Henri de Turenne : les élégances du journalisme
C’était il y a un peu plus de trois ans, Henri de Turenne était à la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédia) pour relire l’un de ses premiers papiers. La voix chaude, un peu traînante, devant un auditoire subjugué, il disait à plus de quatre vingt dix ans ce que lui, le reporter avait écrit soixante ans auparavant, précisément au moment de la guerre de Corée en 1951. Et la mitraille s’était installée dans le petit auditorium. Une bataille sans héros, racontée au plus près.
Derrière son micro, Henri de Turenne se tenait légèrement voûté, comme toujours impeccablement habillé, n’hésitant pas à mêler les couleurs les plus surprenantes de la cravate au pantalon de velours. Un so british, tout à fait naturel. L’élégance de l’attitude.
Quand il conquiert avec ce reportage, le prix Albert Londres, Henri de Turenne a trente ans. Il travaille pour l’AFP et rédige des articles pour le Figaro qui n’a pas de correspondant sur place. « Je faisais des papiers en rentrant du boulot, a raconté le journaliste au site Géopolis. En fait, je ne savais pas ce que c’était. Ça a attiré l’attention de ma direction, et j’ai doublé mon salaire. »
"On ne m’a jamais modifié un mot de mes papiers"
Journaliste de presse écrite, Henri de Turenne avait une conception sourcilleuse de son indépendance. Sur le plateau de l’émission « Les dossiers de l’écran » d’Antenne 2, il lance à l’adresse du journaliste Jean-François Kahn : « On ne m’a jamais modifié un mot de mes papiers. Je ne comprends pas que tu sois resté à l’Express. Le propriétaire d’un journal peut faire ce qu’il veut, y compris tout jeter, mais pas changer ce qui est écrit. »Après le Figaro, ce sera France Soir. Pierre Lazareff en est le patron, c’est aussi lui qui va fonder le magazine de grand reportage à la télé, « Cinq colonnes à la Une ». Et comme par hasard, Turenne s’essaye au son et à l’image. En septembre 1964 il signe un 26 minutes sur Harlem pour ce qu’on surnommait Cinq Col. « Ici 1 homme sur 3 est au chômage. Ici, les enfants meurent deux fois plus qu’ailleurs. Ici, on tue six fois plus que dans le reste de New-York. Ici, on consomme huit fois plus de drogue… » Les chiffres sont dits sans effet de clairon dramatisant, en toute rigueur. Un blues accompagne les gros plans noirs et blancs, de visages filmés dans la rue. Turenne est déjà un réalisateur qui fait de l’information, « On a souvent dit que les journalistes provoquaient les actes de violence des noirs aux Etats-Unis. Ils faisaient cela à cause de la présence des caméras. Bien sûr que non. Si les gens font cela c’est qu’ils ont un message à transmettre, et c’est leur seul moyen de le faire. » L’élégance de la tolérance, de la subtilité.
Plus tard, il aura son magazine intitulé : Caméra 3. Mais, son grand œuvre (expression qu’il aurait détesté) est sans conteste les séries documentaires qu’il consacre à la seconde guerre mondiale ou aux grandes batailles. Ce qu’il réalisera dans le cadre d’une co-production internationale, sur le Vietnam lui vaudra un Emmy Award. Henri de Turenne a bel et bien inventé l’art du récit historique en séries à la télé. L’élégance de la création.
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