"Reconnaître la mémoire des peuples" : en Espagne, le ministre de la Culture lance le débat de la décolonisation des musées
Les musées européens et leur rapport à l’art issu des anciennes colonies sont mis en question. La proposition n’est pas tout à fait nouvelle. En France, Emmanuel Macron l'a formulée en 2017 et concrétisée en 2021 par la restitution de 26 œuvres d’art au Bénin. Mais en Espagne, quand le nouveau ministre de la Culture s'est emparé de la question, une polémique politique a immédiatement surgi.
Ce sont deux petites phrases, prononcées par le ministre de la Culture, Ernest Urtasun, devant une commission parlementaire. Le type de sessions qui habituellement ne sont pas beaucoup suivies : "L’un des défis que nous nous sommes proposés, en cohérence avec les recommandations internationales, c’est d’établir des espaces de dialogue et d’échange qui nous permettent de dépasser un cadre colonial ou bloqué dans des inerties de genre ou ethnocentriques. Nous travaillons à visibiliser et à reconnaître la perspective des communautés et la mémoire des peuples dont proviennent les œuvres exposées."
L'extrême droite dénonce une "politique culturelle woke"
Branle-bas de combat à droite. Le Parti populaire, le PP, conservateur, accuse le ministre d’inculture. Il méconnaîtrait l’histoire de l’Espagne, dont l’empire aurait été basé sur le métissage et le brassage culturel bien plus que sur l’exploitation et la spoliation.
Vox, le parti d’extrême droite, brandit un terme qu’on n’avait pas encore beaucoup vu dans le débat espagnol : le procès en wokisme. Vicente Barrera est vice-président de la communauté autonome de Valence et ministre régional à la culture : "Nous voulons lancer un message de tranquillité. Nous serons une digue de contention contre la politique culturelle woke et les attaques à la liberté et à la pluralité culturelle que semblent vouloir imposer le nouveau ministre."
Et les musées, où en sont-ils ? Réactionnaires machistes néocoloniaux ou gauchistes wokes incurables ? Carlos Chaguaceda est le directeur de communication du musée du Prado. Son institution n’a visiblement pas attendu les politiques pour moderniser son discours, sans jamais sombrer, dit-il, dans la polémique. "Le ministre fait une série de réflexions que la société a faite avant lui. Notre première exposition sur Clara Peeters date de 2016. Les parcours féminins sont de 2021, énumère-t-il. On a fait une exposition sur les œuvres d’influence et d’inspiration coloniale en 2022, Voyage retour. Et à cette époque personne n’en parlait." Les restitutions ne sont pas à l’ordre du jour au Prado, qui dit ne pas avoir reçu la moindre demande. En Espagne, la décolonisation passera surtout par l’évolution des discours.
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