L'écriture inclusive sur la sellette au Sénat
"Il faut permettre à cette langue (française) de vivre (...) mais en garder aussi les fondements, les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe, et ne pas céder aux airs du temps", a déclaré Emmanuel Macron lundi 30 octobre, au jour de l'inauguration par le président de la République de la Cité internationale de la langue française dans le château de Villers-Cotterêts. Le hasard du calendrier a fait correspondre cette inauguration avec l'examen dans la soirée d'une proposition de loi de la droite sénatoriale visant à "protéger" le français "des dérives de l'écriture dite inclusive", un texte jugé "rétrograde" par la gauche.
"Iel" et "celleux"
Les discussions devraient être animées au Sénat, le texte de la sénatrice Les Républicains Pascale Gruny prévoyant de bannir l'écriture inclusive "dans tous les cas où le législateur (et éventuellement le pouvoir réglementaire) exige un document en français". "Dans cette langue, le masculin fait le neutre, on n'a pas besoin d'ajouter des points au milieu des mots, ou des tirets, ou des choses pour la rendre lisible", a ajouté le chef de l'Etat dans une offensive suggérée envers l'écriture inclusive.
Un large panel de documents écrit serait concerné par une telle réforme : les modes d'emploi, les contrats de travail, les règlements intérieurs d'entreprises, mais aussi les actes juridiques, qui seraient alors considérés comme irrecevables ou nuls si la mesure venait à être appliquée. Les sénateurs demandent l'interdiction des "mots grammaticaux" constituant des néologismes tels que "iel", une contraction de "il" et "elle", ou "celleux", contraction de "celles" et "ceux".
Projet "inconstitutionnel" pour la gauche
"C'est une pratique qui est justement contraire à l'inclusion", plaide auprès de l'AFP le rapporteur (rattaché LR) Cédric Vial. "Les plus impactés par son utilisation sont en effet les personnes en situation de handicap et d'illettrisme, ou atteintes de dyslexie". Adopté et même renforcé en commission mercredi dernier, le texte suscite l'indignation d'une partie de la gauche. "C'est un texte inconstitutionnel, rétrograde et réactionnaire, qui s'inscrit dans un courant conservateur de longue date de lutte contre la visibilisation des femmes", s'offusque le sénateur socialiste Yan Chantrel.
Qualifiée de "péril mortel" par l'Académie française, mais à l'inverse outil de lutte contre les inégalités femmes-hommes pour ses défenseurs, l'écriture "dite inclusive" désigne selon l'auteure du texte "les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à introduire des mots grammaticaux constituant des néologismes ou à substituer à l'emploi du masculin, lorsqu'il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l'existence d'une forme féminine".
Toute l'interprétation réside dans ce qu'englobe cette notion de "masculin générique". Pour le rapporteur, il n'y a par exemple "pas de problème" avec l'utilisation de la "double flexion", qui vise à décliner le pendant féminin d'un mot, comme "les sénateurs et les sénatrices" au lieu de "les sénateurs". Le fameux point médian, comme dans "sénateur.rice.s", lui, est clairement visé. Celui-ci est déjà proscrit dans l'enseignement par une circulaire de 2021 de l'ex-ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer.
Risque d'annulation des pièces d'identité
Yan Chantrel fait remarquer que la rédaction actuelle du texte rendrait nulles toutes les pièces d'identité éditées sous l'ancien format, où figure la mention "né(e) le" pour la date de naissance. Cédric Vial assure, lui, que cela n'entre pas dans le champ d'un "masculin générique".
La proposition de loi a de bonnes chances d'aboutir à une adoption compte tenu de la domination de la droite et du centre à la chambre haute, ce qui serait une première au Parlement. Mais rien n'assure qu'elle sera reprise ensuite par l'Assemblée : une proposition similaire du Rassemblement national a en effet été retirée en cours d'examen en octobre alors qu'elle se dirigeait vers un rejet.
L'interdiction de l'écriture inclusive existe actuellement dans une circulaire de 2017, prise par l'ex-Premier ministre Édouard Philippe. Celle-ci "invitait" les ministres, "en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l'écriture dite inclusive".
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