"L'Affiche rouge" de Léo Ferré à Feu! Chatterton, le poème et la chanson qui installèrent à jamais le groupe Manouchian dans la légende

Les résistants Missak et Mélinée Manouchian, qui entrent au Panthéon mercredi 21 février, et leurs compagnons d'armes, sont les héros d'un sublime hommage musical interprété en son temps par Léo Ferré, puis revisité par le groupe Feu! Chatterton, parmi d'autres artistes.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Léo Ferré à L'Olympia, le 1er octobre 1984 (à gauche) et Arthur Teboul, auteur-chanteur de Feu! Chatterton, au festival Solidays à Paris, le 24 juin 2022. (REBOURS / SIPA - PHOTOPQR / LE PARISIEN / MAXPPP)

Depuis une soixantaine d'années, un texte porté par un chant lancinant, éloge funèbre des suppliciés de l'Affiche rouge, plane dans notre mémoire collective. La genèse de cet hommage remonte à 1955. Onze ans après l'exécution du groupe Manouchian au Mont-Valérien, le poète Louis Aragon, militant communiste ardent, honore la mémoire des combattants étrangers et communistes qui ont péri le 21 février 1944, quelques mois avant la libération de Paris. Avant Aragon, de précédents hommages leur ont été rendus, notamment dans L'Humanité. En 1951, est paru l'ouvrage de David Diamant Pages de gloire des 23 et le poème Légion de Paul Éluard.

Louis Aragon se lance à son tour dans l'écriture d'un poème. Pour ce faire, il puise dans la bouleversante lettre d'adieu que Missak Manouchian avait écrite à son épouse Mélinée le jour de son exécution. Le texte en alexandrins sera titré Strophes pour se souvenir et sera publié dans L'Humanité à l'occasion de l'inauguration de la rue du Groupe Manouchian à Paris, le 6 mars 1955, un événement qui surgit presque deux ans jour pour jour après la mort de Staline. Le poème d'Aragon figurera en 1956 dans son recueil Le Roman inachevé. Cinq ans plus tard, le poème devient chanson.



C'est en 1961 que Léo Ferré compose, sur ces poignantes Strophes pour se souvenir, une mélodie sobre, solennelle, funèbre, chaque fin de couplet glissant dans des notes graves. L'hommage chanté s'intitulera simplement L'Affiche rouge. Il fait l'ouverture de l'album Les Chansons d'Aragon, paru en 1961 chez Barclay, signe de l'importance de la chanson pour l'artiste anarchiste. Quatre ans plus tôt, en 1957, Ferré avait déjà consacré un album entier à un poète, en l'occurrence à Charles Baudelaire et ses Fleurs du mal, pour le centenaire de la parution du recueil éponyme.

Si Ferré enregistre par la suite d'autres albums dans cette thématique, le disque Les Chansons d'Aragon s'impose comme l'un des grands classiques de sa discographie. Quant à L'Affiche rouge, elle demeurera l'une des chansons fétiches de ses tours de chant.

La reprise la plus célèbre, celle de Feu! Chatterton

Ce n'est pourtant pas Léo Ferré qui a créé L'Affiche rouge. La première artiste à interpréter la chanson est Monique Morelli, le 30 septembre 1961, dans l'émission Discorama, un célèbre rendez-vous télévisé des années 1960.



Près de six décennies plus tard, au début des années 2020, Feu! Chatterton, brillant groupe français de pop/rock, a ajouté la chanson de Ferré et Aragon au programme de ses concerts. L'occasion, à chaque fois, d'un moment suspendu pour le public. Un moment de recueillement porté par la voix du chanteur Arthur Teboul, 36 ans, lui-même auteur et poète.



Dans le reportage de France 2 ci-dessous, Arthur Teboul et Raphaël de Pressigny expriment l'émotion que ressent l'ensemble du groupe Feu! Chatterton quand il interprète la chanson. "On a envie de pleurer", confie le chanteur en citant un extrait, immédiatement ému : "Adieu la peine et le plaisir, adieu les roses/ Adieu la vie, adieu la lumière et le vent..." Raphaël de Pressigny, batteur et clarinettiste, conclut : "À chaque fois, c’est une vague – que tout le groupe ressent sur scène – qui nous amène très haut dans ce que peut être l’émotion humaine."

Enfin, un certain nombre d'artistes ont repris en concert, et parfois enregistré, la chanson de Ferré. C'est par exemple le cas du chanteur algérien HK avec une belle version aux tonalités orientales dans son album de reprises de classiques français Les Déserteurs, mais aussi de Bernard Lavilliers, sur scène il y a quelques années, lequel confondait alors "Manouchian" et "Manoukian", une erreur assez courante de prononciation. Enfin, Leny Escudero a enregistré une version très émouvante de L'Affiche rouge en 1998...

Missak Manouchian : le résistant qui inspire les poètes

> À voir : "Manouchian et ceux de l'Affiche rouge" de Hugues Nancy et Denis Peschanski, mardi 20 février 2024 à 21h10 sur France 2
Disponible sur la plateforme france.tv à partir du 20 février à 6h, et pour cinq mois.
> À voir ou revoir : "Manouchian" de Daniel Rihl et Clément Magnin, coécrit par Florence Kieffer. Série docu-fiction en 4 épisodes du magazine "13h15 le dimanche" sur France 2, disponible sur le site Franceinfo et sur france.tv (jusqu'au 14 février 2025).
> La cérémonie au Panthéon est retransmise en direct mercredi 21 février dès 17h10 sur France 2.

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