La Sagrada Familia à Barcelone, cathédrale toujours en chantier depuis 135 ans : et si Gaudí avait été trahi ?
Lorsqu’Antonio Gaudí meurt en 1926, écrasé par un tramway, seule une façade et un campanile ont été construits. L'artiste laisse croquis et dessins de son oeuvre en construction. Seulement voilà, en juillet 1936, la Guerre civile, sanglante, embrase l’Espagne et les plans d’origine sont brûlés. Seul un plan demeure et il faudra s’en contenter. Un siècle plus tard, le résultat est controversé. Les successeurs de Gaudí auraient trahi sa pensée au profit d’intérêts privés. Autre problème majeur, la Sagrada Familia ne possède ni permis ni licence en règle. Elle a bénéficié jusque là d’un régime légal exceptionnel mais pour beaucoup, c’en est trop. La mairie de Barcelone n’a aucun contrôle sur l’avancement de ces travaux gigantesques qui empiètent de plus en plus sur la ville. Alors, entre les tenants du projet, les défenseurs de ce qui représente la puissance catalane au XIXème siècle et les opposants, le débat est ardu.
Reportage France 2 : A-C Hinet / B. Poulain / S. Ripaud / M. de la Laguerie
Gaudí trahi ?
Les travaux de la Sagrada Familia devraient prendre fin en 2026, 100 ans après la mort de Gaudí. Si cette date est éminemment symbolique, beaucoup dénoncent une cathédrale qui n'en finit plus de s’agrandir et des extensions qui n'auraient plus rien à voir avec le projet initial. Que reste-t-il aujourd’hui du style si particulier de Gaudí ? Lorsque Gaudí meurt en 1926, l’immense nef et ses impressionnantes colonnes n’existent pas. Moderniste, son idéal est celui d’une osmose entre le minéral et le végétal. Religieux, le temple expiatoire de la Sainte Famille se compose comme un immense poème mystique devant refléter l’histoire et les mystères de la foi chrétienne. Il était prévu que les trois façades représentent les trois étapes de la vie du Christ : la Nativité, la Passion, la Gloire. La croisée, elle, représente la Jérusalem céleste, symbole de la Paix éternelle.Pour le philosophe espagnol Josep Ramoneda, "la Sagrada est un contresens pompeux. C’est devenu un monstre tentaculaire et disproportionné". La Sagrada Familia, l’emblématique monument espagnol, de loin le plus visité du pays, n’aurait donc pas été fidèle au maître. Pour l’architecte Francesco Gual qui a notamment redessiné la ville pour les Jeux Olympiques, la réponse est sans aucun doute affirmative "Gaudí improvisait beaucoup, il réinterprétait la nature. C’est la texture de la pierre qui a donné ce résultat sur la façade. Sur la partie neuve de la Sagrada Familia, les formes, la textures, l’esprit, tout est différent."
Les esprits s’échauffent et les points de vue s’opposent, mais qui prendre pour arbitre ? Gaudí est mort, un seul vaste plan original demeure et en 135 ans de construction il a fallu faire des choix. Pour l’architecte en chef actuel, l’essentiel est que l’esprit de Gaudí soit respecté. "Qui d’autre aurait pu imaginer une telle forêt de pierres sans aucun précédent dans l’histoire de l’architecture ? Gaudí n’avait bien sûr pas dessiné tous ces détails, nous avons dû interpréter son projet initial" souligne-t-il. Le débat n’est pas simple, les partis pris souvent critiqués. L’affaire se complique car au-delà des polémiques esthétiques, c’est l’existence légale de la Sagrada Familia qui est remise en cause.
Un temple sans permis ni licence
Pour comprendre les origines de cette polémique, revenons en 1882 lorsque les premières pierres de la cathédrale sont posées. Quand débute la construction de l’édifice, la "place de la Sagrada Familia" n’est qu’une petite place publique d’un village catalan du nom de Saint-Marti. A la demande d’une association religieuse, l’architecte moderniste Antonio Gaudí se lance dans la construction d’un temple expiatoire, expression vivante de cette foi. Mais les années passent, Barcelone s’étend et finit par intégrer le petit village. Aucun permis légal n'est déposé auprès de la ville de Barcelone et les pouvoirs locaux ne se préoccupent pas de cette affaire. Un siècle plus tard, les travaux se poursuivent, l’extension atteint certains immeubles et des habitants sont menacés d’expropriation. Les riverains s’indignent, les politiques s'en mêlent. Une première polémique éclate en novembre 2016 lorsque le conseiller municipal de Barcelone lance un "on dirait un œuf de Pâques géant". Après tout, il s’attaque là à un monument sacré.La mairie de Barcelone promet alors de contrôler l’avancement des travaux, de limiter l’extension de la Sagrada Familia. Mais, problème, l'édifice étant entièrement financé par les tickets d’entrées et par les dons personnels, la ville n’a en réalité aucune prise sur cet édifice. Depuis 135 ans, aucun impôt n’a été reversé à Barcelone. Conflit d’intérêts ? En 1979, à la fin du franquisme, un accord est passé avec le Vatican pour autoriser l’Eglise Espagnole à être exonérée d’impôt foncier. Les passions se déchainent, les messages affluent et la ville se retrouve coincée. Elle promet de reprendre le contrôle des travaux mais juridiquement la basilique est protégée par cette loi de 1979. En outre, depuis plusieurs années, les riverains font de plus en plus pression et dénoncent une extension abusive. Joan Itaxso fait partie des 600 membres de l’association "Riverains de la Sagrada Familia". "Le problème avec la Sagrada, c’est que ça grandit, ça grandit et ça ne s’arrête jamais" souligne-t-il. Avec 4.5 millions de visiteurs par an et 12 millions de visiteurs sur la Place de la Sagrada pour venir la photographier, c’est tout un quartier qui a été modifié.
Esthétique, juridique, urbanistique, la "polémique Sagrada Familia" est triple. La ville se retrouve dans une situation délicate et l’affaire est loin d'avoir trouvé une issue. Pourtant, la Sagrada Familia demeure un emblème de Barcelone et de l’Espagne.
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