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Vrai ou faux Controverse entre le RN et la Nupes : Napoléon Bonaparte était-il antirépublicain ?

Article rédigé par Quang Pham
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une statue de Napoléon en Isère. (JEAN-PIERRE DORDAIN / ONLY FRANCE)

Le rapport de l'Empereur à la Révolution est au cœur d'une controverse entre des membres de la Nupes et du RN. Pour les historiens, le règne de Napoléon Bonaparte s'inscrit bien dans une continuité avec la Révolution de 1789 et les idées républicaines qui en ont découlé, mais dans une lecture différente que peuvent en avoir aujourd'hui les partis politiques.

Deux siècles et demi après sa naissance, l'Empereur suscite toujours la controverse. Lors du 253e anniversaire de Napoléon Bonaparte, fêté le 15 août, un hommage de Julien Odoul, député de l'Yonne et porte-parole du Rassemblement national, déclenche la polémique : Napoléon est "le plus Grand Homme de notre histoire", le bâtisseur d'une "France plus forte qu'elle n'a jamais été", déclare le député sur Twitter. Une révérence pour l'Empereur qui provoque un tollé dans les rangs de la Nupes. Elle prouverait une attirance du RN pour un régime napoléonien considéré comme autoritaire et contraire aux valeurs de la République. "On connaît le modèle de l'extrême droite, ce n'est pas la République. Encore moins la démocratie", commente sur Twitter Benjamin Lucas, député Générations dans les Yvelines, en réponse du tweet de Julien Odoul.

"L'extrême droite née avant la honte, défend l'anti-républicain [...] Napoléon Bonaparte", s'insurge de son côté Corentin Gérard, membre des Jeunes Insoumis et animateur du comité d'appui LFI de Charleville-Mézières. Est-il cependant possible d'affirmer, comme le font les membres de la Nupes, que l'Empereur était contre la République ?

Un Empire autoritaire

L'accession au pouvoir de Napoléon "clôt la période révolutionnaire et les conquêtes démocratiques", justifie auprès de franceinfo Benjamin Lucas. Avec la proclamation de l'Empire le 18 mai 1804, Napoléon met effectivement fin à la Première République en vigueur depuis l'abolition de la royauté en 1792.

Et à bien des égards, le régime napoléonien présente également des caractéristiques autoritaires. Les "promesses démocratiques" de la Révolution ne sont pas tenues, confirme à franceinfo Thierry Lentz, historien et directeur de la Fondation Napoléon. "Les scrutins par plébiscite", la forme d'élection privilégiée par l'Empereur, sont "truqués", souligne Vincent Haegele, historien spécialiste de l'époque napoléonienne. "Il n'y a toutefois pas de dictature sous Napoléon", précise Thierry Lentz, grâce à l'existence de contre-pouvoirs sous l'Empire, "le Conseil d'Etat, les chambres procéderont à de nombreux votes négatifs."

"Environ 2 500 prisonniers d'Etat sont incarcérés durant l'Empire et 2% des ouvrages seront censurés"

Thierry Lentz, directeur de la fondation Napoléon

à franceinfo

"Un régime policier et de censure se met également en place", concède néanmoins Thierry Lentz. L'appareil policier de l'Empire date néanmoins du régime précédent, "le Directoire", précise Vincent Haegele : "L'essentiel de ses membres les plus actifs, comme Fouché, le ministre de la police, sont tous issus de la gauche, voire de l'extrême gauche jacobine."

A charge encore, l'Empereur rétablit l'esclavage, auparavant aboli en 1794 sous la Convention, en 1802. "Une erreur morale qu'on peut reprocher à Napoléon même 200 ans après", juge Thierry Lentz. "Napoléon lui-même a reconnu qu'il s'était laissé influencer par le lobby colonial", pas par racisme, "mais pour des raisons géopolitiques : le commerce des Antilles, qui reposait sur la main-d'œuvre des esclaves, représentait entre 10 à 15% du produit intérieur brut français."

"Napoléon a toujours été dans le camp de la République"

Sur le plan des libertés individuelles, le régime de Napoléon apparaît donc en rupture avec les idéaux républicains. Pourtant, en dépit de cette divergence, l'Empire, estiment les historiens, s'inscrit bien dans une continuité avec la République.

"Napoléon a toujours été très clair sur ses sentiments, il a toujours été dans le camp de la République", insiste Vincent Haegele. "Bonaparte a d'ailleurs été un jacobin, proche de la famille Robespierre", ajoute-t-il. "Tout le paradoxe est d'avoir mis en place des institutions impériales qui s’inspiraient de la Révolution de 1789", explique auprès de franceinfo David Chanteranne, historien et directeur du patrimoine de Rueil-Malmaison. "En 1804, quand l'Empire est instauré, l'article premier de la Constitution indique que la République est confiée à un Empereur qui devient Empereur des Français. Cela paraît paradoxal pour nous, mais cela correspond à la conception de la République dans les années 1800 où on couronne le système républicain par un empereur qui le dirige."

Que signifie le mot République du temps de l'Empire ?

Pour comprendre ce que revêt la notion de République du temps de Napoléon, il ne faut pas assimiler automatiquement "la République à la démocratie comme on le fait aujourd'hui", ajoute David Chanteranne. A l'époque de l'Empire, la République est avant tout incarnée par deux principes : "la laïcité et l'égalité de tous devant la loi". Or ces deux principes républicains sont pleinement réalisés par l'Empereur.

Pour la laïcité, un compromis est trouvé avec le Concordat, accord par lequel "le culte catholique continue d'être librement exercé sans être considéré comme une religion d'État." Le principe d'égalité devant la loi est quant à lui parachevé en 1804 par l'instauration du Code civil, au moment même où l'Empire est proclamé. Elle perpétue l'abolition des privilèges accordés durant l'Ancien Régime aux "aristocrates et ecclésiastiques" obtenue lors de la nuit du 4 août 1789.

"L'adoption du Code civil, c'est la victoire de 1789."

Thierry Lentz

à Franceinfo

L'existence d'une noblesse d'Empire ne rentre pas complètement en contradiction avec la fin des privilèges de l'aristocratie. "C'est un système politique qui prend en compte le mérite et non pas la naissance", explique Vincent Haegele. La mise en place d'une dynastie familiale en Europe (Napoléon mettra sur le trône des pays conquis ses propres frères) correspond à une "déviation progressive vers un pouvoir personnel", tempère cependant David Chanteranne.

Un modèle que Napoléon veut imposer dans toute l'Europe

"L'empire de Napoléon [n'en possède] pas moins un projet révolutionnaire", précise Vincent Haegele. Il s'agit de "détruire le féodalisme en Europe et renverser les monarchies pour diffuser l'idée de l'égalité devant la loi". Un expansionnisme révolutionnaire qui vaudra à l'Empereur d'être qualifié de "Robespierre à Cheval" par ses ennemis, selon l'historien communiste Antoine Casanova. "La plupart des guerres napoléoniennes sont la continuation des guerres révolutionnaires de 1792 et elles ont eu pour moteur la géopolitique, la lutte contre l'Angleterre qui ne voulait pas d'une puissance dominante en Europe, précise néanmoins Thiery Lentz, ce n'était pas une politique généreuse".

Si la diffusion des idées révolutionnaires réussira à Naples, en Croatie et en Slovénie "où une partie du système d'organisation [napoléonien] continue d'exister", fait remarquer David Chanteranne, elle échouera de manière sanglante dans d'autres pays, comme en Espagne où la population se soulèvera contre les troupes françaises.

Napoléon caricaturé par les partis politiques

Auprès de franceinfo, Benjamin Lucas, député de la Nupes, précise son jugement sur Napoléon : "Je trouve curieux que [les membres du RN] qui donnent des leçons de République à tout le monde fassent une déclaration d'amour à Napoléon dont on ne peut pas dire que ce soit un personnage républicain ou un grand démocrate : il était Empereur !, ironise le député Nupes. L'extrême droite va chercher en permanence pour son projet politique des modèles qui sont totalitaires ou autoritaires."

Le portrait de Napoléon dressé par les historiens paraît pourtant plus nuancé que ce que veulent en retenir les membres de la Nupes et du RN. L'Empire de Napoléon s'inscrit bien dans la continuité de la République, mais ceci doit se comprendre dans le contexte de l'époque. Il faut donc se garder des comparaisons hasardeuses, insiste David Chateranne : "On se sert toujours de l'histoire comme d'une référence pour essayer de trouver des justifications pour les actions menées aujourd'hui, constate l'historien. Mais il faut toujours se garder d'interpréter avec notre regard contemporain des situations qui n'ont rien à voir [avec notre actualité]. Malheureusement pour les partis politiques, cela vire souvent à la caricature."

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