Cet article date de plus de six ans.

Nouvelle-Calédonie : Emmanuel Macron sur l'archipel des clivages

Le chef de l'État est arrivé jeudi en Nouvelle-Calédonie pour un déplacement de trois jours, à 6 mois d'un referendum d'auto-détermination sous haute tension, entre divisions ethniques, politiques et économiques.

Article rédigé par Louise Bodet - Edité par Alexandra du Boucheron
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Cérémonie de bienvenue pour Emmanuel Macron le 3 mai 2018 à Nouméa. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Emmanuel Macron est arrivé jeudi 3 mai en Nouvelle-Calédonie pour une visite de trois jours. Un déplacement en terrain miné, 6 mois avant le referendum d’auto-détermination dans cette collectivité française. Le rendez-vous électoral tend à raviver les divisions entre Kanaks (la population autochtone mélanésienne) et Caldoches (la population d'origine européenne), indépendantistes et loyalistes. Ces clivages sont-ils des clichés ?

Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie, terre de tensions à 6 mois du référendum d'auto-détermination | Un reportage de Louise Bodet

Il arrive que du cliché émerge une vérité, celle de Ghislain Santacroce. Pour rencontrer ce petit-fils de bagnard corse, éleveur de bétail, de chevaux et de cerfs à Moindou, sur la côte ouest de la Grande Terre (Province Sud), il faut quitter la capitale Nouméa et prendre le Nord. Après deux heures de route en pleine brousse, on arrive devant une pancarte flanquée d'une silhouette de cow-boy. Au sommet d'une colline, flotte un drapeau français. "On est fier d'être Français, confirme Ghislain Santacroce. Mon drapeau est là constamment." 

De ce que la famille de ce pur Caldoche avait construit sur la côte est, il ne reste plus rien. En cause : la restitution des terres aux Kanaks dans les années 80. Pour l'éleveur, c'est un souvenir douloureux : "Je suis fort, mais il y a des choses difficiles à se rappeler", confie-t-il. Ghislain Santacroce dit ce qu'il pense. Et il pense qu'il est assiégé. "Les Kanaks, les machins... Ils sont en train de nous bouffer à petits feux, affirme l'homme. Tous les propriétaires près des tribus sont obligés de partir, vu les saccages, les vols et tout."

Le président n'est pas bienvenu

Ghislain Santacroce se sent assiégé, mais aussi abandonné par la "mère patrie". Le fait qu'Emmanuel Macron restitue aux archives départementales l'acte de prise de possession de l'archipel ne passe pas : "Qu'est-ce que ça veut dire ça ? Nous, les Européens, on prend mal ça."

C'est un abandon, comme ils ont abandonné l'Algérie. On prend le même chemin.

Ghislain Santacroce, Caldoche

à franceinfo

Changement de décor et direction la tribu de Gossanah, à Ouvéa. Ici, l’ennemi, c’est l’État français : "L'État colonisateur comme on dit", , Benoït Tangopi, un Kanak rescapé de la grotte d'Ouvéa. Pour lui, ni le président de la République ni le référendum de novembre ne sont les bienvenus. "Je ne vote pas, lâche-t-il. C'est bidon, ils nous proposent du bidon. C'est un truc que l'État français nous impose, [comme] les accords de Matignon [en 1988], les accords de Nouméa [en 1998]."

C'est une nouvelle stratégie pour nous coloniser. C'est nous noyer chez nous. Aller voter c'est accepter tout ça.

Benoït Tangopi, Kanak

à franceinfo

La société calédonienne est clivée, voire raciste, si l'on en croit Didier Guénant-Jeanson, un ancien syndicaliste entré au Conseil économique, social et environnemental (CESE) comme représentant des Outre-Mer et notamment de la Nouvelle-Calédonie. "Il y a du racisme anti-Kanaks, il y a du racisme anti-Wallisiens [population originaire de Wallis-et-Futuna], il y a du racisme anti-Jaunes, il y a du racisme anti-Blancs, affirme l'ancien secrétaire général de l'Union des syndicats des ouvriers et employés de Nouvelle-Calédonie (USOENC). Cette violence est là. Ça a été dur, ce pays et la manière dont il s'est bâti et s'est construit. Ça ne peut pas disparaître en un claquement de doigt. Il y en a moins qu'il y a 20 ou 30 ans, mais bien sûr qu'il y en a encore."

Clivage économique

Au-delà des clivages ethniques et politiques, il y a surtout un clivage économique en Nouvelle-Calédonie. L'archipel français est divisé entre ses ultra-riches et ses squats, entre Haïti et Miami. Issue de la colonisation, l'économie de comptoir perdure, en dépit de la politique de rééquilibrage engagée il y a 20 ans. "On est l'équivalent en PIB de la Nouvelle-Zélande qui est quand même le top du top dans le Pacifique, rappelle Didier Guénant-Jeanson. Mais, cette richesse est accaparée. Vous vous promenez dans Nouméa un week-end et vous voyez une voiture à 15-20 millions [de Francs Pacifiques, la monnaie locale] et un bateau à 30 millions derrière. C'est courant ! Le problème, c'est qu'il y en a tellement au bord de la route aujourd'hui qui n'ont rien."

Maintenant, on voit nos jeunes, des bandes, qui pillent les magasins. Ça n'existait pas il y a un an.

Didier Guénant-Jeanson, CESE

à franceinfo

Retour à Nouméa. Ici, pas de magasins pillés, mais des jeunes désœuvrés qui tuent le temps place des Cocotiers, dans le centre-ville. "C'est difficile ici de trouver du travail", se plaint l'un d'eux. François a pourtant obtenu son diplôme de menuisier. "Ils demandent encore plus de diplômes mais on ne les a pas", poursuit ce jeune homme de 18 ans qui se dit, du coup, "obligé de rentrer à la tribu", celle de Lifou. S'il ne sait pas s'il votera en novembre ("Je ne crois pas, je ne sais pas, je vais voir")Marie, elle, se méfie de l’indépendance : "Je ne suis pas trop pour l'indépendance, indique cette Kanake de 20 ans. Je me sens bien comme ça. Ça me fait peur un peu le changement."

L'après-référendum redouté

La participation au vote des jeunes kanaks est un enjeu électoral majeur pour les partis indépendantistes. À droite, on soupçonne une instrumentalisation de la jeunesse. En cette année électorale, le climat s'est singulièrement alourdi, regrette Isabelle Lafleur, cheffe d’entreprise et héritière d’une des principales fortunes calédoniennes. "Ce référendum ? Je peux vous dire que je n'ai pas du tout envie de vieillir vite, mais là, j'aimerais bien y être parce qu'il faut absolument que ça se passe bien et qu'après on ait l'intelligence de construire quelque chose ensemble", dit-elle.

J'ai peur qu'une certaine partie de la population réagisse mal, parce qu'on lui aura promis certaines choses qui ne sont pas arrivées, qu'on ne lui aura pas dit la vérité.

Isabelle Lafleur, cheffe d’entreprise

à franceinfo

Le camp du "non" à l’indépendance est sûr de sa victoire en novembre, mais il n'est pas très à l’aise avec ce triomphe au moins autant redouté qu’espéré dans cet archipel "tout petit, mais tellement compliqué", sourit l’un de ses élus.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.