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Ignorée, détestée puis adulée... Le tragique destin de la flèche de Notre-Dame, détruite lors de l'incendie de lundi

L'édifice s'est effondré lundi au cours de l'incendie qui a ravagé la cathédrale de Notre-Dame. S'il est aujourd'hui pleuré dans le monde entier, il n'a pas toujours connu une telle popularité. Loin de là même...

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris en feu, lors de l'incendie du 15 avril 2019. (JEAN MARIE LERAT/SIPA)

Elle faisait partie du paysage de la capitale, du haut de ses 93 mètres. Édith Piaf chantait en 1952 les louanges de "la vieille flèche, qui lèche le plafond gris de Paris". Pourtant, la flèche de Notre-Dame, qui s'est effrondrée dans le brasier lundi 15 avril, n'a pas toujours eu la forme que nous lui connaissions. Petit retour en arrière.

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Oubliez les statues vert-de-gris et les 93 mètres de haut. L'architecte qui conçoit le projet de Notre-Dame de Paris en 1163 voyait moins grand pour son projet de flèche. La méthode de construction ne se prêtait, en effet, guère aux folies, bien que l'époque soit à la course à la hauteur pour bâtir un monument toujours plus près de Dieu. Comme on démolissait l'église d'origine pour bâtir Notre-Dame tranche par tranche – et tout en y continuant les offices religieux – la flèche n'a été réalisée qu'à la toute fin de la construction, vers 1250.

Décapitée sous le règne de Louis XVI

Cinq cloches symboliques y seront ajoutées en cours de route – les authentiques clochers, ce sont les deux tours majestueuses – et le tour est joué. "Si vous voulez vous faire une idée de quoi elle avait l'air, on estime qu'il y a la même en modèle réduit au collège de Beauvais, aujourd'hui devenue la cathédrale roumaine de Paris", illustre sur franceinfo Grégory Teillet, spécialiste de l'architecture médiévale et responsable du mécénat au ministère de la Culture. On peut aussi la voir sur une enluminure extraite des Très riches heures du duc de Berry, des frères Limbourg, à l'arrière-plan, en compagnie de la Sainte-Chapelle.

La cathédrale est entretenue régulièrement pendant des siècles, jusqu'à la terrible période de vaches maigres du règne de Louis XVI. La flèche de la cathédrale, qui commençait à dangereusement gîter à cause des vents violents, est finalement démontée entre 1786 et 1792. Si le vent ne s'en était pas chargée, les révolutionnaires auraient probablement fini le travail tout de même. A l'époque, les pétitions pour abattre les plus hautes flèches de la capitale se multiplient, et celle de la Saint-Chapelle est bazardée sans autre forme de procès. Notre-Dame est décapitée, et il faut attendre le célèbre roman de Victor Hugo, datant de 1831, pour qu'on s'en émeuve réellement. Le sacre de Napoléon en 1804 a ainsi eu lieu dans une cathédrale qui tombe en ruine – "au point qu'on a caché la misère avec des tentures et des frises en bois", souligne Grégory Tellier.

"Rénover, ce n'est pas réparer ou refaire"

Le tout jeune inspecteur national des monuments historiques, Prosper Mérimée, n'a qu'une confiance très limitée dans l'architecte de la ville de Paris et organise en 1843 un concours de projets arbitré par l'Assemblée nationale pour court-circuiter la procédure habituelle. A ce petit jeu, c'est l'attelage composé d'Eugène Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste-Antoine Lassus qui décroche la mise. Avec une conception très personnelle du concept de restauration : "Restaurer un édifice, écrit l'architecte dans son Dictionnaire raisonné de l'architecture française, ce n'est pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet, qui peut n'avoir jamais existé à un moment donné."

Malins, les concepteurs jouent la sobriété au moment de solliciter la générosité des députés. Pas question de leur faire peur avec un projet de flèche pharaonique.  "Dans le projet initial, on ne parlait pas trop de la flèche", souligne Françoise Bercé ancienne directrice du Centre de recherche sur les monuments historiques et autrice d'une monographie sur l'architecte. "On accentue le côté nécessaire du projet, l'importance de stabiliser l'édifice en renforçant les contreforts. Il ne fallait pas donner au chantier un côté trop politique et religieux." La Révolution française est encore fraîche, et une autre a déjà suivi en 1830. "Mais bien sûr que Viollet-le-Duc avait cette idée dans un coin de sa tête."

C'était un peu la cerise sur le gâteau.

Françoise Bercé

à franceinfo

Quand les travaux s'interrompent lors des troubles de 1848, la presse se déchaîne sur l'architecte accusé de façonner Notre-Dame de Paris à sa sauce. "Il cherche l'état idéal, originel du monument. C'est vrai qu'aujourd'hui, on ne restaure plus du tout de la même façon, on ne gomme plus l'état historique d'un édifice, le passage du temps", explique Jean-Marc Hoffman, commissaire général de l'exposition consacré à l'architecte à la Cité de l'architecture en 2014.

Du bois, du plomb et de la mégalomanie

Le moment propice arrive après le coup d'Etat de décembre 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte, devenu Napoléon III. Viollet-le-Duc n'est plus un architecte parmi d'autres, il est celui qui bénéficie d'un crédit illimité auprès de l'Empereur. Au sens propre comme au figuré. Comme d'habitude, l'architecte ne reproduit pas ce qui se fait à la période médiévale, mais propose sa vision d'un Moyen-Âge au carré, avec une flèche plus haute, plus fine, sans cloches mais avec les statues des apôtres et des évangélistes qui n'étaient pas présentes à l'origine. L'édifice de 500 tonnes de bois et 250 tonnes de plomb ne repose plus sur la charpente, mais sur les piliers pour stabiliser l'édifice. Le tout sur un modèle proche de la flèche de la cathédrale d'Orléans, sept siècles postérieur à l'époque qu'il veut recréer.

La flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris conçue par l'architecte Viollet-le-Duc au moment de la restauration de l'édifice, au milieu du XIXe siècle. (GODONG / UNIVERSAL IMAGES GROUP EDITORIAL / GETTY IMAGES)

Notez au passage que le visage de la statue de Saint-Thomas fichée sur la flèche  n'est autre que celui de Viollet-le-Duc. Un brin mégalo ? "C'est une tradition qui se faisait beaucoup au Moyen-Age de représenter le chef de chantier sur une statue, défend Françoise Bercé. Je ne pense que ce soit lui qui ait demandé à être représenté. En revanche, c'est probable qu'il ait choisi sciemment Saint-Thomas." Celui qui ne croit que ce qu'il voit, l'un des axiomes des francs-maçons dont l'architecte était proche.

Dernier ajout en date, celui de trois reliques dans la girouette surplombant la flèche, en 1935 : une petite parcelle de la Sainte Couronne d'épines, une relique de Saint-Denis et une de Sainte-Geneviève. Un paratonnerre religieux qui devait empêcher le ciel de tomber sur la tête de la cathédrale. C'est du sol qu'est venu le coup fatal qui emporta la flèche dans les flammes.

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