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Entre références historiques et anachronismes assumés, la saison 2 de "Bridgerton" décryptée par des experts

Après le succès de sa première saison, "La Chronique des Bridgerton" voit à nouveau ses audiences s'enflammer pour son second chapitre. Libertés artistiques, références historiques et culturelles, Franceinfo décrypte avec des experts tout ce qui vous a échappé au cours de votre visionnage.

Article rédigé par franceinfo Culture - Margaux Bonfils
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
Kate et Anthony, les personnages principaux de la deuxième saison de l'adaptation des romans de Julia Quinn. (NETFLIX)

C’est le grand retour de la série événement La Chronique des Bridgerton. La suite des tumultes amoureux de l’aristocratie sous la Régence en Angleterre a séduit des millions de spectateurs à travers le monde, signant le meilleur démarrage pour une série anglophone sur Netflix. Librement adapté des romans de Julia Quinn, chaque volet suit la romance de l’un des huit enfants de la fratrie Bridgerton. Après Daphné et sa fiévreuse histoire avec le duc de Hastings, ce second chapitre prend place un an plus tard, en 1814. Cette fois, c'est au tour d'Anthony, l’aîné de la famille de trouver l'amour.

Cet éternel célibataire est décidé à trouver l'épouse “parfaite” pour porter le titre de vicomtesse de Bridgerton. Son choix se porte sur Edwina Sharma, une jeune femme tout juste rentrée d’Inde avec sa sœur Kate. Mais pour atteindre son but, il devra convaincre sa sœur aînée Kate de sa valeur.

La série doit en partie son succès à ses anachronismes assumés et son casting sous le signe de la diversité, le tout saupoudré de références historiques bien réelles. Influences culturelles, place de la femme, féminisme, métissage... Pour démêler le vrai du faux, Franceinfo a interrogé des spécialistes de la société britannique du 19e siècle. 

Attention cet article contient de nombreux spoilers sur la saison 2.

Les personnes d’origine indienne étaient-elles présentes dans la haute société anglaise ?

Particularité de cette nouvelle saison, les deux protagonistes principaux Kate et Edwina Sharma sont d’origine indienne. Les soeurs sont nées du même père, un fonctionnaire indien sans titre, mais d'une mère différente. Kate est née d’un premier mariage et a perdu sa mère très jeune. Plus tard, lors d'un voyage en Angleterre, son père a rencontré Lady Mary Sheffield, une fille de bonne famille. Ensemble, ils ont fui le pays pour vivre leur amour en Inde en emmenant Kate. Edwina est née de cette union, peu de temps après. Au terme de la saison 2, Kate, malgré son absence de titre à l'origine, devient finalement vicomtesse de Bridgerton en épousant Anthony.

Historiquement, un tel métissage est rarissime comme l’explique Paul Veyret, maître de conférences à l’Université Bordeaux-Montaigne spécialisé dans la diaspora indienne et la littérature britannique : Il y a eu des femmes indiennes qui ont épousé des lords anglais comme Halima Begum qui a changé son nom en Hélène Bennett. Cette femme musulmane s’est mariée avec un mercenaire français en Inde et a vécu à Londres à la fin du 18e siècle". Mais après avoir fréquenté un temps les milieux mondains anglais, elle fut répudiée par son mari au profit d'une épouse anglaise.

Kate Sharma, une héroïne au caractère bien trempé à découvrir dans la saison 2 de "La Chronique des Bridgerton". (NETFLIX)

Il ne faut pas oublier que l’Inde et l’Angleterre ont entretenu des relations étroites par le biais de la Compagnie britannique des Indes orientales. Cette puissante entreprise commerciale créée en 1600 par la reine Elizabeth Ire, possédait plusieurs comptoirs en Inde et en Chine. Des positions stratégiques pour exporter différents “produits exotiques” comme les épices, l’opium, le coton, en Angleterre jusqu’en 1874. Ainsi de nombreux Britanniques partaient travailler quelques années dans les comptoirs. Il arrivait que les fonctionnaires ou les cadres de cette compagnie se mettent en ménage avec une Indienne. Mais ensuite, ils rentraient des Indes sans leur femme pour refaire leur vie en Angleterre. Parfois, ils emmenaient les enfants avec eux pour leur offrir une éducation anglaise”, ajoute Paul Veyret.

Kitty Kirkpatrick est une figure historique de ce métissage. Elle a défrayé la chronique, car son père s’était acoquiné avec une femme indienne". Kitty voit le jour en Inde en 1802, “elle arrive à Londres à l’âge de quatre ans et elle a été élevée selon des principes anglais”, précise le professeur. 

L’usage des drogues était-il répandu sous la Régence ?

La saison 2 de Bridgerton a été marquée par une scène insolite : le “trip” artistique de Benedict sous substance. Dans cet épisode, Colin Bridgerton fait goûter à son frère une poudre hallucinogène qu’il a rapportée de son voyage pour l’aider à dépasser son blocage artistique. Son aîné entre alors dans un état second, complètement hilare et passionné par sa peinture. “C’est une référence à l’usage de la drogue dans les milieux artistiques et la bonne société, il s’agit peut-être d’opium ou de laudanum”, l'un de ses dérivés, explique Ophélie Siméon, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l’Université Sorbonne-Nouvelle. Au-delà de l'usage récréatif, ces produits étaient utilisés comme des anti-douleurs et pour soigner les problèmes gastriques.

Un autre détail a peut-être intrigué les spectateurs attentifs, il s'agit de la poudre qu’aspire la reine Charlotte, contenue dans une petite boite dorée. C’est du tabac à priser” explique Ophélie Siméon. Un produit de luxe très cher importé des comptoirs comme le sucre et le thé, en vogue sous la Régence. Ce mode de consommation a disparu à l’apparition de la cigarette en 1830, contrairement à ce que pourrait laisser croire un passage de la saison 1 dans lequel Eloise fume en cachette avec son frère. 

Grandes perruques et robes du 18e, le style signature de la reine Charlotte (NETFLIX)

Les femmes étaient-elles aussi dépendantes des hommes dans le milieu aristocratique ?

L’une des préoccupations des jeunes femmes dans la série Bridgerton est de se marier rapidement à l’issue de la saison. Au-delà du rêve du grand amour, elles ne peuvent pas vivre en société sans mari. Jusqu'à la fin du 19e siècle, les femmes n’ont pas de droits individuels dans la loi, quand elles sont enfants elles sont sous l’autorité du leur père, d'un frère aîné, d’un cousin ou d’un gardien mâle”, explique Ophélie Siméon. Exemple de cette autorité masculine, le personnage d’Anthony, qui devient très jeune responsable de la famille Bridgerton à la mort de son père. Il doit gérer tant bien que mal le patrimoine, les propriétés familiales et la création de dots pour les mariages de ses sœurs.

En tant que comte Bridgerton, Anthony a en théorie un pouvoir d’autorité sur toute sa famille. Dans une scène “flashback”, lors de l’accouchement difficile de Violet, on lui demande de choisir si le médecin doit sauver en priorité la vie de sa mère ou celle de l’enfant. Ces décisions de vie ou de mort étaient confiées au responsable mâle de la famille, sans prendre en compte la volonté de la femme. Un autre exemple est celui de la famille Featherington : à la mort du lord, c’est un oncle éloigné qui hérite du titre et des biens. Portia (Lady Featherington) redoute qu’il ne la mette à la porte avec ses trois filles, après s’être remarié.

Mais ces femmes n’étaient pas totalement dépossédées de leurs biens pour autant, les aristocrates “ont le droit d’hériter de terres, d'argent, mais la gestion légale de cet argent va être donné à leur mari ou à un parent mâle, tout dépend du contrat de mariage établi”, précise Ophélie Siméon. Pour éviter que leur dots ne soient dilapidées par ce gardien, les familles avaient recours à ces contrats pour préserver leurs intérêts. Le document pouvait établir la répartition des biens de l’époux en cas de décès et la gestion de la dot de l’épouse.Le seul moment où ces femmes peuvent avoir un semblant de liberté, c’est quand elles sont veuves” ajoute la maîtresse de conférences. Une liberté incarnée par le personnage de Lady Danbury. Dans son cas, on peut supposer que le contrat de mariage a été en sa faveur et qu'elle aurait reçu un héritage à la mort de son époux. Elle peut ainsi continuer à évoluer dans la vie mondaine grâce à cette liberté financière.

Lady Danbury, une veuve puissante et indépendante qui prend sous son aile la famille Sharma. (NETFLIX)

Les mouvements féministes clandestins auxquels adhère Eloise existaient-ils ?

La rebelle Eloise Bridgerton n’a jamais caché son dégoût pour le mariage et sa soif de liberté. Au cours de cette saison, elle assiste à des réunions clandestines dédiées aux droits des femmes. Elle y rencontre le jeune Théo Sharpe qui lui fait lire des ouvrages révolutionnaires. Une référence anachronique pour l’époque. La Régence est “une période de transition. Après la Révolution française, Mary Wollstonecraft publie son ouvrage en faveur de l'égalité des sexes, A Vindication of the Rights of Woman (1792)”, explique Ophélie Siméon. "La question des droits des femmes refait surface plus tardivement, à partir de 1825, au moment où les premiers mouvements socialistes britanniques prennent leur essor”, ajoute-t-elle. Eloise lit pourtant en 1814 des pamphlets féministes écrits des années plus tard par William Thompson (Appeal of One Half the Human Race).

Un peu plus tard, la chronique de Lady Whistledown consacrée à Eloise, mentionne des réunions avec des "radicaux". Ces groupes ont bien existé, ils sont "des héritiers des Lumières, qui ont très souvent admiré la Révolution française sans aller jusqu’à soutenir la Terreur”. Ils soutiennent l’égalité, l'extension du droit de vote, réservé à cette époque à quelques aristocrates. Un mouvement que méprise ouvertement la reine Charlotte.

Eloise, un personnage très moderne qui semble tout droit sortie d'un livre de Jane Austen.  (NETFLIX)

Les femmes étaient-elles rares à travailler sous la Régence ?  

Hormis la modiste Madame Delacroix et la chroniqueuse de potins Lady Whistledown, il est rare de voir des femmes travailler dans Bridgerton. “C’était très difficile à l’époque pour les femmes de gagner leur vie et dans l’aristocratie il y a un mépris du travail”, explique Ophélie Siméon. Dans la série, Portia Featherington plaint la créatrice française de devoir s’abaisser à gérer son entreprise toute seule, une tâche dégradante à ses yeux. En revanche pour les femmes issues des milieux modestes, il était commun de travailler jusqu’à son mariage, en travaillant à la ferme, dans les usines pour les plus pauvres ou en réalisant des travaux de coutures à l’image de Madame Delacroix.

Les anachronismes assumés sont-ils toujours présents dans cette saison 2 ?

Bridgerton se démarque des autres séries historiques, en assumant de jouer la carte de l’anachronisme. Les personnages témoignent d’un choix pour la diversité avec des nobles de couleurs et d’origines variées. Un parti pris de la productrice Shonda Rhimes qui en a fait la signature de la série. Les choix vestimentaires n’ont pas la prétention d’être proches de la réalité de l’époque. La reine Charlotte avec ses perruques gigantesques et ses robes à paniers semble tout droit sortie du 18e siècle, tandis que les hommes respectent globalement le style “dandy” de l’époque. Pour les femmes, le style Régence est en réalité plus sobre, avec par exemple des tenues en soie unie, bien loin des couleurs vives des robes à motifs que porte la famille Featherington.

Un choix artistique complètement assumé par la chef décoratrice de la série, Gina Cromwell. Chaque famille s’est vu attribuer une couleur “comme à des équipes de football, pour que le public sache tout de suite où elles se trouvent dans la première saison”, confiait la cheffe décoratrice à Vanity Fair. Ainsi, la famille Sharma porte majoritairement un panel de rose, les Bridgerton des couleurs pâles (bleu, vert, blanc) et les Featherington des teintes criardes comme du jaune et de l’orange.

Comme dans la première saison, les fans pourront à nouveau s’amuser à deviner les versions orchestrales des chansons modernes, présentes tout au long de la série. Ainsi le titre phare de Miley Cyrus Wrecking Ball, accompagne les prétendantes lors d’une soirée, Stay Away de Nirvana rythme les déboires amoureux d’Anthony et Dancing on my own de Robyn, sublime la danse entre l’éternel célibataire et Kate Sharma. Les équipes souhaitaient que “les spectateurs soient aussi excités que pourraient l'être les personnages de la série lors des scènes de bals”, expliquait Chris Van Dusen, showrunner de la série. 

Défi relevé, le succès est au rendez-vous : la série a déjà été renouvelée pour deux saisons supplémentaires et un spin-off dédié à la jeunesse de la reine Charlotte est en cours de préparation.

La Chronique des Bridgerton, saison 2, en intégralité sur Netflix

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