Invitation dans un hôtel particulier à la Cité de l'architecture
Elément constitutif de l'architecture, l'hôtel particulier est apparu au Moyen Age, édifié en ville, entre cour et jardin. Ce logis urbain est une exception française, puisque le palais était réservé en France à la famille royale, à la différence de l'Italie.
L'hôtel particulier était construit par les élites aristocratiques, financières, militaires ou la noblesse religieuse, puis par la grande bourgeoisie au XIXème siècle. Certains hôtels particuliers furent aussi bâtis pour les "cocottes". Comme l'hôtel de la Païva, sur les Champs Elysées, commandé par une aventurière russe d'origine polonaise, devenue marquise portugaise, puis comtesse prussienne.
Le commanditaire y imprime sa marque, son rang, ses goûts
Cet objet architectural né à la fin du Moyen Age, signe de la fin du féodalisme. Symbole d'un certain "art de vivre", l'hôtel particulier a une fonction sociale de représentation et de réception.
Cette fonction sociale est incarnée dans un plan bien particulier : on entre dans une cour, où chevaux et cochers peuvent pénétrer pour déposer les hôtes. L'hôtel particulier est conçu pour respecter un certain code de bienséance. On entre dans le vestibule, puis dans l'antichambre, avant d'être reçu (ou pas) par le maître des lieux, dans les salons ou dans la chambre. Pas de couloirs : les pièces sont organisées en "enfilade", on les traverse pour passer de l'une à l'autre. Pas de salle à manger non plus : on dresse la table dans la chambre à coucher.
Boiseries, plafonds peints, fresques, marbres, dorures, "La décoration y est souvent riche, parfois même ostentatoire", explique Laurence de Finance, directrice des Monuments Français à la Cité de l'architecture.
Paris a dévoré ses hôtels particuliers
Symbole de l'Ancien Régime, l'hôtel Particulier a survécu à la Révolution française. Il a même connu un âge d'or au XIXème siècle. Dans le Paris des Grands boulevards d'Haussmann, il peine néanmoins à trouver sa place. La modernisation de la ville, la surenchère des prix du terrain, l'abandon aussi d'un certain mode de vie, signent la fin de la construction de ce type d'édifice. Pire, on les détruit, pour faire de la place aux avenues, construire des immeubles, bref, gagner du terrain. Les derniers hôtels sont construits dans les années trente.
Paris a compté jusqu'à mille hôtels particuliers. Il en reste un peu plus de 300 aujourd'hui, dont beaucoup sont passés dans l'escarcelle de l'Etat et abritent des administrations, des musées. L'Elysée en est un, Matignon un autre. D'autres ont été vendus à de riches émirs comme l'hôtel Lambert, qui appartient aujourd'hui, à l'Emir du Qatar. D'autres encore comme le Palais Rose, détruit par la famille elle-même, dans l'incapacité d'en assumer la charge, et pour revendre le terrain.
"L'hôtel particulier symbolise et incarne une manière de vivre, luxueuse, avec sa domesticité, qui a disparu aujourd'hui." explique Laurence de Finance.
Invitation à l'hôtel
L'exposition de la Cité de l'architecture invite à découvrir cet élément du patrimoine architectural français par une visite en trois dimensions, puisqu'on entre dans l'exposition par la Cour, comme en vrai, foulant un sol pavé en trompe-l'œil. L'illusion se poursuit dans le vestibule, l'antichambre, le cabinet bibliothèque, la chambre, le salon. Espaces meublés de tableaux, d'éléments de décors, présentés comme dans une véritable demeure. "La scénographie conçue par Philippe Pumain se veut une évocation plus qu'une reconstitution.", explique Laurence de Finance.
L'histoire de quatre Hôtels emblématiques
Chaque demeure a son histoire, associée à son propriétaire. L'exposition propose un parcours chronologique, autour de quatre exemples d'hôtels et de leurs maquettes.
L'hôtel de Cluny, de style gothique flamboyant, est construit entre 1471 et 1500 par Jacques d'Amboise, abbé de Cluny, théologien érudit, pour marquer la présence de l'abbaye de Cluny dans la capitale. Au XIXème siècle, après avoir connu quelques détériorations durant la Révolution, l'Hôtel de Cluny est transformé en musée. L'édifice est l'un des rares vestiges du Moyen-Age qui subsiste à Paris.
L’hôtel Lambert est situé dans l’Ile Saint-Louis à Paris. Il a été construit pour un trafiquant notoire : Jean-Baptiste Lambert. À sa mort, c’est son frère Nicolas Lambert de Thorigny dit Lambert le Riche, président à la Chambre des comptes, qui en hérite. Il a appartenu à de nombreuses familles, notamment à la famille princière polonaise Czartoryski, qui y donnait des fêtes somptueuses, où se retrouvaient George Sand et Frédéric Chopin, Delacroix, Lamartine, Balzac, Berlioz, Liszt ... C'est pour le grand bal annuel Chopin compose de nombreuses polonaises.
Après la guerre, Michèle Morgan y habite un temps. En 1975, il devient la propriété de la famille Rothschild jusqu’en 2007, avant d'être vendu à un frère de l'Emir du Qatar, qui décide d'y faire des travaux importants (garage sous le jardin suspendu, climatisation, ascenceur...). Les travaux n'ont finalement pas été autorisés, préservant pour l'instant ce modèle d'architecture classique à la française.
L'hôtel de Thélusson a été construit en 1881 par une riche veuve d'un banquier genevois, Madame Thélusson. Elle souhaitait "une habitation ayant l'air plutôt modeste d'une retraite que l'apparence d'un riche hôtel." L'architecte, Claude-Nicolas Ledoux construit en fait un hôtel tout à fait extraordinaire, qui suscite un intérêt tel qu'on payait à l'époque le visiter. Ledoux fait le choix d'un plan entre cour et jardin, mais en inversant l'entrée d'honneur côté jardin, signalée par un imposant arc de triomphe. L'hôtel de Thélusson a été détruit en 1826 au profit du prolongement de la rue Laffitte et du lotissement du quartier.
Le Palais Rose symbolise toutes le folies de la Belle Epoque : profusion de marbre, faste inspiré de Versailles. Construit autour de 1900 par le Comte Boniface de Castellane, époux d'une richissime héritière américaine, le Palais Rose dessiné par l'architecte Ernest Sanson, incarne le goût français de la tradition et le mode de vie noble, poussés à leur extrême. Il s'agissait d'un palais conçu pour recevoir, deux chambres seulement, mais une véritable organisation pour la domesticité, au service de somptueuses fêtes mondaines. Le Palais Rose a été détruit en 1969 pour laisser place à un banal immeuble d'habitation.
Les hôtels particuliers ont leur appli
Une application invite à poursuivre l'exploration in situ, à l'aide d'une carte de Paris qui localise plus de 300 hôtels particuliers. Pour chacun d'entre eux, des illustrations, des informations et surtout une adresse ... Manière de redécouvrir Paris à travers ces trésors d'architecture. L'application gratuite est téléchargeable sur AppStore et AndroidMarket.
Cette exposition est une promenade passionnante dans l'histoire d'une architecture singulière, qui raconte aussi celle anecdotique des familles, mais aussi plus largement celle de Paris et de la France. Un voyage dans un autre temps, dans un monde aujourd'hui disparu.
L'hôtel particulier. Une ambition parisienne jusqu'au 19 février 2012
Cité de l'architecture & du patrimoine
Galerie haute des expositions temporaires
1 place du Trocadéro
75016 Paris
Plein tarif : 8 € / Tarif réduit : 5 €
A LIRE :
Les hôtels particuliers de Paris, du Moyen Age à la Belle Epoque
Nouvelle édition à l'occasion de l'exposition.
Textes d'Alexandre Gady, photographies de Gilles Targat
Éditions Parigramme
L'hôtel particulier. Une ambition parisienne
Hors série de la revue "Connaissance des Arts"
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.