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Racisme : "Il ne s’agit pas de porter un jugement, mais de connaître l’histoire", explique Jean-Marc Ayrault, qui veut débaptiser la salle Colbert à l'Assemblée

L'ancien Premier ministre qui préside la Fondation pour la mémoire de l'esclavage ne demande pas à ce qu'on "efface" l'histoire mais que le débat soit relancé sur comment "reconnaître cette histoire" et lutter contre "ses souffrances, ses séquelles".

Article rédigé par franceinfo
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Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre et président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, le 26 avril 2017. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

"N’oublions pas l’histoire, mais soyons plus forts encore et ne soyons pas esclaves de l’esclavage", avait déclaré Jean-Marc Ayrault en 2018 alors que la France créait sa Fondation pour la mémoire de l'esclavage à l'occasion du 170e anniversaire de son abolition dans les colonies françaises. L'ancien Premier ministre, qui préside aujourd'hui cette Fondation a demandé samedi 13 juin qu'on débaptise la salle Colbert de l'Assemblée nationale. Colbert était le ministre des Finances de Louis XIV et l'un des initiateurs du Code noir qui a fait entrer l'esclavage dans le droit français. "Il ne s’agit pas de porter un jugement, mais de connaître l’histoire", a argumenté Jean-Marc Ayrault jeudi 25 juin sur franceinfo alors que son initiative a été très critiquée, notamment par des historiens.

La statue de Colbert devant l’Assemblée nationale a été vandalisée au nom de la lutte contre la négrophobie. Est-ce que ça va trop loin ?

Jean-Marc Ayrault : Plutôt que des dégradations des monuments publics, il faut des plaques explicatives. Au minimum. En tout cas, j'ai pris l'initiative en tant que président de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage, dont c'est la mission de contribuer au débat, d’encourager au débat.

Je trouve que le moment est venu de franchir une nouvelle étape. 

Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage

à franceinfo

Je me suis adressé à l'Assemblée nationale, notamment parce que l'Assemblée nationale c'est le lieu où on fait la loi. Il y a près de vingt ans, l'Assemblée nationale a voté à la quasi-unanimité la loi Taubira. La France reconnaissait que la traite et l'esclavage étaient un crime contre l'humanité. Et puis, l'obligation était faite, au-delà d'une journée de commémoration, d'enseigner cette histoire dans les programmes scolaires et la semaine dernière, le Parlement européen a fait la même chose. Notre pays ne peut pas maintenant prendre du retard après ces avancées. Le meurtre de George Floyd aux États-Unis a provoqué une vague d'indignation, des manifestations et des revendications qui tournent toutes autour de la même chose, c'est-à-dire comment reconnaître cette histoire de l'esclavage et de la colonisation et ses souffrances, ses séquelles. Et en même temps, comment lutter contre le racisme autour de valeurs qui nous rassemble.

Dans une tribune publiée mercredi dans le journal Le Monde, plusieurs historiens comme Mona Ozouf ou Michel Winock vous ont répondu. Juger le passé avec nos critères d'aujourd'hui est une forme de totalitarisme, écrivent-ils. Ils rappellent que Socrate ou Périclès avaient des esclaves, que Charlemagne et Jules César ont massacré des peuples et que Voltaire n'aimait pas les Juifs. Comment réagissez-vous à cette tribune ?

Il ne s’agit pas de porter un jugement, mais de connaître l’histoire. Ce sont des historiens qui s’expriment. Moi, je ne fais pas un cours de morale. Qui le connaît le Code noir ? L’auteur qui à la demande de Louis XIV a préparé cette loi, cette législation qui institutionnalise l'esclavage dans les colonies, est à l'Assemblée nationale avec une statue. Je ne demande pas de supprimer sa statue.

Je ne demande pas d'effacer l'histoire. Je demande simplement qu'on explique toute l'histoire et c'est le rôle des historiens.

Jean-Marc Ayrault

Je ne peux pas prendre leur place. Par contre, il y a des actes de mémoire et des actes qui sont des actes politiques. Nommer une rue, nommer une place, nommer une salle, ce n'est pas un travail d'histoire, c'est un travail de mémoire. Et donc, la question, c'est de savoir si nous voulons occulter cette page de notre histoire. Et si on le fait, on ne va pas comprendre ce qui se passe aujourd'hui, notamment dans les consciences, la difficulté à vaincre les préjugés raciaux, faire reculer les discriminations, le racisme et créer de la concorde et de la cohésion. Le Code noir, c'est un acte fondateur du droit colonial français. Il a institutionnalisé l'esclavage au XVIIe siècle. Il a continué à le développer. Et après l'abolition en 1848, on a continué avec le droit colonial. Le statut de l'indigénat, le travail forcé, ça a duré quasiment jusqu'aux indépendances. Comment voulez-vous que ça n’ait pas de conséquences dans les consciences ?

Quand vous passez aujourd'hui devant l'une des statues de De Gaulle, est-ce que vous voyez l'homme qui a organisé le référendum sur l'autodétermination de l’Algérie ou quelques années plus tôt à Oran, celui qui avait conclu l'un de ses discours en lançant vive l'Algérie française ?

Je vois tout dans sa globalité. C’est notre histoire avec ses contradictions. George Washington avait des esclaves et en même temps, il a été inspiré par l'esprit des Lumières et avec Thomas Jefferson, ils ont fait la Révolution américaine. C'était la réalité. Et quand je suis allé, il n'y a pas très longtemps à Washington, visiter le Musée africain, je suis allé voir la propriété de George Washington. Et qu'est-ce qu'ont fait les Américains ? Ils en ont fait un musée où l'on explique ces contradictions et l’on donne les clés.

Ce n’est pas de l'autoflagellation, ce n’est pas de la repentance. Ce sont des explications pour qu'on soit plus forts ensemble dans notre siècle d’aujourd'hui.

Jean-Marc Ayrault

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