Incendie de Notre-Dame : ce qu'il faut savoir sur les taux de plomb supérieurs aux normes relevés autour de la cathédrale
Une concentration exceptionnelle de ce métal lourd a été mesurée autour de l'édifice incendié. Si les autorités se veulent rassurantes, des riverains s'inquiètent et une association a porté plainte contre X vendredi.
Après l'incendie, l'inquiétude et les accusations. Vendredi 26 juillet, plus de trois mois après le sinistre qui a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris, l'association Robin des Bois a déposé plainte contre X, notamment pour "mise en danger de la vie d'autrui", a appris franceinfo lundi 29 juillet, confirmant une information du Monde. Elle s'inquiète de la pollution au plomb relevée depuis la catastrophe du 15 avril, estimant que la communication des pouvoirs publics n'a pas été suffisante au regard des risques encourus par la population.
Le 4 juillet, une enquête de Mediapart (article payant) révélait de son côté que des taux de concentration importants de plomb et de poussières de plomb avaient été relevés sur les sols aux alentours du bâtiment, où près de 400 tonnes de plomb ont brûlé lors de la destruction du toit et de la flèche. Des mesures rendues publiques par les autorités le 19 juillet, mais dont la gravité fait débat. Reste que, depuis, deux écoles ont notamment été fermées pour être nettoyées, et que le chantier de rénovation de la cathédrale a été suspendu le temps de remettre à plat les règles de sécurité. Franceinfo vous explique ce que l'on sait de la réalité de cette pollution.
Des taux exceptionnels relevés
Entrant dans l'organisme par inhalation ou par ingestion, le plomb peut se diffuser dans le cerveau, le foie, les reins et les os. Et une exposition aiguë ou chronique à des niveaux élevés entraîne des troubles digestifs, une perturbation des reins, des lésions du système nerveux ou des anomalies de la reproduction. L'intoxication au plomb – plus connue sous le nom de saturnisme – touche en particulier les enfants. "Il n'existe pas de concentration de plomb dans le sang qui soit sans danger", avertit l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Or, expliquent Le Monde et Mediapart, près de 400 tonnes de plomb sont parties en fumée lors de l'incendie de Notre-Dame en avril, retombant aux alentours de la cathédrale sous forme de poussière.
Dans les jours qui ont suivi, plusieurs laboratoires, dont celui de la préfecture de police de Paris, ont mesuré la quantité de plomb sur les sols, à l'intérieur et autour de Notre-Dame. Selon Mediapart, ils ont relevé des taux de 10 à 740 fois supérieurs à ce que le site décrit comme le seuil maximal autorisé (1 000 μg/m2) à l'intérieur de la cathédrale, jusqu'à 500 fois sur le parvis et de 2 à 800 fois dans les rues alentour. Pour compliquer les choses, le seuil de 1 000 μg/m2 est le maximum autorisé en intérieur : il n'existe pas de recommandations sanitaires concernant les poussières de plomb sur la voie publique, explique Le Monde.
Quoi qu'il en soit, une chercheuse à l'Inserm et spécialiste de la santé publique, Annie Thébaud-Mony, explique à Mediapart que "ce sont des taux qu'on ne voit jamais".
Sur des chantiers pollués comme une usine de recyclage de batteries, par exemple, les taux sont douze fois supérieurs. Là, avec des taux 400 fois supérieurs, les conséquences pour la santé peuvent être dramatiques.
Annie Thébaud-Mony, chercheuse à l'Insermà Mediapart
Une cartographie de prélèvements réalisés entre mai et juillet, mise en ligne par l'Agence régionale de santé (ARS) le 19 juillet, deux semaines après l'article de Mediapart, montre que l'on a relevé des valeurs allant de 36 000 à 955 150 μg/m2 en surface sur le parvis de Notre-Dame, fermé au public depuis l'incendie. Des taux à cinq chiffres sont également observables sur les quais proches de la cathédrale : notamment 28 400 μg/m2 à proximité de la fontaine de la place Saint-Michel, très fréquentée et toujours ouverte aux passants. A titre de comparaison, Le Monde rappelle que l'ARS considère que la valeur habituelle mesurée à Paris est 5 000 μg/m2.
Dans un communiqué, le 5 juillet, l'ARS avait reconnu la présence de "valeurs élevées", mais apporté des éléments de nuances, relevant que celles-ci pouvaient être "très hétérogènes à quelques dizaines de mètres", qu'il est impossible de savoir quelle part de cette concentration de plomb est antérieure à l'incendie, et, surtout, "qu'aucune norme sanitaire n'existe comme point de référence concernant les poussières extérieures".
Une communication tardive et critiquée
Depuis des mois, la question fait débat. De nombreuses voix se sont fait entendre pour reprocher aux autorités d'avoir tardé à communiquer sur la question de la pollution. C'est le 27 avril, douze jours après l'incendie, et une semaine après que l'association Robin des Bois a demandé la "décontamination" du site, que la préfecture de police et l'ARM ont mentionné pour la première fois la présence de plomb sur les sols autour de Notre-Dame, dans un communiqué. Les autorités évoquent alors surtout "des locaux qui ont pu être laissés ouverts au moment de l'incendie" et les riverains sont invités à faire le ménage "à l'aide de lingettes humides". Pour ce qui est de l'espace public, elles assurent que les zones concernées, en particulier les jardins aux abords de la cathédrale, "sont d'ores et déjà interdites au public".
Aucun chiffre n'est alors rendu public. Selon Mediapart, cette position est maintenue lors d'une réunion organisée par l'ARS le 6 mai. Dans un communiqué, trois jours plus tard, est mentionnée la présence de "poussières (...) dans les étages supérieurs de locaux administratifs donnant sur la cathédrale", sans plus de détails. La pollution à l'extérieur n'est mentionnée qu'en termes de pollution dans les sols, mais pas en surface.
Mais le sujet refait surface début juillet, après la publication de l'enquête de Mediapart. Le soir même, l'ARS confirme dans un nouveau communiqué que les prélèvements de poussière autour de Notre-Dame montrent "ponctuellement des valeurs élevées", mais ne précise pas leur localisation et ne commente pas les chiffres avancés par le site. Elle assure que "ces résultats n'appellent pas à ce stade de mesure de protection particulière".
Ce n'est que le 19 juillet que l'ARS met en ligne une cartographie de mesures réalisées entre mai et juillet, accompagnée d'un avis sanitaire. Reconnaissant que les prélèvements supérieurs à la teneur "environnementale" de plomb ne se limitent pas au parvis (fermé au public), elle recommande pour la première fois, le temps que le nettoyage se poursuive, "d'adopter des usages adaptés dans ces espaces de sorte à limiter le risque d'ingestion de plomb par des comportements mains-bouche", comme "ne pas pique-niquer ou s'asseoir dans ces espaces" et "ne pas y faire jouer des enfants".
Des mesures de précaution dans les écoles et des consignes pour les riverains
Les autorités ne se sont pas contentées de fermer le parvis et les jardins environnant. Signe que la situation n'est pas anodine, la préfecture de police de Paris a recommandé fin avril aux riverains de Notre-Dame, qu'il s'agisse de particuliers ou d'entreprises, "de procéder au ménage de leur habitation ou local (...) à l'aide de lingettes humides" pour éliminer les poussières de l'incendie. Puis, début mai, c'est l'ARS qui leur a conseillé de "laver fréquemment les jouets des enfants et autres objets qu'ils sont susceptibles de porter à la bouche", et de ne pas se ronger les ongles.
Depuis le 3 juin, les femmes enceintes et les enfants de moins de 7 ans vivant sur l'île de la Cité sont même invités à consulter leur médecin et à se faire prescrire une plombémie, pour évaluer leur taux de plomb dans le sang. Une mesure de "précaution", affirme l'ARS, décidée après la découverte d'un cas d'enfant présentant un taux de plomb préoccupant, mais dont on ne sait pas encore s'il est lié à l'incendie ou à "d'autres facteurs". Le conseil ne concerne, en revanche, que les habitants de l'île de la Cité, et non des quartiers alentour.
Les écoles et crèches du quartier sont aussi un sujet d'inquiétude. Début juillet, la mairie de Paris indiquait y avoir effectué des prélèvements, tous "inférieurs aux normes tolérées", indiquait le premier adjoint Emmanuel Grégoire à l'AFP. Mais, le 18 juillet, la municipalité apportait une précision : c'est le niveau moyen relevé dans chaque établissement qui ne dépasse pas le "seuil d'information". Ce qui n'exclut pas que le taux de plomb soit dépassé ponctuellement.
Par la même occasion, la mairie a annoncé un "nettoyage approfondi" de ces écoles, "pour nous assurer que le risque est minime" – tout en expliquant que ce nettoyage était de toute façon réalisé tous les étés. Le matin même, Mediapart avait accusé la mairie de "passer sous silence des contaminations au plomb dans les écoles", évoquant des taux de plomb "parfois dix fois supérieurs au seuil d'alerte".
La ville de Paris a finalement décidé de fermer, le 26 juillet, deux écoles du 6e arrondissement de Paris, restées ouvertes l'été dans le cadre d'un centre de loisir, "par mesure de précaution". Des taux en plomb supérieurs à 5 000 μg/m2 y avaient été relevés dans les cours extérieures, bien qu'un tel niveau "n'expose pas à des dangers sanitaires avérés", a rappelé Emmanuel Grégoire sur franceinfo.
Autre découverte de nature à inquiéter les riverains : des dépôts "un peu collants" de plomb ont été retrouvés sur les sols de la station Saint-Michel du RER C, a annoncé la RATP le 21 juin, et le lien avec l'incendie de Notre-Dame a été jugé "plausible" par les experts. Une découverte fortuite, fait à l'occasion de prélèvements préalables à des travaux. La gare a dû être fermée plusieurs jours pour la nettoyer. En revanche, des mesures réalisées dans les autres gares de métro et de RER proches de la cathédrale n'ont pas révélé de problèmes similaires.
Des ouvriers exposés sur le chantier
Dans son article du 4 juillet, Mediapart relevait un autre problème : sur le chantier de reconstruction de la cathédrale, l'inspection du travail a relevé "le non-respect des procédures réglementaires" et "de graves dysfonctionnements des sas de décontamination". Certains ouvriers manipulaient des gravats contaminés "sans masque ni gants", dans une zone particulièrement exposée au plomb, et "n'avaient reçu aucune formation" adaptée à ce risque.
Le préfet d'Ile-de-France a reconnu le problème, le 25 juillet : citant le rapport de l'inspection du travail, il a expliqué que celle-ci avait constaté que les règles de précaution "n'étaient pas suffisamment" et pas "systématiquement appliquées", et que "les installations de décontamination sont sous-dimensionnées". Il a annoncé la suspension du chantier pour "quelques jours", afin de "mettre à plat" les pratiques. Une pause décidée trois semaines après l'article de Mediapart.
Une source proche du dossier livrait au site une explication à ce manque de précautions : selon elle, la mairie avait proposé une décontamination du parvis par des hommes équipés de scaphandres. Mais "des hommes en scaphandre sur le parvis de la cathédrale auraient effrayé les passants. L'existence d'un danger aurait été évidente", analyse cette source anonyme. Selon Mediapart, le ministère de la Culture a donc préféré faire décontaminer la zone "en quelques jours seulement, par des salariés peu protégés, et n'ayant pas revêtu les tenues d'usage". Des opérations qui n'ont pas suffi à complètement éliminer la pollution au plomb du parvis.
L'association Robin des Bois, qui a déposé plainte, s'inquiète pour ces ouvriers mais aussi pour les agents de la ville de Paris chargés de balayer la zone, sans davantage de précautions, explique Le Monde. Le journal explique également que le collectif fédéral CGT des services départementaux d’incendie et de secours s'est enquéri, dans un courrier au commandement de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, des "mesures prises pour les agents" qui sont intervenus lors de l'incendie. Et n'a pas encore reçu de réponse.
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