Le Paris des gastronomes depuis le Moyen Âge au centre d'une exposition à la Conciergerie
C'est à un voyage gastronomique de plus de six siècles que nous convie l'exposition Paris capitale de la gastronomie, du Moyen Âge à nos jours, qui vient de s'ouvrir à la Conciergerie de Paris. Si elle n'a pas le monopole de la gastronomie, la capitale compte quelques hauts faits d'armes : le restaurant y est né, de même que la baguette ou le croissant. Paris est surtout le berceau d'un répertoire culinaire et pâtissier sans équivalent, alimentés par des savoir-faire agricoles et un "ventre", celui des Halles, transféré en 1969 à Rungis et considéré comme le plus grand marché alimentaire au monde.
Parler de gastronomie, c'est aussi parler de diplomatie, d'agriculture, de société, de commerce, des arts de la table et d'art tout court, et même d'architecture. A l'aide d'objets, de documents rares, de tableaux, de photos, de vidéos et de reconstitutions, le parcours, qui se déroule sous les splendides nefs gothiques de la Conciergerie, fait revivre tous les plaisirs du palais à la parisienne, depuis le banquet donné sur place par Charles V en 1378, jusqu'aux caprices surréalistes en pain de Salvador Dali. En guise d'amuse-bouche, voici un aperçu en sept questions de cette exposition où l'on apprend beaucoup mais où il faut aussi beaucoup lire.
Que mangeait-on à la table du roi Charles V au Moyen Âge ?
Lorsque le roi Charles V reçoit la visite de l’Empereur romain germanique Charles IV, dont c’est le premier séjour à Paris, il met les petits plats dans les grands. Pour le festin du 6 janvier 1378, jour de l’Epiphanie, qui se déroule au Palais de la Cité, sur les lieux-mêmes de l’exposition, c’est Taillevent alias Guillaume Tirel, qui est aux fourneaux et dirige les cuisines royales. Lui dont le recueil de recettes, le Viandier, est sans doute le plus ancien manuscrit culinaire en langue française, régale les 800 convives avec un menu dont on peut voir le détail à l’exposition. Durant les trois services, furent servis notamment du "Civet d’huîtres", de la "Purée blanche et pois coulés", des "Anguilles sucrées à la boue", des "Viandes rôties de plusieurs sortes" et des "Chapons pèlerins à la Dodine". On s'y délecta aussi de "Tartes sucrées bourrées à la sauce chaude", de "Figues farcies couvertes de feuilles d’or", sans oublier le très chauvin "Brouet de trois couleurs : bleu foncé, blanc et rouge". Apétissant non ?
En quoi le restaurant, né au milieu du XVIIIe siècle, innove-t-il par rapport aux auberges ?
C'est à l'entrepreneur Mathurin Roze de Chantoiseau que l'on doit la naissance du premier restaurant, qu'il inaugure vers 1766 dans le quartier du Louvre. Jusqu’ici, l’aristocratie se nourrit à domicile, grâce à du personnel de maison ou à des traiteurs, tandis que les classes plus modestes et les étrangers fréquentent des auberges, dont l’hygiène et la réputation laissent à désirer, apprend-on à l'exposition. Le restaurant change la donne. Il est garant de confort, de qualité des mets et de propreté. Il offre aussi, et c’est une de ses grandes innovations, un service personnalisé : le client fixe l’heure de son repas, ce qu’il va déguster (grâce aux premières cartes de menus comme on en voit à l’exposition) et avec qui. Un peu plus tard, émerge le concept de grand restaurant destiné à une élite urbaine, où l'on goûte, dans un cadre fastueux, une cuisine gastronomique, sous l’impulsion d’anciens responsables de cuisine de maisons nobles qui se sont retrouvés sans emploi au lendemain de la Révolution française. Un siècle après la naissance du restaurant, d’autres types d’établissements font leur apparition - brasseries, bouillons et bistrots – à destination d’une clientèle plus populaire.
Qu’avait commandé Salvador Dali au boulanger Poilâne en 1971 ?
Jamais à court d’extravagance, le grand peintre catalan souhaita un jour offrir à sa compagne Gala une chambre tout en pain, afin, disait-il, de s’assurer que l’Hôtel Meurice, où il avait sa suite attitrée depuis des années, n’était pas infesté de souris. Pour ce faire, il commanda au célèbre boulanger Lionel Poilâne un buffet espagnol du XVIIIe siècle en pain azyme (sauf charnières en métal) de 1,65 m de haut, dont on peut voir une réplique à l’exposition (et voir en partie dans la photo ci-dessous). L’originale était garnie de couverts, eux aussi comestibles - en cas de fringale " ça peut servir", soulignait le boulanger. Mais le maître du surréalisme lui avait aussi commandé un lit à baldaquin, un buffet ainsi qu’un lustre en pain décoré de rosettes comestibles, qui fonctionnait encore il y a quelques années chez sa fille Apollonia Poilâne. "On peut tout faire en pain", assurait Lionel Poilâne, excepté une télévision : " Là je me heurte à des problèmes techniques", expliquait l’artiste boulanger avec un sourire en coin dans un délicieux reportage télévisé consacré à cette commande hors norme.
Qui est la grande figure tutélaire de la pâtisserie moderne ?
Celui que l’on surnommait " le cuisinier des rois et le roi des cuisiniers" était Parisien et s'appelait Antonin Carême (1783-1833). Il se fit d’abord connaître à l’aube du XIXe siècle pour ses incroyables pièces montées présentées dans les vitrines de son premier employeur le pâtissier Bailly, rue Vivienne près du Palais Royal, où s'approvisionnaient les dignitaires de l’Empire. Avec des ingrédients gourmands - sucre, miel, crèmes, amandes, meringues, fruits confits – il représentait minutieusement des monuments et des paysages. Son inspiration, cet enfant né dans une famille modeste la tenait de son autre passion : celle du dessin, qu’il étudiait dans les traités d’architecture à la Bibliothèque impériale. Ses premiers ouvrages, Le Pâtissier royal et Le Pâtissier pittoresque, sont richement illustrés, comme on peut le voir à l’exposition. Plus tard, il codifiera la grande cuisine française, et lui donnera une renommée internationale dans toutes les cours d’Europe, avant d’inspirer les futurs grands chefs comme Auguste Escoffier.
Quel mets français appréciait particulièrement la Reine Elizabeth II ?
Couronnée en 1952, la reine Elizabeth II effectue son premier voyage officiel en France en 1957, sous la présidence de René Coty. Au dîner, servi dans la salle des Cariatides au Louvre, en présence de 210 invités éclairés par d’énormes candélabres, la reine s’amuse, entre le Délice de pintade et les Pêches glacées, d’un mets en particulier, le Hérisson perigourdin au nid. Il s’agit d’une boule de foie gras hérissée de lamelles de truffe accompagnée d’une brioche au foie gras. A chacune de ses quatre autres visites d’Etat dans la capitale, elle eut chaque fois l’occasion de déguster du foie gras, mets dont on la savait particulièrement friande. Soixante-dix ans plus tard, nul foie gras ne figurait au menu du banquet, finalement annulé, qui devait être servi à Versailles fin mars pour son fils le roi Charles III.
Baguette, croissant, brioches : à quand remonte l'invention de ces spécialités parisiennes ?
Le Parisien aime le pain. Et ça ne date pas d’hier : en 1730, on comptait environ 800 boutiques de boulangers dans la capitale et ses faubourgs pour 500 000 habitants. Si la diversification des pains est notable dès le XVIIe siècle, il faut attendre 1904 pour voir apparaître pour la première fois le mot "baguette" pour qualifier ce fleuron de la gastronomie parisienne tel que nous le connaissons. Concernant le croissant parisien en pâte feuilletée levée, la première recette remonte à 1906 et le succès de cette "viennoiserie" que le monde nous envie est patent dès 1920, nous apprend l'exposition. Quant aux brioches parisiennes joufflues et surmontées d'une tête, elles apparaissent dès le XVIIe dans la capitale et sont améliorées au siècle suivant grâce à l’usage de la levure de bière à la place du levain de pain.
Quelle cuisine étrangère était la mieux représentée à Paris au XIXe siècle ?
Bien que quelques épiceries fines permettent déjà au XVIIIe siècle d'acheter des spécialités venues du monde entier, la présence des cuisines étrangères reste très limitée dans la capitale jusqu’aux années 1920-1930. De fait, au XIXe, la cuisine étrangère la mieux représentée à Paris est l’anglaise. A l’exposition, on s’amuse d’une caricature de Daumier qui moque l’engouement des Parisiens pour celle-ci. Il est accompagné d’un article publié en 1842 intitulé " De l’invasion du rosbif en France", dans lequel l’auteur compte " pas moins de huit tavernes anglaises presque toutes nouvellement ouvertes". Et d’ironiser : " Depuis six semaines, les flâneurs du boulevard Montmartre ne connaissent plus que la cuisine anglaise avec ses dîners à trois services. Premier plat, du rosbif aux pommes de terre ; deuxième plat, du rosbif sauce piquante ; troisième plat, du rosbif aux confitures." Dans la vitrine suivante, une caricature de l’Anglais George Cruikshank lui cloue le bec : elle met en scène trois Anglais attablés dans un restaurant parisien qui se voient présenter la note : 1.500 francs, une somme astronomique alors qu’à la même époque un beefsteak sauté aux champignons coûtait 1,50 franc aux Trois Frères provençaux…
Exposition "Paris, capitale de la gastronomie du Moyen Age à nos jours"
jusqu'au 16 juillet 2023 à la Conciergerie de Paris
Horaires : Tous les jours de 9h30 à 18h, dernier accès à 17h.
Samedi nocturne jusqu'à 20h, dernier accès à 19h.
Tarifs : adulte 11€50, gratuit pour les moins de 18 ans et les 18-25 ans ressortissants de l'UE
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