"Les Papillons noirs" : le partenariat inédit d’Arte avec les éditions du Masque brouille les pistes entre fiction et réalité
L'écrivain Gabriel Katz a relevé le défi que lui proposaient les réalisateurs de la nouvelle série d'Arte "Les Papillons noirs" : inventer et écrire à toute vitesse le polar que rédige un personnage majeur dans le scénario. Le livre vient de sortir en librairie et crée ainsi une passerelle inédite entre fiction et réalité.
Ils portent le même nom, Les Papillons noirs, tout en étant très différents. D’un côté la nouvelle série à suspense d’Arte, de l’autre un polar, celui-là même qu’un personnage écrit dans la série, publié aux éditions du Masque. Deux faces d’une même histoire, deux œuvres qui se répondent. Cette opération est sans précédent, en tout cas en France. Elle n’a rien à voir avec l’adaptation d’un roman sur petit ou grand écran. Imaginez plutôt un instant avoir pu tenir entre vos mains, le jour de la sortie du film Le Magnifique avec Belmondo, le roman d’espionnage inédit des aventures de Bob Saint-Clar qu’écrit laborieusement son personnage maladroit et rêveur et dont on voit des extraits tapés à la machine dans le film.
Une opération sans précédent
Reprenons du début. Dans Les Papillons noirs, la nouvelle série de rentrée d’Arte, Adrien Winckler (joué par Nicolas Duvauchelle), auteur de polars en panne d’inspiration, est recruté par un vieil homme, Albert Desiderio (Niels Arestrup), pour écrire ses mémoires. Mais en recueillant ses souvenirs, il se rend compte rapidement que cet homme est un tueur en série qui a sévi en couple avec sa compagne Solange (Alyzée Costes) durant les années 70. Une histoire haletante à faire se dresser les cheveux sur la tête qui tombe à pic pour l’auteur en quête d’idées de thriller, et qu’il va faire sienne.
Ce qui est sans précédent, en tout cas en France, c’est que le livre que le personnage de fiction Adrien Winckler rédige au fil de cette série sous le pseudo de Mody, paraît ces jours-ci en librairie, dans la vraie vie. Bien qu’ils portent le même nom, Les Papillons noirs, et qu’ils partagent un socle commun, le polar est totalement différent de la série ; il la complète, offrant un éclairage nouveau sur les amants criminels et leurs motivations mais révélant aussi le point de vue de l'auteur de fiction. Une vertigineuse mise en abyme, fruit d’un partenariat inédit noué peu avant le tournage entre les éditions du Masque et le tandem de scénaristes et réalisateurs Olivier Abbou et Bruno Merle.
"Ouvrir une porte entre fiction et réalité"
"Quand j’ai été contactée début 2021 par Olivier Abbou, j’ai trouvé son idée complètement folle. Il me dit : ce livre qu’écrit le personnage d’Adrien Winckler dans la série, j’aimerais qu’il existe dans la réalité. On ne m’avait jamais proposé un projet aussi ambitieux", s’enthousiasme Violaine Chivot, directrice des éditions du Masque. Le scénario était alors bouclé et le tournage n’avait pas encore commencé. Ce scénario, l’éditrice le dévore en un week-end et dit banco.
Ce que j’ai aimé c’est qu’il ne s’agissait pas d’une adaptation mais d’écrire un livre en parallèle à la série, c’était véritablement jouer avec le téléspectateur et avec le lecteur. C’était proposer aux amateurs de la série d’ouvrir une porte entre fiction et réalité, une idée géniale et totalement dans l’air du temps.
Violaine Chivot, directrice des éditions du Masqueà Franceinfo Culture
Aussitôt, elle pense à l’auteur Gabriel Katz (un pseudo là aussi). Longtemps plume fantôme pour des hommes politiques, des people et des écrivains, il a aussi signé des livres de fantasy et des polars aux éditions du Masque, et est aujourd'hui scénariste télé et BD. "C’est un auteur brillant et caméléon, qui saute avec aisance d’un genre littéraire à un autre. Il a une plume, il est très doué et il travaille vite. Or nous avions un planning serré", raconte Violaine Chivot.
Ecrivain de l'ombre d'un écrivain de l'ombre qui n'existe pas
"Au départ, j’ai dit non parce que je ne veux plus faire ghostwriter, je l’ai fait pendant dix ans", se souvient de son côté Gabriel Katz, rencontré mardi 6 septembre lors d’une signature avec Nicolas Duvauchelle (l’écrivain de fiction dans la série) à la librairie ICI sur les Grands Boulevards. "Et puis je me suis rendu compte que c’était un projet très original, totalement inédit et fascinant. Car je suis l’écrivain fantôme d’un écrivain de l’ombre qui n’existe pas…et dont le livre existe maintenant réellement. C’est un truc de dingue !". L’écrivain se prend alors "de passion" pour le scénario de la série qu’il juge "très inspirant" : "c’est une histoire à la fois douloureuse, romantique et violente qui m’a porté", relate-t-il.
Olivier Abbou et Bruno Merle lui ont donné toute latitude. "Ils ne voulaient pas d’une copie de la série. Ils m’ont dit : à partir du scénario, tu te mets dans la peau de cet écrivain Mody, et tu écris le livre qu’il aurait écrit. J’ai donc gardé les grandes lignes de l’histoire mais je l’interprète et l'imagine comme si j’avais été Mody. C’était amusant mais aussi un énorme challenge, parce que je n’ai eu que six mois. J’ai l’habitude de travailler vite mais cela demandait énormément de tricotage. J’ai dû trouver des angles, creuser d’autres ressorts psychologiques et lever des zones d’ombres que taisait le scénario."
Par exemple, la série mentionne rapidement au début le fait que Solange est la fille d’une femme tondue à la Libération. Pour le polar, Gabriel Katz a creusé cette information : le livre débute par une longue scène tragique durant laquelle une femme enceinte accusée d’avoir couché avec un Allemand se fait tondre, bousculer et humilier en place publique après la Seconde Guerre mondiale. Compagnons de route, série et livre cheminent donc main dans la main mais empruntent des sentiers différents, s’éclairant mutuellement tout en restant indépendants : pas besoin de voir l’un pour apprécier l’autre et vice versa.
Le vrai et le faux écrivain réunis dans une librairie
L’idée était aussi de rédiger le livre suffisamment tôt pour en inclure des passages en train de s’écrire dans la série. Créées en 1927, les éditions du Masque (aujourd’hui chapeautées par JC Lattès au sein d’Hachette) furent les premières à consacrer une collection aux polars. Avec leur couverture jaune caractéristique, elles intéressaient aussi les réalisateurs pour leur petit côté patrimonial.
Pour la maison d’édition, c’est une aubaine puisqu'elle va bénéficier avec cette opération de la force de frappe en terme de visibilité et de promotion de la chaîne Arte puis de Netflix sur laquelle la série atterrira dans un second temps. Le livre débute avec un tirage de 15 000 exemplaires mais Violaine Chivot espère rééditer très vite une seconde fournée. Elle a déjà vendu les droits monde en langue espagnole et vise la Foire de Francfort cet automne pour faire le plein à l’international grâce à la diffusion mondiale de la série sur Netflix.
Dans une scène de la série, l'écrivain Adrien Winckler alias Mody donne une lecture du début de son roman dans une librairie. Le fantasme des réalisateurs est devenu réalité mardi 6 septembre lorsque l’écrivain de fiction incarné par Nicolas Duvauchelle s’est retrouvé côte à côte avec le véritable auteur, Gabriel Katz, pour dédicacer le livre au public dans la librairie parisienne ICI. "Cette aventure a été magique, et ce que je vous propose aujourd’hui de totalement inédit, c’est de signer en compagnie de l’auteur de fiction du livre qu’il n’a pas écrit mais qu’il va dédicacer aussi", lance Gabriel Katz, pince-sans-rire. Et il ajoute : "Sur la jaquette, le livre est signé Mody, ici présent (il désigne Nicolas Duvauchelle). Quand on l’enlève on a le livre en dessous qui est l'interprétation du bouquin. La mise en abyme de la mise en abyme."
"Les Papillons noirs" de Mody (300 pages, éditions du Masque) est sorti le 7 septembre
"Les Papillons noirs" la série d'Arte est disponible dès à présent sur arte.tv et sera diffusée sur la chaîne Arte à partir du 22 septembre à 20h55
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