Interview : à Tombouctou, les islamistes veulent "montrer leur force"
Quel rôle Tombouctou a-t-il joué dans l’histoire et quel type de monuments y trouve-t-on?
Je voudrais d’abord parler de l’origine de la cité, plus exactement de sa légende fondatrice. A l’origine, il y aurait eu une femme touareg, appelée Bouctou, qui aurait construit un puits sur le site. Un site qu’on aurait ensuite appelé Tombouctou, nom signifiant «celle du puits de Bouctou».
Sur le plan historique, la ville a subi l’influence de plusieurs empires subsahariens. Entre le XIVe et le XVIe siècle, elle a joué un rôle commercial considérable: elle était alors un carrefour d’échanges entre l’Afrique soudanienne à l’est, le Maghreb et l’Europe au nord. A la même époque, elle fut un grand centre intellectuel et religieux de l’islam, comme le montrent les manuscrits, datant du XIIe, écrits en arabe et en peul. 100.000 d’entre eux ont été déposés dans la grande bibliothèque de Tombouctou, l’institut Ahmed Baba.
Au XIVe et XVe, la ville comptait 100.000 habitants, dont 25.000 étudiants. L’une de ses trois mosquées, la mosquée Sankoré, avec sa medersa (école coranique), a connu un rayonnement dans toute l’Afrique de l’Ouest. Petite précision intéressante dans le contexte actuel : ce lieu de culte aurait été construit par une vieille femme. Il y a aussi la fameuse mosquée Sidi Yahia, dont la porte en bois a été détruite par les gens d’Ansar el-Dine. Laquelle avait une fonction protectrice : celle de protéger les fidèles de la fin du monde.
Sur le plan architectural, il faut aussi parler des mausolées de saints ainsi que des stèles placées au-dessus des tombes de ces derniers. Tous ces monuments sont construits en argile agglomérée et relèvent de ce qu’on appelle le style soudanais, commun à toute la zone. On voit le même genre de monuments à Agadès, au Niger.
On parle de Tombouctou comme la «ville des 333 saints». Pourquoi ?
En ce qui concerne le chiffre de 333, il a peut-être une portée symbolique, mais là, je ne peux pas vous en dire plus. Quant à savoir s’il y a effectivement 333 saints, je ne sais pas, je ne les ai pas comptés !
Une chose est sûre : il s’agit de personnages religieux qui ont vécu entre le XIIIe et le XVe siècle, réputés pour leurs connaissances et leur aura morale. Leur culte a une fonction protectrice, comme celle des saints patrons dans la religion chrétienne.
Il faut préciser au passage que ces croyances, qui remontent parfois à l’époque préislamique, existent dans le cadre de l’islam. Elles sont régies par lui.
Mais alors pourquoi des musulmans, en l’occurrence ceux du groupe armé Ansar el-Dine, s’en prennent-ils à des lieux saints musulmans ?
En ce qui concerne la porte de Sidi Yahia, les membres de ce groupe salafiste jihadiste, composés de nombreux touaregs et maures locaux, ont voulu faire la démonstration que son ouverture n’allait pas provoquer la fin du monde, qu’une telle croyance était impie. J’insiste sur le terme «jihadiste» car tous les salafistes ne relèvent pas nécessairement de cette tendance.
Ceux d’Ansar el-Dine (en arabe «les défenseurs de la foi») n’ont pas apprécié la démarche de l’UNESCO qui a inscrit Tombouctou sur la liste du patrimoine mondial en péril. Eux pensent que cette organisation est entre les mains des idolâtres et des mécréants, donc des chrétiens. Ils ont voulu dire : «Nous, on fait ce qu’on veut !» Pour eux, la destruction des monuments est donc un moyen de montrer leur force.
Dans le même temps, ils entendent faire le vide au niveau des croyances locales, même si celles-ci existent dans l’islam. Pour eux, ces pratiques relèvent de gens qui se proclament musulmans mais ne le sont pas. Leur objectif ultime est d’appliquer la charia et de revenir aux règles premières de la religion musulmane, telles qu’elles ont été énoncées au XIIIe. Ils mènent ainsi une démarche idéologique et théologique qui s’oppose à l’islam tel qu’il est pratiqué au Mali, notamment au rite mystique soufi. Cette démarche repose donc sur une divergence d’interprétation du Coran.
Pour autant, cette composante idéologique s’inscrit évidemment dans un contexte plus large, notamment celui de pratiques militaires. Elle pose le problème du fanatisme dont les discours servent à recruter dans des régions où il y a de 30 à 40 % de chômeurs. Il faut aussi rappeler que les groupes qui se réclament du salafisme, en clair Al Qaïda au Maghreb (Aqmi) et ses alliés, dont Ansar el-Dine, vivent surtout de trafics en tous genres, notamment d’otages et de drogue.
Les manuscrits de Tombouctou
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