Restitution d'œuvres au Bénin : "Ce chapitre sonne le début d’une nouvelle époque", estime l'historien Pascal Blanchard
Le 9 novembre, la France a rendu au Bénin 26 objets pillés par les troupes coloniales au XIXe siècle. Un acte de restitution loin d'être anodin, qui annonce le début d'une nouvelle ère selon Pascal Blanchard, historien spécialiste du fait colonial.
La France a rendu un trésor pillé à son pays d’origine, le Bénin. C’était le mardi 9 novembre 2021, soit 129 ans après la prise de ce butin de guerre par les troupes de la IIIe République lors de la colonisation du Bénin par la France. Il s'agit des trésors royaux d'Abomey dans lesquels figurent, entre autres, des statues totem ainsi que le trône du roi Béhanzin.
En 2017, en visite au Burkina Faso et tout fraîchement élu, Emmanuel Macron promettait de faciliter le processus de restitution aux pays africains. “Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique”, avait-il martelé.
Promesse tenue, puisqu’en 2020 une loi sur la restitution culturelle est votée pour permettre le transfert d’une œuvre d’un pays à un autre, sous certaines conditions. Un outil juridique précieux qui permet à des pays comme le Bénin, de récupérer des objets rares pillés lors de la colonisation.
FranceInfo a interrogé Pascal Blanchard, historien spécialiste de la colonisation, codirecteur du Groupe de recherche Achac (Association pour la Connaissance de l'Histoire de l'Afrique Coloniale), pour saisir la portée réelle de cet événement qui semble marquer "le début d'une nouvelle époque".
Franceinfo Culture : en quoi cette restitution est-elle différente des précédentes ?
Pascal Blanchard : La restitution qui concerne le Bénin est la première de cette importance. Ce n'est pas nouveau en termes d'actes. Récemment, la France a rendu des objets au Sénégal. Je rappelle aussi que dans le passé, elle avait rendu des restes humains à l’Algérie et à l’Afrique du Sud avec la Vénus hottentote. Mais nous n'étions pas dans une démarche aussi symbolique, politique, et globale. Et surtout avec autant de pièces rendues. Pour le Bénin, on parle d'une grande collection d'objets connus et exposés au Quai Branly, qui est un grand musée. Certes, le processus n'est pas neuf. Mais cette restitution de grande ampleur présente une force symbolique et institutionnelle. D'ailleurs, les présidents Emmanuel Macron et Patrice Talon étaient réunis pour signer un acte de restitution. Cela prouve bien qu'il y a également la volonté d’en faire un acte politique qui initie une nouvelle dynamique en France sur ces questions.
C'est une démarche qui est donc symbolique...
Je dirais même que c’est la première fois que la symbolique l’emporte presque sur l’acte de restitution en lui-même. Ce chapitre sonne le début d’une nouvelle époque. On entre dans le temps des restitutions. Et cet épisode va entraîner plusieurs demandes d’autres pays pour le retour sur le continent africain de biens pillés pendant la période coloniale. Et pas seulement en France, mais aussi en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Suisse, et bien entendu en Belgique avec l’AfricaMuseum de Bruxelles qui est très dynamique sur ces questions et au sein duquel je viens d’ouvrir cette semaine une exposition sur les Zoos humains qui, là aussi, s’inscrit dans ce processus de « réparation ».
Pour avoir une idée, à combien estimez-vous le nombre d'objets provenant des pays africains actuellement à l'étranger ?
Des millions. Si on prend en compte les collections publiques comme celle du Quai Branly, les collections privées présentes dans l'ensemble des pays, qu'ils soient des ex-colonisateurs ou pas, nous pouvons parler de 3,4 voire 5 millions de pièces. Mais les objets concernés par des restitutions culturelles, puisque pillés lors d'une période coloniale, ne représentent qu'une partie de ce volume. Et l’idée n’est pas de rendre à l’Afrique tous les objets de nos musées et de nos collections. Ce serait s’engager dans une démarche anachronique et au finale destructrice de l’idée même de musée universel.
Prenons par exemple le très grand musée AfricaMuseum de Bruxelles. Il possède plus de 150 000 pièces aujourd'hui. Dans cette collection, il y a peut-être 10 à 30 000 pièces potentiellement pillées qui vont peut-être faire l’objet de restitutions. Il faut savoir que tous les objets ne s’inscrivent pas dans une logique de pillage colonial. Certains ont été acquis, d’autres ont fait l’objet d'une transaction. La grande difficulté est que ce travail d’identification, mission qui permet de connaître l’historicité de ces objets, commence à peine dans les musées.
Comment prouver que les objets ont été pillés quand ils ont traversé les siècles et qu’ils ont été détenus par différentes personnes ?
C’est justement parce qu’ils sont passés de main en main qu’il y a une traçabilité de ces objets. Pour certains, les recherches sont plus faciles, à l'image des objets rendus au Bénin. Pour d’autres pièces ayant appartenu à des collections privées ou provenant de donations, les enquêtes sont beaucoup plus compliquées. Et pour les faire, il faut mettre des chercheurs compétents. L’Allemagne a pris de l’avance sur cette question, la Belgique aussi.
Par exemple, à l’AfricaMuseum de Bruxelles, vous trouverez des chercheurs qui travaillent à plein temps sur cette question. Et à ce niveau, la France est en retard par rapport à d'autres pays. C'est une chose que nos musées vont devoir faire, apprendre à faire et... s'engager à faire. Il faut que des personnes compétentes en histoire de l’art, des historiens ou encore des chercheurs travaillent ensemble pour retracer l'histoire des objets. Les anciennes puissances coloniales, mais aussi d’autres pays qui ne l’ont jamais été, comme la Suisse par exemple, vont devoir s’y mettre. Ce travail va durer des années voire des décennies, il nécessitera des moyens importants, mais il est essentiel.
Que répondez-vous à ceux qui disent que ces pays n'ont pas les conditions requises pour la bonne préservation des œuvres ?
Si l’on regarde le Bénin, le pays a fait d’énormes efforts ces dernières années. Tout n’est pas encore prêt, le musée qui était prévu n’est pas terminé pour l'instant. Il y a 15 ou 20 ans, cet argument aurait pu être probant. À l’époque, il n’y avait pas la compétence humaine suffisante. On comptait une dizaine de conservateurs compétents en Afrique qui étaient capables de prendre en charge ces collections. Je pense notamment à Samuel Sidibé, directeur du Musée national du Mali. S'ajoutaient à cela, une absence de musées, de moyens et de volonté politique dans certains pays. Les choses changent, mais le processus n'est pas terminé. Les anciennes puissances coloniales vont devoir prendre en charge un travail de formation et d’accompagnement pour la création d’infrastructures de conservation, de restauration et de monstration dans ces pays. Car si l'œuvre ne peut être exposée, il n’y a aucune utilité à ce qu'elle retourne dans son pays d’origine, sauf à satisfaire la revendication politique. C’est un vaste chantier qui va sûrement durer 20, 30 ou même 40 ans.
D’un point de vue d'historien, pensez-vous qu’il faudra à l’avenir tendre vers une restitution systématique des objets appartenant au patrimoine culturel africain ?
Il faut être très prudent sur deux points. Le premier est qu’il faut véritablement retracer l’historicité de chacun des objets. Il faut le faire au cas par cas. Deuxièmement, il faut aussi comprendre qu’un musée ne montre pas seulement ses objets nationaux. C'est antinomique avec l'idée universelle du musée. Si le Mali ne montrait que des objets du Mali, la France que des objets de la France et l'Italie que des objets italiens, plus personne ne se rendrait dans les musées. Il faut trouver le juste équilibre entre ce qu'il faut rendre, car l’objet possède une dimension symbolique, politique et mémoriale, et ce qui doit être partagé entre les musées. C’est complexe, car personne ne connaît le nombre juste de pièces qu’il faut rendre pour que le passé colonial puisse tourner une page sereine.
Une des solutions qui avaient été proposées par Bénédicte Savoy et Felwine Sarr dans leur rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain, était de réfléchir à un futur statut universel de l’objet, afin qu’il puisse circuler dans le monde entier sans appartenir à une seule et unique autorité. On doit aussi sur ce point faire preuve d’imagination. Le Canada montre aujourd’hui que sur les cultures des nations indiennes il est possible d’emprunter des chemins novateurs. De même pour la restitutions des biens juifs pillés par les Nazis, le droit a évolué en profondeur. Enfin, ces questions ne concernent pas que l’Afrique, puisque l’Amérique, l’Asie, le Moyen-Orient, l’Océanie, la Grèce ou l’Egypte sont concernés et cela depuis des décennies. Ce qui fait la spécificité de l’Afrique c’est sans conteste son passé colonial.
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