Uruguay : Jorge Tiscornia consigne 13 ans en prison sur du papier à cigarette
Jorge, aujourd'hui âgé de 70 ans, en avait 27 quand il a été mis sous les verrous comme membre du mouvement de libération nationale Tupamaros, une guérilla radicale des années 1960-1970.
Dès son arrivée en prison, il consigne son quotidien sur une petite feuille quadrillée qu'il perd lors de son transfèrement, en janvier 1973, à la prison Libertad, alors la plus grande prison pour détenus politiques d'Amérique latine.
"Quand tu es en prison, sans lumière naturelle, tu perds la notion du temps et au bout de quelques jours, tu commences à ne plus savoir quel jour on est",raconte-t-il. Plus qu'un journal intime, c'est un almanach qu'il se constitue ainsi. Dans sa nouvelle prison, il continue, cette fois sur du papier à cigarette, a raconté son vécu personnel et les épisodes de la vie carcérale. Les premières pages content ses souvenirs des mois antérieurs. Puis vient la première lettre qu'il écrit, la première visite ou quand, après presque neuf mois, les gardiens l'autorisent à boire du maté, l'infusion typique de la culture uruguayenne.
"L'almanach a grandi avec le temps, avec la vie et les événements de la prison", se souvient Jorge. "Et ce qui avait commencé comme le besoin d'enregistrer (ce qui arrivait) est devenu de plus en plus complexe, avec l'apparition de plus en plus de choses." Au fil du temps, le récit au stylo noir se fait moins personnel, s'élargissant à un vaste portrait de la vie en prison. L'ex-guérillero y mentionne les vaccins, les films projetés, le comportement des gardiens, les maladies ou morts des compagnons d'infortune.
Conquérir le quotidien
"Je crois que c'était une tentative de conquérir le quotidien mais aussi de ne pas oublier ce qui se passait. Ces notes me servaient de guide, d'ancre pour la mémoire", assure celui qui considère que "cela n'a pas été des années perdues" mais vécues autrement. Au début, il ne pense pas à cacher ses écrits mais, en se rendant compte que ce qu'ils contiennent peut être censuré, il fabrique des sabots en bois, creusant à l'intérieur un trou pour y glisser son journal, enroulé de nylon. "Je gardais les sabots pour me doucher" et "ils étaient toujours contre le mur, à la vue de tout le monde".
En mars 1985 l'Uruguay revient à la démocratie et Jorge recouvre la liberté. En 2000, alors qu'il se remémore avec d'anciens camarades des souvenirs de prison, il décide de les vérifier grâce à ses notes, toujours cachées dans ses sabots. Son histoire est parvenue au public en 2012 quand un autre ancien détenu, José Pedro Charlo, a réalisé le documentaire "L'Almanach".
Des petits papiers inscrits au registre Mémoire du monde de l'Unesco
Ces petits papiers sont désormais inscrits au registre Mémoire du monde de l'Unesco, qui recense, pour les protéger, les documents historiques essentiels de tous les pays. Une cérémonie a été organisée vendredi à Montevideo pour remettre à Jorge son certificat officiel. Pour l'Unesco, ce document, aux mains du gouvernement uruguayen qui l'exposera au public dans les prochains mois, est "la mémoire vivante de nombreuses années d'isolement (...) qui révèle la force de la persévérance".
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