Raciste, antisémite, misogyne : ces procès faits à Hergé et Tintin
Des autocollants dénonçant le racisme de "Tintin au Congo" ont été collés sur des exemplaires de la célèbre bande-dessinée. Mais cette accusation n'est pas la seule visant le dessinateur belge et son œuvre.
"Cela fait écho au racisme que nous subissons ici." Des résidents de Winnipeg (Canada) demandent à une librairie de leur ville de retirer la bande dessinée Tintin en Amérique de ses rayons, rapporte lundi 16 mars Radio-Canada. "Cela alimente les stéréotypes, se plaint Leslie Spillet. Les Indiens sont présentés comme des êtres sauvages et dangereux, des êtres que l'on doit craindre."
Cette accusation de racisme poursuit le dessinateur belge depuis des années. Et elle n'est pas la seule lancée à son encontre. Francetv info revient sur les trois principaux procès intentés à Hergé et à son illustre héros.
Le procès en racisme
L'accusation. "Toi y en a bon blanc", "Li missié blanc, très malin"... Dans Tintin au Congo, les Africains sont lippus, naïfs et primitifs. Et parlent tous "petit-nègre". Face à eux, le jeune reporter arbore l'uniforme du colonisateur et se comporte comme tel. Paternaliste, il les sermonne, les éduque et les pousse à travailler. Même son fidèle chien Milou s'exprime dans un français plus correct qu'eux et les taxe de "paresseux".
La défense. Dès les années 1960, et la décolonisation, Hergé est attaqué sur sa vision du Congo belge. Il doit se justifier. "J’étais nourri des préjugés du milieu dans lequel je vivais… C’était en 1930. Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l’époque : 'Les nègres sont de grands enfants, heureusement que nous sommes là !', etc. Et je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères-là, dans le pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque en Belgique", plaide le dessinateur dans ses Entretiens avec Numa Sadoul.
Tintin au Congo paraît en 1931 : la Belgique est alors une puissance coloniale, l'actuelle République démocratique du Congo fait partie de son empire. La même année, la France organise à Paris son exposition coloniale. "L'attitude de Tintin est le reflet exact d'une période où l'Occident se donnait une mission sacrée de civilisation", argue Benoît Peeters, dans Le Monde d'Hergé.
Dès 1946, Hergé retouche d'ailleurs son album pour la version colorisée. Il supprime "les détails les plus grossièrement colonialistes au profit d'éléments plus anodins", poursuit son biographe. Le cours sur l'histoire de la Belgique est remplacé par un cours de mathématiques, souligne le blog très documenté Samarra.
Le verdict. En 2007, une plainte pour "racisme et xénophobie" a été déposée en Belgique contre la société Moulinsart, détentrice des droits de l'œuvre. La justice belge a tranché. "Vu le contexte de l'époque, Hergé ne pouvait pas être animé d'une telle volonté", a jugé le tribunal bruxellois en 2011. Un jugement de première instance, confirmé en appel un an plus tard : "Hergé s'est borné à réaliser une œuvre de fiction dans le seul but de divertir ses lecteurs. Il y pratique un humour candide et gentil." Sa bande dessinée n'est pas une œuvre "méchante" et reste autorisée à la vente.
Le procès en antisémitisme
L'accusation. L'objet du délit se nomme L'Etoile mystérieuse. Hergé a dessiné cet album entre 1941 et 1942, en pleine occupation nazie. La bande dessinée a d'ailleurs été prépubliée dans le quotidien Le Soir alors contrôlé par l'occupant, rappelle La Libre Belgique. Plusieurs planches font polémique.
L'une représente deux juifs au nez crochu, au menton barbu et à l'accent prononcé. L'un d'eux se frotte les mains, se félicitant de l'imminente fin du monde annoncée qui va lui permettre d'échapper à ses créanciers.
Plus loin, lorsque l'astéroïde tant redouté s'est écrasé sur Terre, deux expéditions concurrentes prennent la mer pour l'atteindre. La première réunit Tintin et des scientifiques venus de pays alliés de l'Allemagne. La seconde est financée par un antipathique banquier américain, nommé Blumenstein.
La défense. Dès 1943, l'éditeur d'Hergé, Casterman, exige de l'auteur qu'il expurge sa BD pour l'édition couleurs. Les deux juifs caricaturaux disparaissent et le banquier est rebaptisé. "Je l'ai remplacé par un autre nom qui signifie, en bruxellois, une petite boutique de confiserie : bollewinkel. Pour faire plus 'exotique' je l'ai orthographié Bohlwinkel. Et puis, plus tard, j'ai appris que ce nom était, lui aussi, un véritable patronyme israélite !", se défend Hergé dans ses Entretiens avec Numa Sadoul.
Dans sa biographie du dessinateur, Pierre Assouline rapporte cette confidence du père de Tintin : "C'est vrai que certains dessins, je n'en suis pas fier. Mais vous pouvez me croire : si j'avais su à l'époque la nature des persécutions et la 'solution finale', je ne les aurais pas faits. Je ne savais pas. Ou alors, comme tant d'autres, je me suis peut-être arrangé pour ne pas savoir."
Et Georges Rémi d'insister dans ses Entretiens : "Il me semble que, dans ma panoplie d'affreux bonshommes, il y a de tout : j'ai montré pas mal de 'mauvais' de diverses origines, sans faire un sort particulier à telle ou telle race."
Le verdict. A la libération de la Belgique, Hergé est arrêté à quatre reprises et passe même une nuit en prison. On lui reproche d'avoir continué à travailler pour Le Soir alors aux mains des nazis. On lui interdit de publier ses dessins. En 1945, le dossier est finalement classé sans suite. Et un an plus tard, Hergé obtient l'autorisation de publier à nouveau.
Le procès en misogynie
L'accusation. Les femmes sont quasi absentes des aventures de Tintin. Elles ne sont que 8 parmi les 350 personnages que compte l'œuvre, dénombre Le Post. Et leurs portraits sont souvent peu flatteurs.
Il y a d'abord Bianca Castafiore : le seul personnage féminin de premier plan créé par Hergé. Cette cantatrice de renommée internationale passe son temps à rire de se voir si belle en ce miroir. Et à écorcher le nom du capitaine Haddock. La voix du "Rossignol milanais" est si puissante que le marin la compare à "un cyclone". Et comme Tintin, il n'a de cesse de tenter d'échapper à ses récitals décoiffants, auxquels seul le professeur Tournesol, génial inventeur atteint de surdité, semble sensible.
Il y a ensuite Irma, la camériste de la Castafiore. Dévouée et effacée, elle veille sur les précieux bijoux de la chanteuse lyrique et subit ses sautes d'humeur. Très émotive, elle fond en larmes et s'évanouit quand ils disparaissent. Il y a enfin l'acariâtre Peggy, la femme du général Alcazar. Une épouse tyrannique, jamais avare en remontrances à l'égard de son militaire de mari qui l'appelle "ma colombe" pour tenter de l'attendrir. En vain.
La défense. Hergé a plaidé sa cause en 1977, dans une interview à Minuit, reprise par Libération : "On me dit souvent : 'Tintin ne se marie pas, il n’a pas de petite amie.' Et je réponds : 'Non, il est comme il est né, il n’a pas vieilli.'" Et Tintin est né "boy-scout" et "redresseur de torts", selon le vœu de son géniteur. Il a vu le jour dans Le Petit Vingtième, le supplément jeunesse d'une revue catholique, dirigée par un abbé dont Hergé, baigné de catholicisme et de scoutisme, reconnaissait l'"énorme influence".
Hergé doit aussi se soumettre à la loi belge sur les publications pour la jeunesse. Une censure qui veille au grain. Les représentations de jolies jeunes filles et d'élans amoureux qui pourraient troubler les jeunes lecteurs sont prohibées.
Le verdict. Hergé lui-même l'a rendu dans Minuit : "Oh oui bien sûr : les seuls personnages féminins de Tintin sont des personnages abominables. Tintin est un asexué et patati et patata…(...) Donc je suis un affreux misogyne.' Comme je suis un affreux raciste, c’est bien connu. Comme je suis un abominable antisémite, c’est également bien connu. En fait, l’univers de Tintin, c’est un univers de caricature."
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