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"Esterno notte", sur Arte : la magistrale relecture par Marco Bellocchio en série tv, de l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro

Près de 20 ans après "Buongiorno Notte" (2003), le cinéaste italien Marco Bellocchio revient sur l'affaire Aldo Moro qui, pendant les "Années de plomb", a tenu en haleine l'Italie deux mois durant. Une histoire centrale que le réalisateur raconte cette fois sous la forme d'une série, fastueuse et haletante, "Esterno notte", diffusée sur arte.tv et Arte.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Fabrizio Gifuni incarne Aldo Moro dans "Esterno notte", série de Marco Bellocchio. (ARTE)

En mai 2022, le public du Festival de Cannes a pu découvrir en une seule projection de plus de cinq heures, les six épisodes de la première série du cinéaste octogénaire Marco Bellocchio, Esterno notte. L'ovation à l'issue de la projection est sûrement de bon augure pour la diffusion de la série à partir du 8 mars sur arte.tv et les 15 et 16 mars sur la chaîne Arte.    

Dans Esterno Notte (en français, extérieur nuit), Marco Bellocchio retrouve l'affaire de l'enlèvement d'Aldo Moro du printemps 1978 : un drame central dans l'histoire des Années de plomb qui tint l'Italie en haleine pendant 55 jours et qui se solda par l'assassinat, par les Brigades Rouges, du président du parti de centre droit au pouvoir, coupable d'avoir tenté une ouverture du gouvernement aux communistes.

"Ça a réveillé mon imagination"

La commémoration de ces événements à l'occasion de leur quarantième anniversaire en 2018 et son déluge de livres et autres enquêtes parus à ce moment, ont "inspiré" le cinéaste, que nous avons interviewé lors de sa présence à Cannes. "Plus encore qu'un intérêt historique, ça a réveillé mon imagination", nous a-t-il dit d'emblée. 

Attention : version italienne non sous-titrée

"J'avais observé de l'intérieur l'emprisonnement d'Aldo Moro dans mon film Buongiorno Notte. J'ai voulu maintenant en explorer l'extérieur, en choisissant des personnages de l'affaire, et donc le ministre de l'Intérieur de l'époque, la femme d'Aldo Moro, le pape, et deux des terroristes". Résultat, une plongée passionnante dans cette histoire où Bellocchio a choisi de s'intéresser, à chaque épisode, au point de vue d'un des personnages. Pour chacun se repose donc la question centrale : pourquoi Moro a-t-il été assassiné, pourquoi n'a-t-on pas réussi - ou voulu - le libérer ?

Au plus près des personnages de l'affaire

Si le film est globalement une charge contre le parti de la Démocratie Chrétienne (DC), Bellocchio ne condamne jamais les personnes devenues ses personnages. Il nous fait vivre au plus près d'eux et de leur vision subjective de la réalité. Ainsi par exemple perçoit-on la rage de Eleonora Moro de voir l'incapacité de l'Etat à trouver un compromis permettant de sauver son mari. Ou le ministre de l'Intérieur Cossiga en charge de l'affaire (et fils politique de Moro) englué dans l'enquête – les plans de lui dans la salle d'écoute de la police sont remarquables -. Enfin le pape Paul VI, ami personnel de Moro, autoriser qu'on livre des liasses de billets aux terroristes si cela peut permettre une issue favorable…

Pour donner corps à son propos, le réalisateur s'est offert un casting de choix. Le brillant Toni Servillo (La grande bellezza) est dans la peau du pape, Fabrizio Gifuni (découvert dans Nos meilleures années) incarne Aldo Moro, d'une troublante ressemblance et justesse, et enfin Barbara Buy, égérie de Nanni Moretti, interprète avec délicatesse Eleonora Moro.

Digressions oniriques

Du beau cinéma, serait-on tenté de dire, à la photographie impeccable et à la musique grandiose, mais qui a su s'adapter aux règles des séries haletantes d'aujourd'hui. "Evidemment, ça a comporté un style plus sec et plus rapide, qui évite de s'attarder sur certaines situations mais qui soit plus sur les personnages. Un style plus efficace et plus facile. Souvent c'est juste champ contre-champ !", s'amuse le réalisateur.

Un style qui n'aura pas empêché ses morceaux de bravoure, des digressions oniriques et parfois très lyriques, si caractéristiques du cinéma de Bellocchio, Comme ce plan inouï d'Aldo Moro portant littéralement sa croix tel le Christ, dans le rêve éveillé du pape en ce jour de Pâques, qui en perd sa santé. "Il est clair que la vérité historique a besoin de ces libertés, de cette fiction", nous dit avec simplicité  Bellocchio. C'est ainsi.

"Esterno notte", sur arte.tv dès le 8 mars et les 15 et 16 mars sur la chaîne Arte.

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