Une exposition sur l'internement des Nomades au Mémorial de la Shoah
Ils sont victimes de la Seconde guerre mondiale, mais en France leur histoire n'est pas familière. Les "Nomades", qualificatif administratif désignant au XXe siècle les personnes sans domicile et itinérantes, souvent marchands ou forains, ont subi une politique d'internement sous le régime de Vichy. "Si elle fut différente de la politique allemande menée dans le reste de l’Europe envers les 'Zigeuner' (Tsiganes), cette politique française constitue un épisode parmi les plus dramatiques de la Seconde Guerre mondiale sur notre territoire, une page terrible dont la mémoire fut longtemps occultée". C'est ainsi que le Mémorial de la Shoah introduit sa nouvelle exposition, "L'internement des Nomades : une histoire française (1940-1946)", qui se tient jusqu'au 17 mars.
On a souvent établi des parallèles entre la communauté juive et les communautés Sinti et Roma. Ne serait-ce que par le destin de stigmatisation, de mise au ban de la société, depuis des millénaires, jusqu’à l’idéologie nazie distinguant la race aryenne de toutes les autres races dites 'inférieures' dont faisaient partie les Juifs et les Tsiganes."
Simone Veil, Discours prononcé à l’occasion de la remise du prix européen des droits civiques Sinti et Roma, Berlin, Allemagne, 2010
Les raison de cet oubli ? "Il y a eu un déficit de connaissance sur le sujet, jusque dans les années 1980 où un instituteur de Montreuil-Bellay, Jacques Sigot, va s'intéresser au camp d'internement qui avait été construit dans ce village", explique Théophile Leroy, coordinateur scientifique de l'exposition. "Des travaux universitaires ont suivi et permis de se pencher sur l'internement des Nomades en France", ajoute-t-il. L'objectif de cette exposition est donc de raconter au grand public l'histoire des Nomades français, de la fin du XIXe siècle à 2016, année de la reconnaissance de la responsabilité de la France dans l'internement des Nomades par le président de la République, avec un focus sur la période de la Seconde Guerre mondiale.
Les Nomades mis au ban de la société
L'exposition est installée dans deux salles (l'une chronologique, l'autre thématique). Elle est riche en détails et documents. Ces derniers nous ramènent jusqu'au XIXe siècle, aux racines d'un processus d'exclusion des populations itinérantes en France. Généralement forains ou marchands, les nomades étaient auparavant intégrés dans les circuits économiques. Mais avec l'urbanisation, ces populations sont de plus en plus marginalisées et persécutées, considérées comme des étrangères et porteuses de maladies.
Dès 1895, l’Etat instaure des mesures de contrôle. Il opère un recensement général et un fichage de tous les "nomades, bohémiens et vagabonds". Une surveillance qui sera institutionnalisée avec la loi de 1912. Celle-ci oblige les Nomades à pointer à chaque passage dans une commune et à posséder une fiche anthropométrique (photo, description physique, empreintes). Les Nomades sont mis au ban de la société.6.500 Nomades internés pendant la Seconde Guerre mondiale
L'exposition se poursuit en présentant les premiers cas d'internement pendant la Première guerre mondiale, puis la politique d'internement établie pendant la Seconde. Une assignation à résidence la précède : les Nomades sont considérés comme de potentiels espions à la solde de l'ennemi. Ils doivent donc être étroitement surveillés. Ils sont par la suite internés dans une trentaine de camps partout sur le territoire occupé. D’octobre 1940 à mai 1946, plus de 6.500 personnes, en majorité françaises dont un grand nombre d’enfants, ont été internées. Les conditions sont précaires : les Nomades sont empêchés de travailler librement, sous-alimentés et contraints aux travaux forcés. En témoignent des pétitions d'hommes et de femmes qui essayent d'alerter les autorités sur leurs conditions de vie dans les camps. Crayonné en bleu sur l'une de ces pétitions écrite à la main, annoté de points d'exclamation : "doléances injustifiées".
Nombre d’entre eux ne survivent pas aux camps. Dès 1943, certains internés sont déportés vers l’Allemagne dans le cadre du travail forcé. D’autres, libérés des camps français, sont raflés dans le nord de la France et déportés vers Auschwitz en 1944 avec le convoi Z. L’internement des Nomades se poursuit après la fin de la guerre et le dernier camp français ferme en mai 1946.
Et après ? La loi de 1912 a été modifiée en 1969, mais le carnet de circulation qui remplace le carnet anthropométrique ne disparaît qu'en… 2012, car jugé contraire à la Constitution. La loi sera définitivement abrogée en 2017. En 2016, le président de la République François Hollande reconnaît la responsabilité de la France dans l'internement des Nomades sous le régime de Vichy, lors d'un discours à Montreuil-Bellay, l'un des plus importants camps d'internement de France.L'exposition, claire et didactique, peut intéresser les curieux comme les passionnés d'histoire. Il y a beaucoup de choses à lire, mais cela reste intéressant et accessible. Des témoignages vidéos issus de documentaires viennent ponctuer les explications historiques. De nombreux documents, institutionnels ou personnels sont aussi exposés ou reproduits : lettres, pétitions, articles d'époque et photos, témoignages poignants d'un événement marquant de l'histoire française."La République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés et admet que sa responsabilité a été grande dans ce drame"@fhollande pic.twitter.com/THE5X8Qsup
— Élysée (@Elysee) 29 octobre 2016
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