Comment Netflix veut restreindre le nombre d'utilisateurs qui regardent gratuitement ses contenus
Face à la baisse de son nombre d'abonnés, Netflix veut pousser les utilisateurs qui accèdent gratuitement à ses contenus, grâce aux partages d'identifiants, à s'abonner. Une stratégie risquée, si trop agressive.
Confronté pour la première fois depuis 10 ans à une diminution de son nombre d'abonnés, Netflix est menacé de stagnation après une décennie de croissance. Au premier trimestre 2022, la plateforme de streaming a perdu 200 000 de ses 221 millions d'abonnés. De loin, cette perte peut ressembler à une goutte d'eau pour le géant californien. Mais cet essoufflement inquiète les investisseurs. "La direction a été assez claire sur le fait que nous ne pouvions espérer qu'une croissance très faible en 2022 et 2023", ont relevé, dans une note, les analystes de Bank of America.
Pour ne pas perdre d'argent malgré cette légère diminution de son nombre d'abonnés, Netflix veut notamment s'attaquer aux spectateurs qui regardent ses contenus sans payer, grâce à des identifiants partagés. Selon les estimations de l'entreprise américaine, environ 100 millions de personnes accèdent à la plateforme sans rien débourser. Avec un abonnement à Netflix, un client peut en effet regarder les vidéos sur deux, trois ou quatre écrans différents selon l'option souscrite. Ce qui pousse souvent des utilisateurs de différents foyers à partager un abonnement. Ce qu'interdit pourtant la charte d'utilisation de Netflix, qui autorise le partage d'écran seulement au sein d'un même foyer.
"Quand nous étions en croissance rapide, ce n'était pas une priorité. Et maintenant, on travaille d'arrache-pied là-dessus, a reconnu le co-fondateur, Reed Hastings, lors de la présentation des résultats du premier trimestre 2022. "Nous ne voulons pas stopper ce partage", a néanmoins prévenu Gregory Peters, responsable opérationnel, mais "mieux convertir" ce visionnage indu en revenus.
“On a un ami qui est abonné à toutes les plateformes et il nous a filé ses comptes"
Gaël, habitant de Lyon et utilisateur "clandestin" de Netflix
Depuis l'avènement des plateformes de streaming (Netflix, Dinsey+, Prime Video, MyCanal...), le partage des identifiants est devenu une pratique très populaire. Mais en cas de restriction du partage des codes d'accès, les utilisateurs "clandestins" sont-ils prêts à mettre la main au porte-monnaie ?
“On a un ami qui est abonné à toutes les plateformes et il nous a filé ses comptes. S’il stoppe ses abonnements, je pense que ma copine voudrait garder Netflix. Moi je ne sais pas trop. Soit juste Netflix, soit rien", explique Gaël, cadre dans une association humanitaire à Lyon.
"On regarde MyCanal grâce aux codes de mes parents. Mais s’ils arrêtaient l’abonnement, on ne le reprendrait pas. On ne s’abonnerait pas à une plateforme à cause des tarifs et du fait que l’on peut regarder des séries sur des sites 'pirates'. Je n'ai pas trop de scrupule quand on regarde de grosses séries", dit pour sa part Antoine, jeune trentenaire salarié dans une entreprise d'aménagement urbain.
Les utilisateurs peuvent se sentir stigmatisés
Les utilisateurs qui profitent du partage de compte sans payer, Netflix doit réussir à les faire changer d'avis sans trop les brusquer pour éviter qu'ils ne se tournent vers d'autres plateformes ou des sites illégaux de streaming. “C’est un problème qui dépasse Netflix et concerne toutes les plateformes de vidéo à la demande (VoD). Au premier trimestre 2022, Warner avec sa plateforme a également été confronté à ce type de problème", nous dit Louis Wiart, professeur à l'Université Libre de Bruxelles et spécialiste des plateformes de streaming.
Selon ce chercheur, Netflix s'est aussi développé grâce au partage de compte, qui a permis au géant américain de se faire connaître très vite à un large public. "Cette pratique du partage d’écran entre des gens de plusieurs foyers différents a été tolérée par Netflix et a joué dans le développement de la plateforme en favorisant la consommation de ses contenus".
Revenir sur cette fonction pourrait être mal compris par le public. "Il y a un risque de dégrader l’image de marque si Netflix stigmatise la façon dont sa clientèle utilise ses services. Il s'agit en plus d'une pratique très répandue. Le deuxième risque, c’est un renforcement du piratage. Dans les 100 millions de personnes qui consomment sans payer, on peut imaginer qu’une partie ne voudra pas payer pour Netflix", poursuit Louis Wiart.
Les outils testés par Netflix pour limiter le partage des comptes
Pour savoir ce que le public est prêt à accepter concernant le partage des identifiants, Netflix a lancé une série de tests grandeur nature. En Amérique du Sud, le leader de la VoD va mener une expérimentation dans trois pays : le Costa Rica, le Pérou et le Chili. Les abonnés devront s’acquitter d’une somme en plus de leur abonnement mensuel (environ 3 dollars au Chili, 2,99 dollars au Costa Rica et 2,12 dollars au Pérou) pour pouvoir ajouter jusqu’à deux comptes supplémentaires à leur profil.
"Nous avons toujours rendu facile aux gens qui vivent ensemble le partage de leurs comptes Netflix, avec des fonctionnalités comme les profils séparés et les streams simultanés pour nos abonnements Standard et Premium. Si ces fonctionnalités sont extrêmement populaires, elles ont également créé une forme de confusion pour savoir quand et comment Netflix pouvait être partagé", a indiqué le 16 mars dans un communiqué Chengyi Long, directrice de l’innovation produits chez Netflix.
Une deuxième option est testée : les utilisateurs "clandestins" qui profitent des codes d'un abonné peuvent basculer leur profil (sur lequel sont enregistrés leurs préférences, leurs visionnages en cours etc.) vers un nouveau compte. "Le but étant de pousser les personnes qui bénéficient du partage de compte à s’abonner elle-même en conservant leur historique", note le chercheur Louis Wiart.
"Il est censé y avoir un contrôle pour savoir si on partage le même foyer, mais on n’a jamais rien reçu"
Quentin, 29 ans, habitant de Rennes
En 2018, c'était Spotify, le leader du streaming musical, qui avait tenté de restreindre le trop grand partage de son service "famille", qui permet d'accéder à la plateforme à partir de plusieurs écrans. "Ils avaient changé les conditions d’utilisation du compte famille en contrôlant plus précisément l’adresse des utilisateurs pour en restreindre l'usage à des gens d'un même foyer. Spotify avait d’abord essayé de contrôler où les utilisateurs habitaient grâce à la géolocalisation. Mais devant la colère des usagers, ils ont fait marche arrière. Depuis, ils contrôlent l’adresse en envoyant des demandes de contrôle d’identité aux abonnés", note Louis Wiart
Ce contrôle accru de Spotify n'est pas très efficace selon des utilisateurs. “Mes parents ont un compte familial Spotify et je l'utilise sans habiter avec eux. Il est censé y avoir un contrôle pour savoir si on partage le même foyer, mais on n’a jamais rien reçu. Cela ressemble plus à un effet d’annonce”, avoue Quentin. Il habite à Rennes, à quelques dizaines de kilomètres de chez ses parents.
Les utilisateurs veulent du contenu de qualité
Le risque pour Netflix avec cette politique de restriction de l'accès à sa plateforme est de perdre des abonnés sans en gagner de nouveaux. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes disent attendre la sortie de séries et des films exclusifs et de qualité sur Netflix, qui fait face à une concurrence de plus en plus forte de Prime Video et Disney+ avec une offre de grosses productions ces derniers mois.
Mais le hic, c'est que les coûts de production sont exponentiels pour Netflix : d'un milliard d'euros en 2010, ils ont bondi à 20 milliards en 2020. "La vraie question est : est-ce que Netflix produit du contenu qui satisfait leur public ? Sur les réseaux sociaux, les fans pointent la pauvreté de la production ou des productions, en deça des attentes", pointe Louis Wiart.
"Avec la concurrence, il faut beaucoup de contenus pour attirer les spectateurs. Si Netflix continue d’avoir plus d’abonnés que les autres, alors que c’est facile de se désabonner, c’est qu’il est encore perçu comme étant le meilleur rapport qualité/prix", nuance Julien Pillot, chercheur associé au CNRS et spécialiste de l'industrie numérique.
Vendredi 13 mai, Netflix a annoncé la fin de la série française Drôle, acclamée par la critique, il n'y aura donc pas de deuxième saison. Questionnée sur la raison du non-renouvellement, Netflix a évoqué la nécessité d'un juste rapport entre "audience et coût de fabrication". Un arbitrage que les spectateurs n'entendront peut-être pas de la même oreille.
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