"Oradour", la fresque monumentale de Gabriel Godard dévoilée au public au Centre de la Mémoire d'Oradour-sur-Glane
Réalisée par le peintre Gabriel Godard, une fresque consacrée au massacre de juin 1944 vient d’être inaugurée au Centre de la Mémoire à Oradour-sur-Glane. Une oeuvre à la fois violente et bouleversante.
Le Supplice, l’Epouvante, la Mort. A eux seuls, les titres de ces trois toiles en disent long sur le drame qu’elles racontent. A cette tétralogie sobrement baptisée Oradour est venue s’ajouter une quatrième œuvre intitulée De l’humain et de l’ignominie ordinaire. Ces toiles gigantesques (3,40 m x 9 m pour les trois premières et 3,70 m x 9 m pour la dernière) ont une histoire particulière.
En 2009 , Gabriel Godard se lance dans la création d’une œuvre monumentale : une tétralogie sur le massacre du 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane. Ce jour-là, la division SS "das Reich" massacre la population de ce village de Haute-Vienne, en enfermant les femmes et les enfants dans l'église et les hommes dans les granges. 642 personnes seront exécutées ou brûlées vives.
Quatre toiles, quatre années
Pendant quatre années, Gabriel Godard s’est consacré à cette œuvre qu’il porte en lui. Un travail difficile mais nécessaire pour l’artiste. Dix ans après l’avoir achevée, il est toujours aussi bouleversé par cette "saloperie” comme il désigne le massacre d'Oradour. "Ça me fait pleurer, dit-il avec une émotion perceptible. Donc j’ai envie de le dire aux gens. C’est ça qui me pousse."
Ces toiles n'ont jamais eu vocation à être vendues. En 2020, Gabriel Godard en a fait don au Centre de la Mémoire d’Oradour. A partir du 15 avril, elles sont au coeur de l'exposition temporaire Oradour-sur-Glane, un drame, un peintre, une œuvre par Gabriel Godard
Un drame "fondateur"
Cette fresque a un sens particulier dans l’œuvre de Gabriel Godard. Cet artiste, né en Lorraine en 1933, avait 11 ans et vivait dans la Sarthe quand il entend parler du drame d’Oradour. Ce n’est qu’en 1972 qu’il découvre le village. Un moment fondateur mais traumatique pour l’homme et pour l’artiste partagé entre colère, incompréhension et indignation.
A cette époque, cela fait déjà plus de vingt ans que Gabriel Godard se consacre à la peinture. Autodidacte, il est d'abord figuratif, avant d’opérer dans les années 60 une fusion entre figuration et abstraction. Ce tournant lui permet de gagner en notoriété. Ses toiles sont exposées dans les grands musées comme le Centre Georges Pompidou et se vendent jusqu’aux Etats-Unis.
Oeuvre cathartique
Le drame d'Oradour le poursuit : "À 29 ans, raconte l'artiste, j’ai fait un premier grand format sur Oradour, parti à New York où la galerie Findlay l’a offert à l’archevêque de la cathédrale Saint Patrick. Cette toile contenait en germe ce qu’avec la maturité d’homme et de peintre je serai capable d’exprimer. L’idée était inscrite dans ma conscience et un jour de 2008, j’ai commandé de grands châssis. Oradour s’est imposée à moi, poussé à faire des personnages dans une écriture figurative, pour exprimer la souffrance et l’horreur. »
Un tryptique de l'horreur
Chacune des toiles qui compose cette tétralogie raconte un moment particulier. Le Supplice semble représenter celui des habitants d’Oradour : des corps, des flammes et des ombres noires qui sont peut-être les âmes des habitants enfermés et pris au piège. Aucun personnage féminin n'est présent dans ce tableau contrairement à L’Épouvante qui est le tableau central.
C’est celui où apparaissent des personnages féminins et notamment une femme représentée de manière plus réaliste. Dans une vidéo qui accompagne l’exposition, l’artiste explique comment il a fait naître cette œuvre si particulière, en commençant par peindre cette figure féminine avant de laisser parler son inconscient pour décliner les formes, les ombres et les couleurs.
Dernier tableau figuratif, La Mort. On y voir des corps décharnés et entassés qui font immanquablement penser aux camps de concentration. Les images de la Shoah se sont superposées aux récits des survivants d’Oradour et de ceux qui ont découvert le massacre.
Quant à De l’humain et de l’ignominie ordinaire, quatrième et dernier tableau, il complète le triptyque avec une composition abstraite basée sur des motifs (notamment des rayures : celles des uniformes des prisonniers dans les camps ?) mais aussi des formes et des couleurs qu’on retrouve dans les trois autres toiles.
De Guernica à Oradour
En contemplant cette fresque, on ne peut s’empêcher de penser à Guernica de Picasso (3,5 m de hauteur et 7,8 m de largeur), dans laquelle l’artiste s’inspire des bombardements subis par la petite ville du pays basque espagnol de Guernica le 26 avril 1937. Une œuvre dans laquelle Picasso refusa toute représentation réaliste de la ville bombardée. Une œuvre où il a limité son choix de couleurs à des teintes de gris, de noir et de blanc.
Dans celle de Godard, même gigantisme des toiles, des couleurs peu nombreuses (gris cendre, rouge, noir) et personnages anonymisés qui semblent porter un masque. Leurs regards vides et leurs bouches hurlantes sont terriblement expressifs.
Difficile de ne pas ressentir un malaise et beaucoup d’émotion devant ce qui reste, soixante-dix ans après, une terrible preuve de la violence et du manque d’humanité auxquels la guerre peut conduire les hommes. Les faits sont là pour nous rappeler que cette part d'ombre est hélas toujours d'actualité.
Exposition temporaire "Oradour-sur-Glane, Un drame, un peintre, une œuvre par Gabriel GODARD" - Centre de la Mémoire à Oradour-Sur-Glane. Ouvert 7 jours sur 7 de 9h à 18h (selon saison) - Tarifs : billet exposition temporaire seul 2€ / billet couplé avec exposition permanente : 9 €
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