L'actrice Judith Godrèche évoque l'emprise d'un réalisateur dans la série "Icon of French Cinema", disponible sur Arte

La comédienne a dénoncé samedi l'emprise que le cinéaste Benoît Jacquot a exercée sur elle lorsqu'elle était mineure. Dans une série d'autofiction, elle évoque les rouages d'une telle situation et donne à voir la force de la domination masculine dans différents milieux.
Article rédigé par Neil Senot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Judith Godrèche lors du Festival de Deauville, en septembre 2023. (LOIC VENANCE / AFP)

"C'est ça qui a été ma chance au départ". Dans Icon of French Cinema, l'actrice et réalisatrice Judith Godrèche met en scène son double, une Judith Godrèche de fiction qu'elle incarne à l'âge adulte. Cette phrase qui évoque la chance de ses débuts dans le cinéma est prononcée lors d'une interview par la jeune comédienne Alma Struve. Elle incarne l'actrice à l'aube de sa carrière. La "chance" en question est la rencontre d'un certain Éric, un réalisateur de quarante ans qui a écrit un film juste pour elle. Lancée avec gaieté, la phrase bouleverse. Aux yeux des spectateurs, la rencontre n'est en rien providentielle. Elle porte en elle le germe de l'emprise.

Sur son compte Instagram, Judith Godrèche publie le samedi 6 janvier 2024 un ensemble de textes en story. Elle y évoque un patronyme, celui du réalisateur français Benoît Jacquot avec qui elle a vécu alors qu'elle avait 15 ans et lui plus de 40. "La petite fille en moi ne peut plus taire ce nom", écrit-elle alors. À travers la diffusion de ces posts, elle donne finalement une identité à un abus de pouvoir, une situation d'emprise. Jusqu'alors, la comédienne avait fait le choix de l'évoquer anonymement. Dans sa série Icon of French Cinema, disponible depuis le 28 décembre sur le site d'Arte, le réalisateur s'appelle Éric. Mais le reste n'est pas dit à demi-mot.

Icon of French Cinema est d'abord l'histoire d'une actrice qui revient en France, son pays d'origine, après avoir vécu une dizaine d'années aux États-Unis. La série raconte, avec beaucoup d'autodérision, la difficulté à se réinsérer dans le milieu du cinéma français. Mais en filigrane, les six épisodes dévoilent surtout des situations et des relations problématiques, des abus de pouvoirs masculins.

La série alterne entre le présent et la jeunesse du personnage de Judith Godrèche. Les moments de jeunesse laissent entrevoir l'ampleur de l'emprise. La réalisation est pudique : les gestes les plus déplacés se situent souvent hors champs où sont montrés à l'écran de manière fugace, notamment via un procédé de flash-back. Au fil du récit, la souffrance de l'actrice lors de son adolescence et le poids du passé une fois adulte s'expriment avec force. Malgré la consultation de trois psychologues, Judith a du mal à avancer.

Loïc Corbery incarne Éric, un réalisateur qui exerce son emprise sur le personnage de Judith Godrèche. (DAVID KOSKAS / ARTE)

Autour de cette histoire centrale, d'autres pouvoirs et d'autres violences s'exercent. Un chorégraphe de 35 ans fait preuve d'un intérêt malsain pour Zoé (Tess Barthélemy), la fille de l'actrice, un retraité fait miroiter un mariage à Kim, une gouvernante philippine en situation irrégulière pour la garder sous son contrôle, un homme frappe une femme dans la rue, un autre se fiche du consentement... Dans Icon of French Cinema, Judith Godrèche ne cherche pas tant à évoquer son passé qu'à dresser le portrait d'un système. Un système qui s'exerce dans les milieux artistiques, et bien au-delà.

Femme en lutte

"Je me dois de le faire pour nos filles, nos petites sœurs". Dans les posts qu'elle a publiés sur les réseaux sociaux, Judith Godrèche fait de sa prise de parole une démarche pour l'avenir. Dans la série dont son alter-ego est l'héroïne, l'actrice se débat pour ne pas voir l'histoire se répéter autour d'elle. Icon of French Cinema est le récit d'emprises, de luttes et d'avancées. Judith Godrèche y met en scène la force et l'importance de l'amour maternel, de l'attention, de l'entraide.

Avant de rendre public le nom de Benoît Jacquot, Judith Godrèche avait évoqué à diverses reprises l'extrême vulnérabilité des jeunes actrices et montré son soutien sans faille au mouvement #MeToo. Peu de temps après que l'affaire Harvey Weinstein a éclaté, l'actrice avait pris la parole en tant que victime. Elle évoquait alors une agression en 1994 dans une chambre d'hôtel à Cannes. Réussissant à fuir, elle dit en avoir informé une collaboratrice du producteur. Cette dernière lui aurait intimé le silence.

Affiche de la série "Icon of French Cinema" réalisée par Judith Godrèche. (ARTE)

La fiche

Genre : Comédie
Réalisateur : Judith Godrèche
Acteurs : Judith Godrèche, Tess Barthélemy, Liz Kingsman, Loïc Corbery, Gina Cailin, Alma Struve
Pays : France
Durée :
6 épisodes de 30 minutes
Sortie :
28 décembre 2023
Diffusion :
Arte.tv
Synopsis : De retour à Paris après un exil hollywoodien de plusieurs années, Judith, ancienne égérie du cinéma d’auteur, compte bien relancer sa carrière avec un nouveau film. Mais pour l’actrice, la mère et la femme enthousiaste et romantique, pas si simple de démarrer une nouvelle vie. Surtout quand sa fille de 16 ans tombe amoureuse d’un prof de danse bien plus âgé qu’elle. Dans un monde qui change, entre humour et désillusion, Judith va devoir jongler entre ambition personnelle, angoisses maternelles et faire finalement face aux démons de son passé. Mieux qu’une icône, le portrait tout en autodérision et contradictions d’une femme avec ses aspirations, ses peurs, ses passions et surtout la soif de conquérir sa liberté.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.