Mai 67, le massacre oublié
Dans son documentaire "Mai 67, ne tirez pas sur les enfants de la République", le réalisateur français Mike Horn s’interroge sur "le silence" autour de la répression sanglante d’une manifestation ouvrière en Guadeloupe, en 1967.
"Ces événements-là, les gens les ont gardés en eux, ils ne les ont pas racontés. Ils ont eu peur. C’était vraiment traumatisant pour eux." Mike Horn, un jeune réalisateur français d’origine guadeloupéenne s’est penché, dans son documentaire "Mai 67, ne tirez pas sur les enfants de la République", sur la répression sanglante de la manifestation ouvrière en Guadeloupe en mai 1967. Il donne la parole aux victimes et témoins du massacre de "Mé 67" pour comprendre le poids du silence et le traumatisme qui entoure cet événement méconnu de l’Histoire de France.
"La police a tiré sur la population. À ce moment-là, il y a eu massacre."
"Mai 1967 arrive avec des mouvements ouvriers et étudiants. C’est le grain de sable qui a fait que tout est parti en vrille." indique Mike Horn. En Guadeloupe, en mai 1967, un millier d'ouvriers du bâtiment manifestent pour obtenir une augmentation de salaire de 2,5%. Mais les négociations syndicales n'aboutissent pas et les manifestations tournent rapidement à l’affrontement avec la police. Elles ont été réprimées dans le sang par les forces de l’ordre et l’armée : "La police a tiré sur la population. À ce moment-là, il y a eu massacre." signale le réalisateur.
Parmi les victimes abattues par les CRS, Jacques Nestor, un leader indépendantiste : "C’est le premier mort de ces événements de mai 67. explique-t-il. C’était un personnage charismatique guadeloupéen qui était très appréciée de la population et très surveillé des services de police." À partir de là, la situation dégénère un peu plus, les forces de l’ordre commencent à tirer à vue : "Les policiers, apparemment, tiraient à balles réelles et les manifestants se défendaient avec des conques de lambi, des coquillages caribéens aux bords tranchants." La ville est alors plongée dans trois jours de terreur.
Dans son documentaire, Mike Horn a retrouvé la trace des victimes et témoins de la tragédie : "Dans mon documentaire, il y a une personne qui est un prof de sport qui allait acheter un maillot de bain pour sa mère. Il se fait tirer dans la jambe alors qu’il est dos aux policiers." Ce dernier, qui a perdu la jambe, témoigne : "J’ai entendu une première détonation, puis une deuxième, j’ai été bloqué net. On m’a tiré de dos, comme un lapin." Autres témoins de cet évènement, la mère et la grand-mère de Mike Horn : "Ce jour-là, mon dieu. Deux camions de gendarmes sont montés et ont commencé à tirer de droite à gauche, partout. (...) Gildas est mort devant la porte." se rappelle avec émotion sa grand-mère.
Cet épisode "renvoyait à une souffrance beaucoup plus ancienne (...) Elle a été refoulé parce qu’elle avait un lien avec l'esclavage."
Le bilan officiel fait état de huit morts. Mais ce chiffre est rapidement contesté. En 1985, le secrétaire d’État aux Dom-Tom, Georges Lemoine, annonce 87 morts, un chiffre issu de recoupements de sources, notamment les renseignements généraux. Au-delà du nombre controversé de victimes, Mike Horn s’est interrogé sur le silence qui pèse encore aujourd’hui autour de ces évènements. Ce qui l’a particulièrement frappé c’est que "ma mère et ma grand-mère m’en ont jamais parlé (...) Elles n’en ont jamais parlé entres elles."
Cinquante ans après les faits, des zones d’ombres persistent. En cause : l’absence d’archives et une mémoire traumatique. "Il y a eu brusquement un silence de plomb, on en n’a plus parlé. Mais c’est parce qu’il renvoyait à une souffrance beaucoup plus ancienne (...) Elle a été refoulé parce qu’elle avait un lien avec l'esclavage." explique le psychiatre Aimé Charles-Nicolas. De plus, le réalisateur rappelle que cet évènement s’inscrivait dans "une période historique où les colonies se rebellaient où Cuba devenait indépendant, (...) il y avait aussi l’Indochine à ce moment-là et l'Algérie."
Presque aucune trace ne subsiste de cet épisode tragique. En 2016, le gouvernement a mis en place une commission indépendante pour faire la lumière sur ces évènements. À l’issue de la commission, "Mé 67" a été reconnu comme un "massacre". "C’est déjà un premier pas puisqu’on ne connaît toujours pas les coupables." fait remarquer le réalisateur. L’année dernière par ailleurs, le mouvement culturel guadeloupéen "Doubout Pou Mé 67", en alliance avec un collectif d’associations et des syndicats, a consacré le Carnaval à la commémoration du cinquantenaire de cette tragédie. Pour Mike Horn, ce carnaval est aussi un moyen "d'expulser ce qui est enfoui en nous."
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