Cet article date de plus de deux ans.

L'Autriche expose ses réserves d'art nazi pour mieux se confronter à son passé

Jusqu'au 24 avril 2022 le Wien Museum MUSA expose des oeuvres d'art nazi exhumées de ses réserves. "Vienne se met au pas" ("Auf Linie") - c'est le nom de l'exposition - rassemble sculptures et peintures à la gloire du régime nazi. Une façon pour le pays d'affronter son passé.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des oeuvres à la gloire du IIIe Reich exposées dans un but éducatif au Wien Museum MUSA. (JOE KLAMAR / AFP)

Ne plus cacher ni célébrer: Vienne joue la transparence et expose sans complaisance ses réserves d'art nazi, composées de sculptures néoclassiques et de peintures officielles souvent estampillées d'une croix gammée. Jusqu'en avril, le musée municipal Wien Museum MUSA présente dans deux petites salles cet héritage encombrant d'un passé longtemps nié par l'Autriche.

Un lourd héritage

L'exposition, qui se nomme sobrement Vienne se met au pas, jette une lumière inédite sur la politique artistique dans le pays natal d'Adolf Hitler annexé en 1938 par l'Allemagne nazie. Il y a là des tableaux, des poteries ou des affiches interdits de mise sur le marché. Le musée a décidé de les montrer numérotés sans les déballer tout à fait, comme s'ils prenaient tout juste l'air avant de vite regagner l'entrepôt.

Des oeuvres présentées encore emballées, comme en transit, c'est le parti pris de l'exposition "Vienne se met au pas" au Wien Museum MUSA. (JOE KLAMAR / AFP)

Pas question de les mettre en beauté : ils sont des témoins historiques et ne peuvent plus prétendre au titre d'oeuvre."Pour nous, il était clair qu'il ne s'agissait pas d'une présentation artistique classique", explique Ingrid Holzschuh, l'une des commissaires qui a conçu le projet après quatre ans de recherche. "Il fallait que cela fasse un peu bazar, éviter de conférer une aura à l'ensemble", précise-t-elle.

Combler des lacunes

Alors que toute apologie du IIIe Reich est sévèrement sanctionnée en Autriche, elle estime qu'il est temps d'assumer et de "se confronter à l'Histoire", car "les lacunes à combler sont encore nombreuses". Après le rattachement au Reich de l'Autriche le 12 mars 1938, le régime a pris le contrôle de la politique culturelle pour la mettre "au diapason de sa vision idéologique et raciste".

Les affiches de l'exposition "Vienne se met au pas" sur les colonnes du Wien Museum MUSA. (JOE KLAMAR / AFP)

Les artistes devaient s'enregistrer auprès d'une autorité de tutelle, la "Chambre des beaux-arts du Reich", qui s'assurait d'une production conforme aux canons dictés par Berlin. Rares sont les Autrichiens à savoir qui sont les 3 000 membres de cette association ayant accepté de remplacer les créateurs juifs et d'avant-garde, considérés comme des "dégénérés", pour servir une idéologie meurtrière.

L'art au service de la propagande

La petite paysanne portraiturée avec un réalisme plat par Herta Karasek-Strzygowski ou l'huile sur toile d'un certain Igo Pötsch, immortalisant l'entrée d'Hitler dans Vienne, n'ont pas changé l'histoire de l'art. Il ne s'agissait alors que de répondre aux besoins de la propagande avec zèle et fidélité. Ceux qui refusaient de se plier aux nouvelles règles ont dû fuir ou ont été envoyés en camp de concentration, détaille le catalogue de 300 pages.

L'affiche de l'exposition "Vienne se met au pas" ("Auf Linie") au Wien Museum MUSA jusqu'au 24 avril 2022. (JOE KLAMAR / AFP)

Après 1945, on a archivé à la cave les reliques de ce courant, souvent fruit de commandes. Et l'Autriche s'est présentée comme une victime du nazisme.Ce n'est qu'à partir de la fin des années 1980 qu'un travail de mémoire a été entrepris.

Une remise en question indispensable

Inaugurée en octobre, l'exposition a attiré plus de 4 000 visiteurs au cours du premier mois, signe pour la porte-parole du musée Konstanze Schäfer du "grand intérêt" d'un public mûr pour une remise en question. L'historien Gerhard Baumgartner, directeur du centre de documentation sur la résistance autrichienne (DÖW), veut croire que ces dernières décennies, "l'état d'esprit a changé et qu'un processus de réflexion a été enclenché".

Tout récemment, Vienne a lancé un concours pour "contextualiser" enfin une statue de Karl Lueger, un ancien maire antisémite de la capitale, inspirateur d'Hitler. La ville passe aussi en revue ses noms de rues, dont certaines honorent des personnalités compromises.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.