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Politique, climat, féminisme... Tout ce que l'on a voulu faire dire à "Game of Thrones"

La série de tous les records, la plus téléchargée de l'histoire, a connu son dénouement dans la nuit de dimanche à lundi. Mais ses fans n'ont pas fini de faire un parallèle entre les événements qu'elle décrit et notre époque.

Article rédigé par Marion Bothorel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Du réchauffement climatique à l'exercice du pouvoir, en passant par la place des femmes, les rapports entre les personnages de la série "Game of Thrones" ont donné lieu à de multiples interprétations. (AWA SANE / JESSICA KOMGUEN / PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Attention, certains passages de cet article divulguent des éléments de l'intrigue, jusqu'au 5e épisode de la saison 8.


Tout a une fin, même Game of Thrones. Le dernier épisode de la 8e et ultime saison du Trône de fer, la série phare de la chaîne américaine HBO, diffusé dans la nuit du dimanche 19 au lundi 20 mai, était très attendu par les fans du monde entier. Dans une ambiance moyenâgeuse matinée d'heroic fantasy, l'intrigue de la saga créée par George R. R. Martin peut se résumer comme un affrontement entre plusieurs familles puissantes. Elles tentent d'obtenir et de conserver le pouvoir sur un vaste territoire, où tous les coups sont permis et où une autre menace, celle des Marcheurs blancs, peut rebattre les cartes.

Les fans ont décelé de multiples allusions à notre époque au cours des 73 épisodes de la série. On y retrouve notamment des thèmes récurrents, autour de la complexité de l'exercice du pouvoir, de l'urgence climatique et de la place des femmes dans la société. Pour y voir plus clair, franceinfo s'est appuyée sur Sandra Laugier, philosophe à l'université Panthéon-Sorbonne et férue de la série.

Une réflexion sur l'exercice du pouvoir

"La rationalité prémoderne de Jon Snow", "la raison d'Etat" incarnée par Daenerys Targaryen... Game of Thrones met en application des théories politiques, selon Slate.fr. La série interroge "la nature des institutions politiques de l'Occident et exprime les angoisses contemporaines quant à la stabilité de l'ordre mondial", selon la doctorante en sciences politiques Amélie Férey. Pendant huit saisons, les téléspectateurs voient ainsi comment le pouvoir s'exerce au sein de plusieurs familles, mais aussi entre les puissants et le peuple. 

C'est "ce constat que les actes politiques changent la donne, et qu'on doit en éponger, subir et affronter les conséquences très longtemps" qui intéresse l'Américain George R. R. Martin, l'auteur de Game of Thrones, selon Mathieu Potte-Bonneville. "Cette série est autant un diagnostic du politique qu'elle est sujette à des instrumentalisations contemporaines", analyse le philosophe dans le hors-série de Philosophie magazine.

Le meilleur exemple en date reste la façon dont le président américian, Donald Trump, y a fait référence en novembre 2018 pour annoncer la reprise des sanctions iraniennes, puis en avril 2019 pour saluer la publication du rapport Mueller. Un détournement qui n'a pas manqué de faire réagir les fans et les acteurs de Game of Thrones

En octobre 2018, le New York Times* interrogeait George R. R. Martin, et à la question "A quel personnage Donald Trump vous fait-il penser ?", l'écrivain a répondu du tac au tac : "Joffrey". Prince héritier des Sept couronnes, pervers et colérique, il marque la série par son manque d'expérience, son caractère tempétueux et sa cruauté sans limite.

Selon la critique du New Yorker Emily Nussbaum, la série a alimenté des comparaisons "perversement pertinente[s]" pendant la dernière campagne présidentielle américaine. Dans son article*, elle esquissait le parallèle entre Hillary Clinton et Daenerys Targaryen, aspirante au trône exilée et isolée. 

Capture d'écran d'un post Instagram d'Emilia Clarke, l'actrice qui joue Daenerys Targaryen dans la série, lors de la campagne pour la présidentielle américaine.  (Capture d'écran)

State, le magazine de CNN Politics*, explique que Le Trône de fer est "un point de départ pour aborder la politique étrangère comme la politique intérieure" en "incluant l'importance de la diplomatie et des questions de moralité lorsqu'on se saisit des leviers du pouvoir". La série articule les histoires de cœur aux alliances et aux stratégies de complots. Si George R. R. Martin s'inspire de la véritable histoire de la guerre des Deux-Roses (1455-1485) en Angleterre et de la guerre de Cent Ans (1337-1453) en France, les producteurs de la série ne cachent pas qu'ils s'inspirent aussi de l'époque actuelle.

Pour le Washington Post*, Game of Thrones se résume à "une méditation sur la subtilité et la volatilité du pouvoir". La série soutient que le pouvoir rend fou et cruel, que celui qui le détient devient tyrannique et cherche à étendre les limites de son royaume. "Le meilleur n'est-il pas celui qui ne veut pas régner ?" s'interroge le conseiller Varys dans la saison 8, au sujet de Jon Snow. "La majorité de la série ne se concentre pas sur la prise du pouvoir, mais sur l'établissement de sa légitimité", analysait Peter Suderman, du magazine Reason, cité par The Guardian*.

Ce qu'en dit Sandra Laugier, philosophe : "C'est une série très polyphonique où il y a beaucoup de personnages aux caractères différents et où chacun a voix au chapitre. Selon qui on décide d'écouter, que ce soit Tyrion ou Daenerys, des personnes vont être plus à l'écoute du peuple que d'autres, qui vont plus invoquer la raison d'Etat."

La figure de Jon Snow fait référence, selon Sandra Laugier, à ce qui est "dit par Socrate dans La République, de Platon" : "C'est un principe philosophique de base que de dire que la personne qui mérite le pouvoir, c'est la personne qui ne le veut pas. C'est cela qui positionne [Jon Snow] comme légitime prétendant au trône et c'est cela qui en fait un héros. Game of Thrones est une série de discours où les gens sont tout le temps en train d'exprimer des positions morales très différentes. Le combat constant dans cette série, ce sont les revirements que l'on éprouve, nous, vis-à-vis des personnages. Face au dernier revirement de Jaime, par exemple, qui réprouve finalement cette tendance globale qui tend à le rendre meilleur, en disant : 'Non je suis une ordure, je suis du côté du mal'." 

Une parabole de la menace climatique

"Winter is coming" ("l'hiver arrive"). C'est par cette menace que débute la série : une armée de Marcheurs blancs, des revenants voulant précipiter l'humanité dans une période glaciaire, se dirige vers le royaume des Sept Couronnes. La comparaison avec le changement climatique est immédiate. "Les Marcheurs blancs sont quasiment une réaction naturelle à la croissance et au développement de l'humanité", note Vox, dans une analyse de la saison 6*.

Les habitants de l'extrême Nord, au-delà du Mur, les Sauvageons, sont contraints à quitter leur région et leur accueil par les habitants des Sept Couronnes alimente des conflits. "Game of Thrones est ce que nous vivons, mais à l'envers : le refroidissement climatique plutôt que le réchauffement, et les migrants – les Sauvageons – qui viennent du Nord plutôt que du Sud, chassés par l'invasion des Marcheurs blancs, qui représentent la maladie, la famine, la mort", écrit l'inventeur de la collapsologie, Pablo Servigne, sur le site ReporterrePour L'Obs, la bataille de tous les records contre les Marcheurs blancs, dans l'épisode 3 de la saison 8, "s'adresse en réalité à nous tous, les menacés du réchauffement climatique".

Interrogé à ce sujet par le New York Times*, George R. R. Martin souligne qu'en 1991, lorsqu'il s'est lancé dans l'écriture de cette fresque de 16 ouvrages, le réchauffement climatique n'occupait pas les esprits. Mais l'auteur laisse la porte ouverte aux parallèles avec l'urgence écologique : "Pendant que l'on se déchire sur des questions de politique étrangère, de justice sociale ou des prochaines élections, on n'accorde pas d'importance au changement climatique. Toutes ces choses sont importantes, mais aucune d'entre elles ne l'est vraiment, si nous sommes tous morts et si nos villes sont englouties" par la montée des eaux, ajoute-t-il avant de souligner que la "menace [climatique] est en train de détruire notre monde".

La série met en scène des lanceurs d'alerte bien en peine de convaincre les dirigeants des Sept Couronnes de l'urgence climatique. Dès le premier épisode de la première saison, un déserteur de la Garde de nuit veut informer le monde de l'arrivée des Marcheurs blancs. Il finit décapité. Le rôle du lanceur d'alerte revient ensuite à Jon Snow, qui passe une bonne partie de la septième saison à convaincre ses ennemis de s'allier pour agir, ensemble, contre les Marcheurs blancs. Il "essaie de crier au loup, mais n'arrive pas aisément à se faire entendre", explique le collapsologue Pablo Servigne.

Ce qu'en pense Sandra Laugier : "Il s'agit plutôt d'un refroidissement, évidemment, mais cette idée de menace sourde n'est pas forcément climatique, c'est plutôt l'idée d'un risque, d'un danger pour l'humanité tout entière. Et d'ailleurs, vers la fin de la dernière saison, toute l'humanité, ou presque, va se rassembler contre ce danger. Le risque climatique est une première interprétation, mais qui est assez banale et minimale : il n'y a pas que cette question climatique qui ne trouve pas de solutions dans la série. Ce qui prime, c'est cette idée d'une première alerte qu'on n'entend pas avant que Jon Snow ne joue réellement ce rôle [de lanceur d'alerte]."

Un récit féministe pour les uns, machiste pour les autres

La série est tantôt qualifiée de féministe, tantôt accusée de véhiculer la culture du viol. Chaque épisode, chaque posture et chaque parole sont finement scrutés. La saison 8 n'a pas échappé à son scandale : dans l'épisode 4, Sansa Stark explique que "sans Littlefinger [qui l'a manipulée et vendue], sans Ramsay [qui l'a torturée et violée] et le reste, je serais restée un petit oiseau toute ma vie". La phrase a choqué des téléspectateurs, dont l'actrice américaine Jessica Chastain : "Le viol n'est pas un outil pour rendre un personnage plus fort", s'est-elle fendue dans un tweet.  

"Faire passer ses épreuves comme une sorte de rite initiatique qui lui a permis de devenir une 'femme forte' (...) c'est un cliché très commun avec lequel on aimerait bien en finir", déplorent Anaïs Bordages et Marie Telling dans leur analyse hebdomadaire de la saison 8 sur Slate.

George R. R. Martin a plusieurs fois répondu aux accusations de misogynie, comme en juillet 2013 dans un entretien accordé au Time* : "J'écris essentiellement un récit de guerre – qui se base sur la guerre des Deux-Roses, la guerre de Cent Ans", développe-t-il durant l'interview, avant d'ajouter : "Et quand je lis des livres d'histoire, le viol fait partie de toutes ces guerres'." Les scènes de tortures, de viols et de violences sur les personnages féminins, listées par ce dossier spécial du Point, sont parfois à la limite du soutenable. Mais au bout de la 8e saison, les principaux personnages féminins finissent au premier plan de la série et dirigent des royaumes.

Le magazine Neon a interrogé deux démographes qui ont compilé toutes les données et les trajectoires relatives aux personnages de la saison. Sur les dix personnages les plus visibles à l'écran, quatre sont des femmes, expliquent Romane Beaufort et Lucas Melissent, et un quart d'entre elles ont un rôle politique, pour un tiers des hommes. "On observe, en plus, des évolutions personnelles assez fabuleuses. C'est le cas de Cersei qui passe du statut d'épouse soumise [de Robert Baratheon] à celui de reine installée sur le Trône de fer", explique Lucas Melissent. Toutefois, 25% des personnages féminins de la série sont des prostituées, des esclaves ou des domestiques, alors que ce chiffre tombe à 2% pour la gent masculine.

"C'est réduire encore une fois une femme à son physique et à sa charge sexuelle", regrette la spécialiste de la représentation du genre et autrice de Sex and the Series, Iris Brey, auprès de Terra Femina : "Pour moi, un personnage féministe, c'est celui qui révolutionne la manière dont on voit le pouvoir. Or la série ne fait que reposer sur un pouvoir extrêmement traditionnel."

Ce qu'en pense Sandra Laugier : La philosophe note que la violence sexuelle s'exerce à l'encontre des hommes (un des personnages, Theon Greyjoy, est ainsi émasculé), mais surtout à l'encontre des femmes. Néanmoins, elle estime que celles-ci ont une place de choix. "Pour moi la balance va vraiment du côté d'une série féministe car en dépit de toute cette violence, les femmes sont vraiment le personnage dominant, avec des héroïnes fortes, y compris de grandes méchantes. C'est la véritable promotion de Game of Thrones que des femmes accèdent à ce statut. Et pour qu'une série soit féministe, il ne faut pas seulement qu'elle mette des femmes à l'honneur, mais aussi des femmes différentes et qui ne se définissent pas par la maternité. Qu'Arya [qui devient assassin] et Brienne [qui devient chevalier] le représentent, ne s'intéressent pas à la maternité, c'est peut-être la marque féministe la plus forte et la plus moderne de la série."

* Les liens signalés par un astérisque renvoient vers des articles en anglais.

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