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Incendie de Notre-Dame : en faisant des dons, les milliardaires paient-ils plus d'impôts ?

Le journaliste Nicolas Beytout, fondateur de "L'Opinion", l'affirme, mais le mécanisme de réduction fiscale accordée aux mécènes est en réalité bien différent.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Francois-Henri Pinault, PDG du groupe de luxe Kering, le 12 février 2019, lors de la présentation des résulats de l'entreprise pour 2018, à son siège de Paris. Le milliardaire s'est engagé à donner 100 millions d'euros pour la reconstruction de Notre-Dame. (ERIC PIERMONT / AFP)

"Chaque fois que ces gens-là, milliardaires, millionnaires ou pas, donnent de l'argent, ils décident de payer plus d'impôts." C'est l'affirmation faite par le jounaliste économique Nicolas Beytout sur le plateau de "C à vous" sur France 5, mercredi 17 avril. Le fondateur du quotidien libéral L'Opinion répondait à la polémique qui enflait autour de l'éventuel intérêt fiscal des grandes fortunes françaises à donner des centaines de millions d'euros pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, après le terrible incendie qui l'a ravagée.

Ces propos ont interloqué "Sherlockette" qui a demandé à franceinfo de confirmer ou d'infirmer leur exactitude, dans le cadre de la rubrique vrai ou fake.

Le raisonnement de Nicolas Beytout est appuyé par un ancien journaliste de L'Opinion, qui a donné cet exemple dans un tweet.

Chiffre d'affaires et revenu imposable

Le ministère de la Culture détaille le fonctionnement de la réduction d'impôt à laquelle le mécénat donne droit aux particuliers. Les contribuables qui donnent de l'argent à un organisme ou une œuvre bénéficient d'une réduction de leur impôt sur le revenu égale à 66% de la somme qu'ils versent, dans la limite de 20% de leur revenu imposable. Si votre revenu imposable est de 100 000 euros et que vous choisissez de donner 10 000 euros à une association, vous réaliserez donc une économie de 6 600 euros sur votre impôt. Et si le plafond de 20% des revenus est dépassé, le bénéfice de la réduction peut être reporté sur les cinq années suivantes.

Les entreprises françaises investissant dans le mécénat peuvent également déduire de leurs impôts 60% des dépenses engagées par leurs dons, dans la limite de 0,5% de leur chiffre d'affaires, depuis la loi Aillagon de 2003. Ainsi, si une entreprise réalise un milliard d'euros de chiffre d'affaires et donne cinq millions, elle profitera d'une économie de trois millions sur son impôt. Et là aussi, le bénéfice de la réduction fiscale peut être étalé sur cinq ans, en cas de dépassement du plafond, comme l'explique le site service-public.fr.

Dans le cas d'un "versement en faveur de l'achat public de biens culturels présentant le caractère de trésors nationaux ou un intérêt majeur pour le patrimoine national", la réduction fiscale grimpe même à 90% du montant du don, dans la limite de 50% de l'impôt dû. Et il est bien stipulé que "la réduction d'impôt vient en soustraction du montant d'impôt sur les sociétés ou d'impôt sur le revenu dû par l'entreprise donatrice lors de l'année des versements".

"Un manque à gagner" pour l'Etat

Cette incitation fiscale au mécénat n'est pas sans conséquences, pointe sur franceinfo Françoise Benhamou, spécialiste de l’économie de la culture et professeure à Sciences Po. "Ça induit une dépense fiscale qui est importante pour l’Etat. C’est un manque à gagner qui était de l’ordre de 90 millions en 2004 et de 900 millions en 2016 et 2017. C’est un rapport de la Cour de comptes qui l’a souligné en disant qu’on était allé très loin dans ces déductions fiscales et les avantages qu’elles apportaient." 

Et le projet de loi spécial en préparation pour la reconstruction de Notre-Dame pourait encore aggraver la situation, puisqu'il entend offrir une réduction d'impôt de 75% jusqu'à 1 000 euros de dons pour la restauration de la cathédrale. Par conséquent, "il est totalement faux d'affirmer que, quand on donne de l'argent, on paie plus d'impôts", tranche dans un tweet le journaliste des Jours Nicolas Cori, dénonçant une "défense des riches (...) mensongère"

Une analyse confirmée à franceinfo par Fabrice de Longevialle, auteur de Comment payer moins d'impôts (éditions Eyrolles). Le spécialiste de la fiscalité du patrimoine fait d'ailleurs remarquer que les 200 millions d'euros de dons promis par le groupe LVMH et la famille Arnault pour Notre-Dame de Paris correspondent à 0,4% des 46,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires du groupe de luxe français.

Bernard Arnault, PDG de LVMH, a répondu lors de l'assemblée générale des actionnaires que la loi sur le mécénat ne s'applique pas à la société familiale, qui ne réalise pas de chiffre d'affaires, et que pour le groupe LVMH, le plafond est atteint avec la Fondation Louis Vuitton. Son don ne sera donc pas défiscalisé. S'il est indéniable qu'un contribuable se montre généreux en dépensant une partie de ses deniers en dons et en mécénat, il est en revanche faux de dire, comme l'a fait Nicolas Beytout, que son geste le conduit à payer plus d'impôts. Il débourse certes plus d'argent, mais il en reverse moins dans les caisses de l'Etat.

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