"Baghdad Central" sur Arte : l'Irak post-invasion américaine de la série est-il réaliste ?
La série "Baghdad Central", diffusée sur Arte.tv jusqu'au 7 mai, raconte de manière palpitante une enquête policière menée par un inspecteur local dans la capitale irakienne en 2003. Si l'histoire est purement une fiction, de nombreux éléments historiques de l'occupation américaine sont évoqués. On a démêlé le vrai du faux avec l'aide de deux expertes de la région.
Acclamée par les critiques, la série Baghdad Central, visible jusqu'au 7 mai 2021 sur la plateforme Arte.tv, raconte l'histoire d'un inspecteur irakien (interprété par Waleed Zuaiter) qui travaille pour la coalition armée menée par les États-Unis après le renversement de Saddam Hussein en 2003.
Dans un Bagdad déchiré par la guerre entre milices et par la guérilla menée par des groupes armées contre la coalition occidentale, l'inspecteur Muhsin est "retourné" par l'armée américaine, qui lui offre en échange de sa collaboration des soins pour sa fille atteinte de diabète. En parallèle, Muhsin cherche à retrouver son autre fille qui a disparue dans les rues de la capitale irakienne.
Dans un décor plein de poussière et de destins brisés, ce thriller sous haute tension est signé Stephen Butchard, le réalisateur britannique fin connaisseur de l'Irak - et ça se voit - puisqu'il avait déjà été le scénariste en 2008 de la série documentaire House of Saddam, mettant en scène l’ancien dictateur en exercice. Mais si beaucoup de faits réels sont évoqués dans Baghdad Central, quels sont les éléments qui relèvent de la réalité et de la fiction ? Décryptage de la série avec deux expertes de l'Irak post 2003.
Le Bagdad post-invasion américaine de la série est-il réaliste ?
L'un des atouts de Baghdad Central est l'atmosphère bouillonnante dans laquelle nous plonge la série. On navigue avec les personnages dans des lacis de ruelles qui réservent toujours une surprise, bonne ou mauvaise pour les protagonistes. "Je trouve que le Bagdad de l'époque est assez réaliste dans la série. Dans la presse, on avait l'impression que le Badgad de 2003 n'était qu'une zone de conflit, mais tout conflit à ses poches de normalité. Et c'est ce que retranscrit bien le réalisateur, quand il nous montre l'inspecteur qui se promène tranquillement dans sa rue et prend le café sur sa terrasse", témoigne Florence Gaub, directrice adjointe de l'Institut de sécurité Union européenne et spécialiste des forces militaires et des structures de conflit de la région arabe.
Était-il fréquent que des policiers irakiens collaborent avec la coalition occidentale?
Comme l'inspecteur Muhsin, de nombreux policiers irakiens ont été engagés par l'armée américaine et ses alliés dans l'Irak post-Saddam Hussein. "Les policiers irakiens mangeaient à tous les râteliers. J'étais très amie avec un policier irakien de Falloujah. Il transportaient des miliciens dans sa voiture et il collaborait en même temps avec les Américains à qui la police donnait des informations. Ils avaient vécu dans une dictature où il fallait savoir rester en vie, c'était la même chose après la chute de Saddam Hussein", raconte Victoria Fontan, rectrice de l'Université américaine d'Afghanistan, et qui travaillait après l'invasion américaine comme chercheuse en Irak. L'inspecteur Mushin apparaît en revanche comme un chevalier blanc, incorruptible. "L'inspecteur est un héros un peu trop parfait, avec aucune faille, alors que même les officiers intègres étaient adeptes de la corruption", ajoute Florence Gaub.
Fallait-il cacher le fait de travailler pour la coalition occidentale ?
Dans Baghdad Central, l'inspecteur Muhsin est d'abord torturé par l'armée américaine qui le confond avec un homonyme. Après plusieurs mois de détention, il est finalement libéré et revient chez lui dans son quartier. Mais ses voisins l'accusent alors d'être à la solde des Américains, car il est sorti en vie de la prison. "Tout le monde savait qui étaient les policiers du régime irakien allié des Américains. Mais si vous travailliez directement pour la coalition, c'était bien plus dangereux. Il fallait absolument le cacher, sinon votre famille et vous-même étiez menacés de mort", note Victoria Fontan. Pour Florence Gaub, jusqu'à ce que l'insurrection armée se soulève véritablement contre l'occupant en 2005, il était encore possible de travailler publiquement comme traducteur ou fixeur pour l'armée américaine. "L'insurrection a commencé timidement en novembre 2003. Au début, ce n'était pas si mal vu de travailler pour la coalition, puis les choses ont vraiment changé en 2005", dit-elle.
Bagdad, une ville découpée en différentes zones contrôlées par des milices ?
Dans la série de Stephen Butchard, qui débute en novembre 2003, Bagdad apparaît comme une ville divisée en multiples zones contrôlées par des milices. Pour rentrer chez lui, l'inspecteur Muhsin doit à chaque fois franchir un barrage tenu par des miliciens qui l'interrogent sur son identité. "En 2003, il n'y avait pas encore ces milices. Bagdad a commencé à être vraiment divisé fin 2004-début 2005. Avant, la ville était entièrement quadrillée par les Américains. Il y a quand même eu un certains laps de temps après le début de l'occupation pour que les différents groupes armées s'affirment", analyse Victoria Fontan.
Les acteurs parlent anglais et arabe, est-ce possible à Bagdad ?
Dans Baghdad Central, les personnages irakiens alternent entre la langue anglaise et l'arabe. Évidemment, les Irakiens discutent dans la vraie vie en arabe irakien entre eux. Mais ce choix s'explique par le fait que la série a été produite par une chaîne britannique qui voulait rendre plus accessible la série aux téléspectateurs. "Aujourd'hui, on veut entendre la langue originale. Mais dans les films de l'époque, comme Lawrence d'Arabie, tous les dialogues étaient en anglais. Là, je trouve qu'il y a un effort de fait. Les personnages parlent tout de même anglais avec un accent arabe. En revanche, Waleed Zuaiter, qui n'est pas un acteur irakien, ne parle pas vraiment arabe avec l'accent irakien, même si on entend qu'il essaye de le faire", pointe Florence Gaub.
Longue file d'attente d'Irakiens devant la "Green zone" : les locaux pouvaient-ils y pénétrer ?
La Green zone, ou "Zone verte" en français, était un quartier ultra-protégé de Bagdad où étaient logés toutes les ONG et les diplomaties occidentales. Pour y pénétrer, il fallait franchir des check points de l'armée américaine. Dans la série, on voit cependant des longues files d'Irakiens qui font la queue pour pénétrer dans la Green Zone. "Dès décembre 2003, il y avait déjà un système de badge pour y pénétrer. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que loger dans la Green zone coûtait très cher en raison de l'arrivée d'ONG et de diplomates. Tous les habitants irakiens du quartier ont donc loué leurs logements à des étrangers pour gagner de l'argent. Et puis, la zone était la cible de rockets tirés par des groupes armés", dit Victoria Fontan.
Baghdad Central, visible jusqu'au 7 mai 2021 sur la plateforme Arte.tv
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