode de vie grec et la pratique du banquet», observe Dominique Garcia, président de l’Inrap.
Etudes en laboratoire
Vu l’importance de cette découverte, le ministère de la Culture a souhaité confier les objets au C2RMF, qui travaille avec les 1220 musées français. «C’est le moyen de ne pas rompre la chaîne entre le site archéologique et le laboratoire où l’on procède à leur étude et à leur restauration. En quelque sorte, on continue la fouille en associant d’autres spécialistes», poursuit Dominique Garcia. «Nous nous efforçons ainsi de mettre toutes les chances de notre côté. Notamment pour découvrir tout ce que l’on n’a pas pu découvrir à Vix», précise Bastien Dubuis, responsable d’opération à Lavau. Les archéologues de l’époque ne disposaient pas des techniques actuelles. Ayant par la suite été restauré, le mobilier de la tombe de Vix ne peut plus faire l’objet d’analyses.Le C2RMF a entrepris les études des objets antiques en utilisant des équipements de pointe. Radiographie, photographie macroscopique, microscopie 3D numérique, scanners 3D permettent d’observer les objets avec une très grande précision. Sans parler d’un accélérateur de particules. Les premières radiographies ont ainsi révélé... l’ornementation de la ceinture du défunt! Laquelle est rehaussée d’un très fin fil d’argent formant une frise continue de motifs celtiques.
«Nous transformons la rouille en or», observe un restaurateur en souriant. De fait, les scientifiques redonnent vie à des éléments métalliques très corrodés qui, dans un autre contexte, seraient inutilisables. Les techniques radiographiques fournissent ainsi les premières informations sur l’aspect et l’état de conservation des objets. «Certaines pièces se révèlent en laboratoire. Comme cette agrafe sur laquelle on a trouvé des restes de vannerie. Elle appartenait peut-être à un casque», raconte Bastien Dubuis.
Grâce aux images des grands éléments en bronze, on a pu étudier les techniques qui ont permis de les fabriquer. Le chaudron, sur lequel on trouve encore des traces de vin rouge, est ainsi un remarquable travail de fonderie. Tandis qu’une ciste (corbeille) révèle la virtuosité de celui qui l’a martelée. «Nous pouvons identifier chaque trace de coup de marteau donné lors de la fabrication», observe, admiratif, un restaurateur en montrant une radiographie.
Dans le même temps, des analyses chimiques, menées notamment à l’aide de l’accélérateur de particules, permettent de déterminer la composition et la provenance des matériaux.
Mélanges
Globalement, les premiers résultats de l’étude entreprise au C2RMF contribuent à préciser le contexte historique, au milieu du Ve siècle avant notre ère. La région était alors dominée par le peuple des Tricasses, nom qui donnera naissance à celui de la ville de Troyes. L’étymologie du mot Tricasse viendrait de «tri», signifiant traverser et «casse», étain. Autrement dit, ce peuple (ou au moins ses chefs!) s’enrichissait peut-être grâce au commerce de l’étain britannique traversant son territoire. «A cette époque, on assiste à la montée en puissance de sociétés celtes avec les premières organisations spatiales, avec un artisanat qui se développe...», souligne Dominique Garcia. Des sociétés en même temps influencées par les cultures méditerranéennes.Les objets de Lavau reflètent une période de transition. Et une culture qui mélange éléments locaux et importations venues du sud. L’oenochoé, qui représente Dyonisos allongé sous une vigne, ne laissant guère d’équivoque sur son utilisation, reflète ainsi cette culture mixte. Son pied, rehaussé d’or, est indubitablement grec. Alors que son anse et un décor en argent révèlent des influences celtiques. Le chaudron et la ciste sont peut-être originaires d’Etrurie. Preuve que les apports méditerranéens sont pluriels, on trouve une représentation du dieu grec Achéloos sur le bord dudit chaudron, .
Quant aux bijoux en or, ils offrent des décors empruntés au monde grec avec formes virant vers l’abstraction, typiques du premier art celtique. «C’est le reflet d’un art naissant: la production d’artisans locaux connaissant les techniques méditerranéennes», observe le directeur de l’Inrap. Un art qui s’étendra par la suite à une partie de l'Europe.
Les manifestations consacrées à Lavau lors des Journées nationales de l’archéologie: suivre le lien
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