Splendeurs du Moyen Âge : La tour Jean sans Peur, un joyau méconnu au cœur de Paris
À l’heure de la récré, les cris des enfants percent les murs de la tour Jean sans Peur. Étrange cohabitation au 20 rue Etienne Marcel, entre un vieux donjon médiéval et une école élémentaire du deuxième arrondissement parisien. "Les enfants ne le savent pas mais ils jouent dans ce qui était autrefois la cour de l'hôtel de Bourgogne", s’amuse à rappeler Agnès Lavoye, chargée de la communication et des publics.
Méconnu autant des Parisiens que des touristes, le monument n’en reste pas moins l’un des plus beaux exemples d’architecture féodale à Paris. Un livre de pierre qui plonge le visiteur au cœur de la guerre de Cent Ans.
Un fabuleux voyage dans le temps
La balade commence en 1407, en pleine guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons. Jean sans Peur, duc de Bourgogne, fait assassiner le frère du roi Louis d’Orléans, son rival, pour devenir un conseiller indispensable au roi Charles VI, atteint de crises de folie. "Ce qui est incroyable, c‘est que le duc va avouer son crime et construire ce palais quelques mois après [pour conforter son pouvoir dans la capitale]", raconte Agnès Lavoye, stupéfaite par ce sentiment d'impunité. La hauteur de la tour, les armoiries magnifiquement sculptées, l’escalier monumental et le confort des pièces sont autant d’affirmation de sa toute-puissance.
Ici, la grande histoire se mêle à la petite. En empruntant l’escalier parfaitement conservé, "le visiteur met les pieds à l’emplacement de ceux de Jean sans Peur, il y a six siècles", confie la guide. De la pièce où il tenait réunion à ses latrines, on découvre des lieux dont seuls les intimes du duc de Bourgogne avaient connaissance.
Au sommet de la tour, une voûte admirablement sculptée. "Avec l’archéologue Marc Viré et l’historien Laurent Hablot, nous nous sommes aperçus qu’il s’agissait d’un arbre généalogique", explique Agnès Lavoye.
Au centre, le chêne représente le père de Jean sans Peur, Philippe le Hardi, sur les côtés, l’aubépine pour sa mère, Marguerite de Male, entremêlée au houblon de Jean sans Peur. "Lorsque le duc de Bourgogne fait construire cette voûte, ses parents sont décédés depuis quelques années. Il leur rend donc hommage en les inscrivant dans la pierre pour l’éternité".
Il faut s'imaginer la voûte colorée et éclairée au flambeau. "Ça devait être absolument extraordinaire, poursuit Agnès Lavoye. Lorsque la lumière faisait vaciller les plantes, vous deviez avoir l'impression que tout était vivant".
Après la mort de Charles le Téméraire, petit-fils du duc, l'hôtel est récupéré par la couronne de France, vendu à la découpe par François Ier, et transformé au fil du temps en demeure privée, cabaret, bibliothèque, école primaire. Seule subsiste l’imposante tour, riche de cinq niveaux et menant aux chambres hautes. Elle échappe à la destruction grâce à son magnifique escalier, réemployé au cours des siècles.
Grâce aux efforts de passionnés
Ce n’est qu’en 1999 que le monument s’ouvre entièrement au public grâce aux efforts de Rémi Rivière, actuel directeur, aidé par la mairie d'arrondissement. Archéologue de formation et habitant du quartier, il s’était aperçu "qu’après la restauration du bâtiment [en 1992], il n’y avait aucun projet de mise en valeur". L’association (non subventionnée) Les amis de la tour Jean sans Peur est alors créée, composée d’une petite équipe d’archéologues et d’historiens.
"Heureusement que ce site a été ouvert au public, assure Agnès Lavoye. L’ouverture d’un monument n’est pas signe de dégradation mais au contraire de conservation puisque cela permet de toujours garder un œil vigilant sur de possibles réparations et restaurations."
Pas facile néanmoins pour la petite structure d’exister au sein de la riche offre culturelle parisienne. "On essaie de renverser la tendance par des partenariats et une programmation de qualité", résume-t-elle. Les panneaux explicatifs permettent de visiter librement le monument et plusieurs expositions sont organisées chaque année, à l’image de "La santé au Moyen Âge" afin de "casser les clichés sur la période" et "Gamins et poupardes" sur les enfances parisiennes au XIXe siècle, toutes deux visibles jusqu’au 2 juillet 2023.
Samedi 18 février, à 19h30, une visite nocturne de la tour est aussi organisée (sur réservation).
Tour Jean sans Peur, au 20 rue Étienne Marcel, 75002, Paris. Ouvert au public du mercredi au dimanche, de 13h30 à 18h. Tarif plein 6€ / tarif réduit 4€
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