Œuvres d'art attaquées : "Ce choix s'explique par l'efficacité en matière de publicisation du geste", selon la sociologue Nathalie Heinich
La sociologue de l'art et des valeurs au CNRS revient sur ces attaques en forme de coup d'éclat, s'appuyant sur "la notoriété des oeuvres".
Après une nouvelle action choc de militants écologies ayant visé une toile de Klimt, mardi 15 novembre, Nathalie Heinich, sociologue de l'art et des valeurs au CNRS, estime que ces attaques coup-de-poing s'appuyant avant tout sur "la notoriété des œuvres".
Ces attaques s'inscrivent-elles dans une "lignée historique" d'attaques contre l'art, après la destruction de bouddhas en Afghanistan ou de tableaux par les suffragettes, qui luttaient pour l'égalité des sexes au début du XXe siècle ?
Nathalie Heinich : Non, car l'iconoclasme musulman contre les bouddhas de Bâmiyân, l'iconoclasme protestant à la Renaissance, la destruction de représentations de rois et de saints à la Révolution française ou les actions des suffragettes contre la nudité féminine sexualisée étaient des destructions physiques d'œuvres en raison de leur contenu idéologique. Ici, il s'agit d'attaques symboliques, utilisant la notoriété des œuvres comme support de médiatisation immédiate et à grande échelle d'actions de sensibilisation aux problèmes environnementaux. Ce que représentent (au sens de figurer) ces œuvres n'est donc pas pertinent ici.
Pourquoi s'attaquer à la beauté plutôt qu'à une compagnie pétrolière ?
Ce n'est pas la valeur de beauté qui motive le choix de ces cibles mais la valeur de célébrité. Je ne suis pas certaine que les boîtes de soupe Campbell d'Andy Warhol [qui ont été visées à Canberra en Australie où l'œuvre était protégée par une vitre comme toutes celles visées jusqu'à présent] fassent l'objet d'une évaluation universelle en termes de beauté. Par ailleurs, il est difficile d'attirer l'attention des photographes et des agences de presse en se collant à l'entrée d'un siège d'entreprise ou d'une autoroute, car ce sont des entités substituables, interchangeables, ce que n'est pas un tableau de maître universellement célèbre.
Ce choix s'explique donc simplement par l'efficacité en matière de publicisation du geste. Il y a attaque, mais pas destruction. C'est ce qui fait l'originalité de ces actions. Ce ne sont pas les artistes qui sont ciblés, mais leurs œuvres.
Que penser de l'attitude des grands musées qui semblent gênés autant que désarmés?
Ils sont parfaitement dans leur rôle en s'inquiétant de ces actions et en les condamnant, puisque leur fonction est de conserver les œuvres du patrimoine et que ces actions pourraient, si elles dérapaient, les endommager. Par ailleurs, la colle sur les verres et sur les murs entraîne des coûts de nettoyage, qui sont pris sur les budgets des musées, donc par la collectivité. Il est donc légitime de condamner ces actions illégales, même si cette condamnation ne peut guère avoir de conséquences judiciaires étant donné leur relative innocuité.
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