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"Cela va prendre énormément de temps" : après l'incendie de Notre-Dame, le défi de la reconstruction

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La cathédrale Notre-Dame de Paris après l'incendie, le 16 avril 2019. (BERTRAND GUAY / AFP)

Pour les spécialistes interrogés par franceinfo, la restauration de l'édifice emblématique ne pourra s'effectuer qu'après une longue phase de sécurisation. Et la question de rebâtir à l'identique, ou au contraire en modernisant la cathédrale, va se poser.

La flèche effondrée, les deux tiers de la toiture réduits en cendres, une partie de la voûte intérieure touchée... Notre-Dame de Paris a été en partie sauvée, mais les dégâts sont considérables, après le violent incendie qui a ravagé l'emblématique cathédrale, dans la soirée du lundi 15 avril. "Nous la rebâtirons", a affirmé peu avant minuit Emmanuel Macron. Mais comment restaurer un tel monument après de tels dégâts ? Combien de temps faudra-t-il et quel en sera le coût ?

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La reconstruction comporte quatre grandes étapes. La première, la sécurisation des lieux, est la plus importante aux yeux des spécialistes. Elle a démarré mardi matin, lorsque le sinistre a pu être éteint. L'objectif est d'analyser l'état de la cathédrale, de faire en sorte que sa structure ne s'effondre pas et de déterminer quelles œuvres peuvent encore être sauvées. C'est la raison de la présence de l'architecte en chef Philippe Villeneuve, chargé des travaux à Notre-Dame. "Il est sur place pour comprendre ce que la structure a subi et évaluer sa capacité à résister", précise à franceinfo Charlotte Hubert, présidente de la compagnie des architectes en chef des monuments historiques.

"On joue avec la vie de l'édifice"

Trop occupé et "blessé profondément" par le drame, Philippe Villeneuve ne s'est pas exprimé. Néanmoins, le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur, Laurent Nuñez, a dressé un bilan de la situation à la mi-journée. "Globalement, la structure tient bon", mais "quelques vulnérabilités ont été identifiées, notamment au niveau de la voûte et au niveau d'un pignon du transept nord qui doit être sécurisé, ce qui a conduit à l'évacuation de cinq immeubles d'habitations", a-t-il expliqué. "Les travaux de sécurisation à l'intérieur de Notre-Dame de Paris vont durer environ 48 heures", a-t-il encore précisé. 

Pierluigi Pericolo n'est pas aussi optimiste. Architecte du patrimoine, il a connu une situation similaire le 15 juin 2015 à Nantes, quand la basilique Saint-Donatien a été la proie des flammes. Un incendie s'est déclaré sur la toiture du monument alors que des ouvriers réalisaient des travaux d'entretien. Des dégâts importants, mais sans commune mesure avec ceux de Notre-Dame de Paris, cathédrale hors norme. Or, la mise en sécurité de la basilique Saint-Donatien a duré plus de deux ans et le chantier de rénovation de la basilique n'a débuté qu'en 2018.

"On joue avec la vie de l'édifice, on va le stabiliser pour éviter son effondrement. C'est une étape fondamentale et très complexe car il est difficile d’envoyer des ouvriers dans un monument dont les voûtes sont gonflées d'eau", résume à franceinfo Pierluigi Pericolo, chargé de la mise en sécurité et de la restauration de la basilique Saint-Donatien. "La fin de l'incendie ne signifie pas que l'édifice est complètement sauvé. La pierre peut se dégrader lorsqu’elle est soumise à forte température, et, par exemple, changer de composition minéralogique et se fracturer au milieu", détaille l'architecte. Il faut aussi déblayer tous les gravats. Pierluigi Pericolo estime ainsi la durée de la sécurisation entre deux et cinq ans, "vu la taille de Notre-Dame". 

L'occasion de "réinventer" Notre-Dame ?

L'étape suivante est la pose d'un grand parapluie sur la totalité de l’ouvrage, "indispensable pour mener les travaux, protéger le site des intempéries et le mettre en sécurité", souligne Pierluigi Pericolo. "Il sera posé sur les maçonneries, il faut donc s’assurer qu'elles ne vont pas s’effondrer", abonde Charlotte Hubert. "Le temps et le soin que nécessite l'expertise sont vertigineux. Et il n'y a pas d'édifice comparable sur lequel on peut reporter le calque", insiste-t-elle.

C'est seulement à ce moment-là que pourra se dessiner le projet de restauration. Quels travaux seront alors à mener ? Que faudra-t-il changer ? Mais surtout, reproduira-t-on à l'identique ce qui a existé ? Ou s'agira-t-il "de réinventer Notre-Dame comme les générations avant nous", tel que le suggère Jean-François Martins, adjoint à la mairie de Paris chargé du tourisme ? 

Le débat entre le copier-coller et la réinterprétation aura forcément lieu. La question se pose sur bon nombre d’édifices. Pour Notre-Dame de Paris, on ne peut pas y échapper car il ne reste pas de charpente, dévorée par les flammes. L'image globale du monument est touchée.

Charlotte Hubert

à franceinfo

De nombreuses entreprises seront sollicitées, des appels d'offres lancés et le ministère de la Culture aura certainement son mot à dire. Mardi soir, le chef de l'Etat s'est avancé sur le calendrier, en annonçant vouloir rebâtir la cathédrale "d'ici cinq ans". Mais pour les spécialistes interrogés par franceinfo, le chantier pourrait prendre bien plus longtemps. "Cela risque de prendre des décennies, car il faut faire appel à beaucoup de corps de métiers spécialisés, comme des sculpteurs ou des architectes spécialistes, estime Grégory Teillet, spécialiste de l'architecture médiévale et chargé du mécénat au ministère de la Culture. On reconstruit désormais en tenant compte des transformations ultérieures, pas uniquement sur la base du projet originel."

Il rappelle l'existence de la charte de Venise, créée dans ce but en 1964 et signée par une quinzaine de pays, dont la France. "Lorsque les techniques traditionnelles se révèlent inadéquates, la consolidation d'un monument peut être assurée en faisant appel à toutes les techniques modernes de conservation", stipule par exemple l'article 10. "Cela concerne surtout les parties visibles. Sur la charpente par exemple, ça m'étonnerait qu'on reconstruise avec du bois. Quand la cathédrale de Chartres a brûlé en 1840, on a rebâti la charpente en métal. [Pour la reconstruction de Notre-Dame], il est possible qu'on parte là-dessus", juge Grégory Teillet.

Autre possibilité : suivre l'exemple de la cathédrale de Reims, meurtrie par la Première Guerre mondiale et totalement rénovée vingt ans après. Sur décision de l'architecte Henri Deneux, la nouvelle charpente est en béton. Il a pris "une décision audacieuse pour que l'édifice ne traverse plus jamais la même épreuve", rappelle France 3 Grand Est.

"On est là pour prendre soin de Notre-Dame"

Du béton pour remplacer la "forêt", surnom de la charpente de Notre-Dame partie en fumée ? L'idée ne plaît déjà pas à tout le monde. Mardi, la filière bois a fait assaut de propositions pour la reconstruction du toit. L'une des idées évoquées, à l'initiative de la fondation Fransylva, qui regroupe les 3,5 millions de propriétaires privés de forêts en France, propose que chaque propriétaire forestier donne un chêne pour la reconstruction.

"On utilisera des techniques plus modernes pour trouver la ressource nécessaire, mais il y aura des difficultés pour trouver la matière. Avant de la revoir comme lundi à 17 heures, il faudra des décennies", avance lui aussi Julien Lecarme, compagnon du devoir responsable de l'Institut de la charpente et de la construction bois. Et d'expliquer à franceinfo : "Quand on a planifié la construction de Notre-Dame au début du XIIe siècle, la sylviculture était organisée pour produire l'architecture gothique. On a planté des arbres et ils étaient mûrs quand on en a eu besoin."

L'architecte Charlotte Hubert, espère que "la France donnera les moyens de restaurer et au plus vite" quelle que soit la solution choisie. "Cela va prendre énormément de temps, c'est tout ce qu'on peut dire, ajoute l'architecte encore bouleversée. Mais on est là pour Notre-Dame, une équipe va prendre soin d’elle car on sait le faire."

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