"Les derniers témoins disparaissent" : le réalisateur de "La Rafle du Vel d'Hiv, les larmes et la honte" pointe l'importance du travail de mémoire
Le documentaire diffusé sur France 3, à l'occasion de la 80e commémoration de cet événement tragique de la Seconde Guerre mondiale, est visible en replay
Les 16 et 17 juillet 1942, dans une France à demi occupée, Vichy accepte de livrer des milliers de Juifs à l'Allemagne nazie. Au total, 13 152 personnes (dont près de 6 000 femmes et plus de 4 000 enfants) sont arrêtées à Paris, embarquées au Vélodrome d'Hiver puis déportées vers les camps de la mort. A grand renfort de témoignages de survivants, d'archives inédites et d'images en 3D, le réalisateur David Korn-Brzoza revient sur la plus grande arrestation massive qui toucha la communauté juive de France lors de la Seconde Guerre mondiale. Son documentaire, La Rafle du Vel d'Hiv, la honte et les larmes, a été diffusé le 11 juillet sur France 3 à 21h15.
Franceinfo : pourquoi ce documentaire est, selon vous, nécessaire aujourd'hui ?
David Korn-Brzoza : Nous commémorons cette année les 80 ans de la rafle du Vel d'Hiv, et c'est surtout important car les derniers témoins disparaissent. On a eu la chance de retrouver huit personnes qui avaient à l'époque entre 8 et 17 ans. Donc ils se souviennent précisément de la rafle, de ce qu'il s'est passé le matin où la police française a tapé à leur porte, de ce moment où ils ont dû suivre, avec leurs parents, les autres personnes qui ont été arrêtées. Certains ont rejoint le Vélodrome d'Hiver ce matin-là, d'autres ont été emmenés dans des centres temporaires d'arrestation. Ce sont les derniers témoins. Recueillir leur parole est capitale. Dans dix ans, ils ne seront plus là. Ils racontent ce que les plus de 13 000 raflés de ces jours de juillet 1942 n'ont jamais pu raconter.
"Les témoins que nous avons eu la chance d'interviewer sont des miraculés. Ils nous racontent comment ils ont pu s'échapper et survivre."
David Korn-Brzoza
Combien de temps avez-vous travaillé sur ce documentaire ?
J'ai travaillé deux ans sur ce film, après avoir hérité d'une matière défrichée par toute une équipe, et plus particulièrement par l'historien Laurent Joly, qui travaille sur cette période de l'Histoire depuis qu'il est universitaire, à savoir depuis plus de quinze ans. J'ai ensuite effectué six mois de recherches, suivis d'une période de six mois d'écriture. J'avais comme acquis ma connaissance des archives existantes par rapport au Paris de cette époque, par rapport aux archives policières également. En plus, Laurent Joly, de son côté, avait connaissance de dossiers et sous-dossiers perdus au fin fond des préfectures, ou de petits dossiers référencés au Mémorial de la Shoah ou dans d'autres lieux de mémoire.
Riche de tout cela, mon travail a été de raconter cette histoire le mieux possible, et d'allier les trouvailles historiques, les documents inédits, la parole des témoins et la grande Histoire. Un défi passionnant. L'enquête et le tournage a nécessité six mois de travail, puis il y a eu six mois de montage et enfin six mois de finitions technique.
Pourquoi avez eu besoin de faire appel à des animations en 3D ?
Il n'y a qu'une seule et unique image de la rafle du Vel d'Hiv, qui a d'ailleurs été censurée par les Allemands, car ils craignaient que les Parisiens se révoltent s'ils étaient au courant de ce coup de filet. Donc il a fallu travailler sur des animations. Car sinon, comment raconter une histoire quand il n'y a pas d'images ? C'était un énorme challenge. Nous avons donc eu recours à des techniques en 3D car, finalement, le Vel d'Hiv, pour beaucoup, reste quelque chose de très flou.
"Je pense que lorsque l'on interroge les gens dans la rue sur la rafle du Vel d'Hiv, ils savent que c'est une rafle de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais le Vel d'Hiv, je ne suis pas certain qu'ils savent ce que c'est."
David Korn-Brzoza
Donc on a voulu montrer précisément où il se trouvait dans Paris, à savoir dans le 15e arrondissement, pas très loin de la tour Eiffel. On comprend ainsi, étape par étape, comment cette rafle s'est déroulée.
Vous montrez dans votre film des archives encore jamais utilisées...
C'est vrai que l'on dévoile des documents sur lesquels Laurent Joly a effectué des recherches, comme, par exemple, des dossiers sur des personnes qui se sont suicidées pendant la rafle et qui n'étaient, jusqu'à présent, jamais sortis. Nous avons aussi récupéré des milliers de fichiers de Juifs qui avaient été établis par la préfecture de police et qui n'avaient jamais été vus. Il y a également plusieurs photos de la "rafle du billet vert", qui est une des premières rafles qui a eu lieu en mai 1941, durant laquelle les Juifs ont été convoqués dans les commissariats. Ces convocations étaient en fait des pièges. Les Juifs qui s'y rendaient étaient arrêtés.
Le Mémorial de la Shoah a hérité, il y a environ deux ans, d'une malette de négatifs retrouvés par des collectionneurs dans une brocante à Rennes. Il y avait une centaine de photos de la "rafle du billet vert" et nous en avons donc utilisé certaines dans le documentaire. Je ne serais d'ailleurs pas étonné qu'on retrouve un jour des négatifs inédits de cette période dans un grenier en France ou en Allemagne. Car finalement, les archives, c'est un puits sans fond.
Que pensez-vous des thèses qui tentent de réhabiliter le maréchal Pétain comme le sauveur des Juifs de France ?
C'est n'importe quoi ! Les Juifs étrangers ont été les premiers à être raflés, et c'était logique car c'était plus facile. Ils parlaient avec un accent, ils avaient moins d'amis qui pouvaient les cacher, moins de réseaux. Les Allemands ont procédé par étapes : arrestation des opposants, arrestation des Juifs étrangers, arrestation des communistes et résistants, puis les Juifs français ont suivi. Rappelons encore que les 4 000 enfants enfermés dans le Vel d'Hiv étaient de nationalité française. Quelques mois avant le Vel d'Hiv, près de 750 Juifs français avaient été arrêtés et déportés. Le régime de Vichy a servi l'occupant. C'est affolant de constater comment certains souhaitent réécrire l'Histoire. C'est tragique.
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