Robot, licorne et taches de salle de bains : les petites histoires enfouies dans la grotte de Lascaux
François Hollande inaugure, samedi 10 décembre, Lascaux 4, une réplique grandeur nature de la grotte ornée. A cette occasion, franceinfo vous raconte l'histoire de ce "Versailles de la préhistoire".
Un, deux, des dizaines... Nul ne sait combien d'hommes de Cro-Magnon ont fait de la grotte de Lascaux l'une des plus anciennes œuvres d'art de l'histoire de l'humanité. L'homogénéité du style des peintures fait seulement dire aux spécialistes qu'ils ont réalisé ces fresques sur une courte période, il y a 17 000 ou 18 000 ans.
Dans cette grotte de Dordogne, les artistes du paléolithique ont peint ces animaux avec un réalisme troublant. Et leur matériel, bien que préhistorique, n'a pas grand-chose à envier à celui des peintres modernes. Les Cro-Magnon utilisaient des pinceaux, mais aussi des tampons faits de poils et de peau d'animal. Sur des pochoirs, ils soufflaient de la poudre sèche qu'ils mettaient dans des tubes ou directement dans la bouche, en mélangeant les pigments avec de l'eau. Les paléontologues pensent même qu'ils utilisaient des échafaudages pour atteindre les voûtes qui se dressaient au-dessus de leurs têtes, comme l'explique ce documentaire de France Culture.
Autant de prouesses techniques, qui auraient fait dire à Picasso, quand il a découvert la grotte : "j'ai enfin trouvé mon maître". Elle a depuis été fermée au public, mais pour que les touristes puissent admirer ces œuvres préhistoriques, des répliques ont été créées. La dernière et la plus étonnante d'entre elles est inaugurée par François Hollande, samedi 10 décembre. A cette occasion, franceinfo vous déterre les petites histoires qui se cachent derrière le "Versailles de la préhistoire".
Vache rouge, licorne et signes du zodiaque
Comme le musée du Louvre, la grotte de Lascaux a ses incontournables. Si la cavité était encore ouverte au public, nul doute qu'une foule de touristes équipés d'appareils photo envahirait la "salle des Taureaux". On y trouve des dessins d'aurochs – d'imposants bœufs, aujourd'hui disparus – extrêmement réalistes. Non loin se trouve la célèbre vache rouge, aux longues cornes graciles.
Sur les parois de cette salle, "se profile un formidable troupeau que semble surveiller, à gauche, une bête étrange, surnommée 'la licorne'", racontait l'archéologue Jean Taralon en 1957. Outre sa tête rectangulaire, ses larges pattes et son ventre distendu, l'animal a surtout une énorme corne sur le front. Les hommes de Cro-Magnon ont-ils voulu représenter un animal fantastique ? Est-ce seulement une erreur de représentation ? De nombreuses interprétations ont été avancées par les paléontologues, mais le mystère reste entier.
Les peintres millénaires de Lascaux avait parfois tendance à surreprésenter certaines parties du corps des bêtes. Ainsi, selon cet article de spécialiste, la licorne pourrait en réalité être un lynx avec des oreilles disproportionnées. En jetant un coup d'œil un peu plus appuyé sur l'animal, on voit en effet des taches qui font penser au pelage d'un félin.
Les peintures de Lascaux ont indéniablement un côté mystique et symbolique. Dans un documentaire sorti en 2006, l'"astro-paléontologue" Chantal Jègues-Wolkiewiez soutient que les fresques représentent en fait une carte du ciel avec des constellations zodiacales, note Sud Ouest. Mais, là encore, on n'est certain de rien.
Robot, le chien découvreur
La grotte de Lascaux, c’est avant tout l’histoire d’une découverte fortuite. Oubliez les lampes à huile et les combinaisons de spéléologues, Marcel Ravidat n'a que 17 ans lorsqu'il tombe par hasard sur cette cavité, le 8 septembre 1940. Pour tuer le temps, comme à son habitude, le jeune homme se promène avec des copains dans les collines autour de Montignac. Le chien de Marcel, un bâtard nommé Robot, se met soudainement à prendre en chasse un lapin et disparaît derrière un buisson. L'animal à poil roux ne ressort plus du bosquet. Du coup, Marcel décide de braver les ronces pour aller chercher son chien. Il retrouve alors Robot devant un étrange trou d’une vingtaine de centimètres de diamètre.
Marcel laisse glisser quelques pierres sous ses pieds. “Je fus très surpris d’entendre celles-ci rouler très profondément”, raconte, à l’époque, le jeune homme dans une lettre. Nul doute qu’une large cavité se cache derrière cette fenêtre rocailleuse. Il revient sur les lieux quelques jours plus tard, avec trois amis. Equipés d’une lampe à pétrole, les adolescents se glissent les uns après les autres dans le trou. Les explorateurs en herbe pensent avoir découvert une galerie secrète du château de Lascaux, situé non loin de là. Une légende parle d’un coffre rempli d’or caché dans les souterrains de la forteresse. Au lieu de cela, il exhume un trésor inestimable pour l’histoire de l’humanité. “Jacques poussa un cri en montrant du doigt la voûte. Quelle fut notre stupéfaction en voyant sur les parois toute une série d’animaux, peints de couleurs différentes ! Dédaignant l’exploration du sol, nous nous mîmes à explorer les parois, allant de découverte en découverte“, écrit-il dans un style soigné, comme s’il savait déjà que sa lettre resterait dans l’histoire.
“Quand on a découvert les peintures, c'était comme tomber sur une mine d'or", se souvient Simon Coencas, interrogé soixante-quinze ans plus tard par France Bleu. A l’époque, ce fils de ferrailleur, issu d'une famille juive réfugié en Dordogne, n’a que 13 ans. Les amis explorateurs se promettent de garder le secret, mais le cadet de la bande, trop bavard, raconte sa découverte à son frère. La rumeur se répand comme une traînée de poudre dans le village, raconte Le Parisien. La nouvelle finit par attirer l’attention d'Henri Breuil, un préhistorien très réputé de l'époque qui réside non loin de là. Il authentifie le premier les peintures et charge les garçons de garder la grotte. Mais, pour se faire un peu d’argent, la bande ouvre la grotte au public. Peu respectueux, les premiers visiteurs n’hésitent pas à graver leurs initiales dans la roche à côté des œuvres préhistoriques.
La guerre des champignons
Ce n’est pourtant pas en grattant les parois que les visiteurs vont mettre en danger la conservation des lieux, mais en respirant. La grotte de Lascaux originelle, devenue un haut lieu touristique, ferme définitivement ses portes au public en 1963. Les 1 500 visiteurs qui foulent chaque jour les sentiers tracés à la chaux dans la grotte dégagent une quantité importante de dioxyde de carbone. Plusieurs guides se sont mis à perdre connaissance et des algues ont commencé à recouvrir les façades de la cavité.
Les conservateurs mettent alors en place un système de régulation thermique, pour contenir ce qu'ils appellent "la maladie verte". Cette guerre contre les micro-organismes continue jusqu'à nos jours. En 2001, une nouvelle colonie de champignons extrêmement résistants se développe dans la cavité. S'ils sont inhalés, les spores du Fusarium solani peuvent provoquer des vomissements et des hémorragies internes chez l'être humain.
Pour en venir à bout, les scientifiques chargés de conserver le lieu utilisent un fongicide puissant. Ce produit chimique dégage des quantités importantes d'azote et de carbone. Manque de chance : c'est précisément ce dont avait besoin l'Ochroconis anomala pour naître, explique Le Figaro. Cette espèce de champignon, jusque-là inconnue, appartient à la même espèce que les taches noires qui se développent dans votre salle de bains. Inquiète, l'Unesco a menacé à plusieurs reprises la France de placer la grotte sur la Liste du patrimoine en danger.
Des reproductions oubliées dans un hangar
L'idée de construire une réplique de la grotte pour les visiteurs apparaît dans la tête de Charles-Emmanuel de la Rochefoucauld. Cet héritier de la noblesse locale est le propriétaire du terrain où se trouve la cavité préhistorique. Pour financer ce projet fou, il revend la grotte de Lascaux à l'Etat. Du béton est coulé sur une imposante armature en métal. L'artiste Monique Peytral constitue une équipe pour reproduire les peintures avec des pigments naturels, comme elle le raconte dans le documentaire Peindre Lascaux, peindre la vie. Lascaux 2 ouvre ses portes en 1983.
Mais toutes les galeries ne sont pas reproduites dans Lascaux 2. Le Conseil général de la Dordogne décide donc de lancer le projet Lascaux 3 en 2003. Les fac-similés réalisés par l'équipe du plasticien Renaud Sanson sont exposés dans la commune voisine de Thonac, avant de faire le tour du monde. Pendant la mise en place, des répliques plus anciennes ont été déplacées sans ménagement, explique Raphaël Jullian dans Histoires insolites des monuments français (City, 2013). Endommagés, ces fac-similés croupissent dans un hangar depuis 2009.
Le 15 décembre, Lascaux 4 va ouvrir ses portes au public, à 1,5 km de l'originale. Cette fois, elle reproduit à échelle réelle, et dans ses moindres détails, la grotte ornée. "A partir d’un relevé 3D, tout a été examiné au millimètre près. C’est ce qui fait la force de cette reproduction, qui est une première mondiale", explique à franceinfo André Barbé, directeur général de Semitour, qui gère le monument.
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