ENQUETE FRANCEINFO. Comment Netflix s’y prend pour nous rendre accros
Les derniers chiffres dévoilés donnent le vertige. Netflix a recruté en 2018 plus de 30 millions de nouveaux abonnés, portant à près de 140 millions le nombre de ses comptes payants (presque autant que la population de la Russie), selon une lettre envoyée aux actionnaires en janvier. La France compte à elle seule plus de 5 millions d’abonnés, soit plus que Canal+, a annoncé l’entreprise mercredi 13 février.
En seulement dix ans, la petite société californienne, qui a débuté à la fin des années 1990 en louant des DVD en ligne, est devenue le leader mondial de la SVoD (vidéo à la demande par abonnement), multipliant ses revenus par dix pour atteindre 15,8 milliards de dollars en 2018 (13,8 milliards d’euros). Une réussite insolente qui ne doit rien au hasard.
Episode 1 : multiplier les contenus "Original"
Conformément à l’adage, abondance de biens ne nuit pas sur le marché de la SVoD. Netflix s’est rapidement démarqué de ses concurrents (Amazon Prime Video, Hulu, HBO...) en enrichissant en continu son catalogue. "En quantité, c’est une avalanche, constate Frédéric, spécialiste de la VoD et animateur du podcast Netflixers. L’année dernière, Netflix a lancé 189 nouvelles séries de fiction ou séries documentaires. En comparaison, en France, le catalogue complet de CanalPlay en possède environ une cinquantaine et celui d’OCS une centaine. C’est donc gigantesque." Du côté de Netflix, on annonce le chiffre d’environ "mille contenus Netflix Original lancés en 2018", selon Yann Lafargue, porte-parole de Netflix EMOA (Europe, Moyen-Orient, Afrique).
La réalité derrière l’appellation "Netflix Original" est toutefois plus complexe. Car la firme, fondée par l’Américain Reed Hastings en 1997, a tendance à considérer bon nombre des contenus présents sur sa plateforme comme des productions originales. "C’est un contenu qu’on a soit acheté, soit produit de A à Z, mais ça peut aussi juste signifier qu’on a les droits de diffusion de manière exclusive dans une région donnée", concède Yann Lafargue. Prenez le cas de Bodyguard, le carton britannique de la fin 2018. La série est produite par la chaîne ITV et a été diffusée initialement sur la BBC. Mais comme Netflix a acquis les droits de diffusion à l’international et que le groupe était impliqué dès l’élaboration du scénario, Bodyguard est présenté dans 189 pays (hors Royaume-Uni) comme un Netflix Original. Une manière habile de promouvoir son catalogue et d’imposer au passage un design sonore (le désormais célèbre "tou doum") qui accompagne le logo au lancement de tous les contenus labellisés "Netflix Original".
Dans la pratique, Netflix choisit d’investir dans des contenus très spécifiques comme l’animation japonaise, le stand-up, la comédie mais aussi les "unscripted", ces fictions non scénarisées, comme Queer Eye ou L’Art du rangement avec Marie Kondo.
L’objectif : copier et moderniser la télévision avec des programmes non périssables. Surtout quand on est présent dans 190 pays très différents culturellement.
On veut plaire à tous les membres de la famille, que ce soit à une fillette de 4 ans au Japon ou à une grand-mère au Brésil.
Pour alimenter son catalogue, Netflix s’appuie sur les grands noms du cinéma comme Alfonso Cuaron avec Roma (nommé dans dix catégories aux Oscars), les frères Cohen ou Martin Scorsese, mais aussi sur les talents locaux. Outre les moyens démesurés mis à la disposition des créateurs, les méthodes de travail de Netflix séduisent. "La grosse différence avec d’autres structures, c’est que c’est beaucoup plus rapide, souligne Julien Teisseire, coscénariste de Plan cœur, deuxième série française étiquetée Netflix Original après Marseille. Là où une chaîne traditionnelle française peut mettre plusieurs semaines à lire un document de travail, là vous avez un retour sous quatre jours." Même son de cloche du côté de Dan Franck, créateur de la série Marseille, qui se souvient que "travailler avec Netflix a été très facile (...) Ils ont une qualité évidente, c’est d’être extrêmement réactifs."
Ce qui est agréable avec Netflix, c’est qu’ils ont un vrai point de vue et qu’ils savent où ils veulent aller.
Et pour offrir sans cesse de nouveaux contenus, Netflix ne lésine pas sur les moyens. En 2018, 12 milliards de dollars (environ 10,5 milliards d’euros) ont été investis par la société, uniquement dans la production et l’achat de contenus. Les analystes cités par le magazine Variety (en anglais) estiment que ce montant atteindra les 15 milliards de dollars (13 milliards d’euros) cette année.
Mais quelle est la taille de ce catalogue ? Difficile de le savoir tant il varie au gré des pays et des droits de diffusion sur les œuvres non produites par Netflix. "Ce sont des milliers de titres, précise Yann Lafargue, et plus on est présent depuis longtemps dans un pays, plus le catalogue est important." En France, sa taille a ainsi quadruplé depuis le lancement de la plateforme en septembre 2014. Selon le site Flixable, il contiendrait aujourd’hui environ 2 500 films et 1 200 séries, sachant qu’à la fin 2019, le catalogue Netflix devrait, d’après le podcasteur Frédéric, "contenir 50% de productions originales". De quoi largement se préparer à faire face à trois futurs concurrents de taille (Apple, Disney et WarnerMedia) qui lanceront leur offre de SVoD en 2019.
Episode 2 : passer au crible les goûts des abonnés
Mais comment Netflix choisit-il le contenu de son catalogue ? En faisant de la veille sur des sites de téléchargement illégaux pour détecter les titres les plus populaires, comme le révélait Torrentfreak (en anglais) en 2013 ? Plus vraiment, car le géant du streaming a mis au point une méthode beaucoup plus pointue pour connaître les envies de ses abonnés. Un exemple ? Friends. Pour diffuser la série culte des années 1990 produite par WarnerBros, Netflix a, en 2015, déboursé 118 millions de dollars (environ 103 millions d’euros) et payait depuis 30 millions de dollars (environ 26 millions d’euros) par an pour la conserver. Sauf qu’à l’automne dernier, WarnerMedia annonce son intention de se lancer dans la SVoD et cherche à rapatrier ses films et séries. Menacé de voir disparaître de son catalogue au 1er janvier 2019 les dix saisons de Friends, Netflix sort son chéquier et débourse, début décembre, 100 millions de dollars (87 millions d’euros) pour les garder un an de plus, selon le New York Times (en anglais), soit une augmentation de près de 240%.
Si la firme a consenti à verser une telle somme, c’est qu’elle sait que cette série intéresse une grande part de ses abonnés, grâce à un système méconnu : l’analyse de ses contenus via des mots-clés. Sur la page utilisateur, Friends est ainsi associé aux genres "Sitcoms", "Séries comiques", "Séries US"," Primé aux Emmys" et "Golden Globe".
"Aujourd’hui, il existe plus de 100 000 mots-clés, numérotés dans un ordre aléatoire, qui permettent de classifier un contenu", précise Frédéric. Selon Yann Lafargue, Netflix utilise 15 à 20 de ces mots-clés pour catégoriser plus précisément chaque contenu. Vous pouvez trouver plus de 27 000 exemples dans cette liste non exhaustive, accompagnée d’un moteur de recherche. Il faut ajouter à cela des mots-clés encore plus spécifiques (comme “Femme qui fume” ou “Singe”). Si vous avez un compte Netflix, vous pouvez ainsi vous amuser à taper dans un navigateur un nombre au hasard à la suite de cette adresse : https://www.netflix.com/browse/genre/. "104064" correspond par exemple au mot-clé "Lanceurs d’alerte", tandis que “16457” vous propose des contenus référencés "Action et aventure spectaculaires et hallucinantes".
"Netflix a méticuleusement analysé et tagué tous les films et séries possibles. Il possède une quantité de données sans précédent sur Hollywood", décrypte The Atlantic (en anglais). Pour constituer cet incroyable fichage, Netflix a tout simplement embauché des gens pour regarder des films et des séries et noter le plus précisément tous les éléments quantifiables, du niveau de romance ou de gore à la moralité des personnages. Pour les y aider, Netflix a mis à leur disposition un manuel de 36 pages détaillant tout ce qu’ils devaient relever.
C’est grâce à ce système d’évaluation très poussé que Netflix peut identifier les goûts de ses abonnés. Chaque profil d’utilisateur est ainsi associé à un certain nombre de ces mots-clés correspondant à une communauté de goûts. "Il existe environ 2 000 communautés de goûts, précise Frédéric. C’est comme ça que Netflix estime que tel contenu pourrait vous intéresser parce que d’autres l’ont aimé." Ce système permet de recommander aux abonnés des films et séries, mais aussi de connaître l’audience potentielle d’un type de contenu.
Chaque titre que l’on produit ou que l’on licence a potentiellement une audience prédéterminée. Quand on connaît les thèmes du contenu, on est capable de définir son audience potentielle dans chaque pays où l’on est présent.
Ainsi, si la firme a choisi d’investir dans l’animation japonaise, c’est avant tout parce que, même si "le Japon est le pays le plus représenté dans la communauté des fans d’anime, moins de 10% des abonnés membres de ce groupe vivent effectivement au Japon. Le reste habite dans le monde entier", ajoute Carlos Gomez-Uribe, vice-président de Netflix.
Une globalisation de l’audience que l’on retrouve au moment de la mise en ligne d’un contenu sur la plateforme. Chez Netflix, tout a lieu en simultané, partout dans le monde. "A minuit une, quelqu’un dans la Silicon Valley appuie sur un bouton et ce contenu devient disponible partout où nous sommes présents au même moment", révèle Yann Lafargue.
Aujourd’hui, avec Netflix, on est tous sur le même fuseau horaire et tout le monde parle du même truc au même moment.
Car cette diffusion dans 190 pays en même temps s’accompagne d’une mise à disposition du contenu en 27 langues (doublage et/ou sous-titres). "Netflix, c’est une télé mondiale, et c’est quelque chose qui n’existait pas avant", constate Frédéric.
Episode 3 : aiguiser son algorithme
Si Netflix offre à ses abonnés une myriade de vidéos, chaque utilisateur lui donne en retour, à son insu, une kyrielle d’informations sur ses goûts et habitudes. Et le géant ne se gêne pas pour les exploiter. Todd Yellin, vice-président en charge du produit chez Netflix, ne s’en cache pas. "L'expérience utilisateur d'un client Netflix nous appartient, à partir du moment où il s'inscrit, et pendant tout le temps qu'il passe avec nous, sur sa télévision, son téléphone et sa tablette", déclare-t-il au Guardian (en anglais). "On sait juste dans quel pays vous êtes, tempère Yann Lafargue. Et la seule chose qui compte, c’est ce que vous regardez et comment vous le regardez, ce qui nous permet de vous recommander du contenu qui pourrait vous plaire." Si vous regardez beaucoup de séries policières, Netflix en déduira que vous aimez ce genre, comme le détaille Wired (en anglais).
Pour parvenir à ce résultat, toutes ces informations sont passées au crible d’algorithmes prédictifs qui analysent votre comportement. Netflix a bâti son offre autour de ce système de recommandation : une page d’accueil unique pour chaque utilisateur où lui sont proposées des vidéos à profusion censées correspondre à ses attentes. Leur ordonnancement est le produit des calculs de six algorithmes.
1. Le "Personalized Video Ranker" opère le classement personnalisé des vidéos et ordonne les 40 rangées de 75 titres qui composent la page d’accueil.
2. Le "Top-N Video Ranker" sélectionne, parmi les contenus les plus populaires dans l’ensemble du catalogue, ceux susceptibles de plaire à l’utilisateur.
3. Le "Trending Now" détermine les tendances à court terme chez les consommateurs : les comédies romantiques de la Saint-Valentin ou les films de Noël, par exemple.
4. Le "Continue Watching" sélectionne les vidéos que l’utilisateur a commencé à regarder et dont il souhaite probablement reprendre la lecture.
5. Le "Video-Video Similarity" choisit les vidéos susceptibles de plaire à un utilisateur, compte tenu des similitudes existant entre elles et celles qu’il a regardées.
6. Le "Page Generation : Row Selection and Ranking" détermine les rangées à faire figurer sur la page d’accueil et leur ordre d’apparition, en tenant compte des résultats des algorithmes précédents.
On sait que dans 80% des cas, vous allez suivre ces recommandations, donc ça fonctionne pas mal.
A ces algorithmes s’ajoute ce que les scientifiques appellent l’apprentissage machine. "Plus on regarde Netflix et plus le système de recommandation va nous connaître et apprendre à nous donner des choses qui vont potentiellement nous plaire", expose Yann Lafargue. Netflix sait qu’il ne doit pas se tromper et qu’il a peu de temps pour vous séduire. Si vous passez en revue son catalogue pendant 60 à 90 secondes et faites défiler dix à vingt titres, votre intérêt va faiblir et vous risquez fort de laisser tomber, calculent ses ingénieurs.
"Netflix a été moteur sur ces technologies", souligne Vincent Guigue, maître de conférences à Sorbonne Université et expert de l’apprentissage machine. "Ils ont lancé vers 2006 le Netflix Prize. Ils ont dit : 'On a un algorithme en interne et les chercheurs qui arriveront à faire des prédictions 10% meilleures recevront un million de dollars.' Ce challenge a créé un engouement très fort sur le travail de recherche autour des algorithmes de filtrage collaboratif. Enormément de publications datent de cette période. Et le Netflix Prize a été remporté en 2009."
En plus de ce ciblage, Netflix vous teste (en anglais) pour vous donner envie de regarder ses vidéos. A certains abonnés, la plateforme propose une série ou un film avec une photo d’appel. A un autre échantillon, elle présente une autre vignette. Ce test lui permet de déterminer les illustrations les plus efficaces et leur meilleur agencement possible sur la page d’accueil. Netflix a ainsi créé plusieurs vignettes différentes pour la sortie de Black Mirror, chacune dans une tonalité différente, rapporte Numerama. L’objectif : piquer la curiosité de ses abonnés au-delà des amateurs de sombre dystopie britannique. Et ça marche. Un spectateur de Black Mirror sur sept ne s’était jamais essayé à la science-fiction. De même, un fan de Stranger Things sur cinq n’avait jamais regardé (en anglais) de film ou de série d’horreur sur Netflix auparavant.
Même stratégie du côté des bandes-annonces. Pour House of Cards, les fans de Kevin Spacey se sont vu proposer des vidéos le mettant en avant, quand des femmes ayant vu Thelma et Louise ont eu droit à des vidéos centrées sur les personnages féminins de la série. Les abonnés identifiés comme cinéphiles ont, eux, pu visionner des séquences présentant la "touche" du réalisateur David Fincher, relate le New York Times (en anglais).
Une telle logique marketing n’est pas sans conséquences. En 2018, de nombreux abonnés afro-américains se sont plaints d'avoir été trompés par les photos d'appel, comme le raconte Quartz (en anglais). Ils ont regardé des films ou des séries dont Netflix mettait en avant les acteurs noirs, alors que ceux-ci y tenaient des rôles très secondaires. "Quand, à l’initialisation de Netflix, on rentre quatre ou cinq préférences, la recommandation qui en sort est absolument minable, précise Vincent Guigue. Alors que lorsque les profils sont riches en informations, on arrive à les affecter à des communautés de goûts, puis à faire des recommandations qui ont du sens." Pour Yann Lafargue, c'est effectivement de ce côté que Netflix doit s'améliorer. "A l’heure actuelle, notre gros effort d’investissement en recherche et développement, c’est l’algorithme, pour s’assurer qu’on soit capable, limite avant vous, de vous proposer juste un titre. Vous ouvrez votre tablette et on sait ce que vous avez envie de regarder", précise le porte-parole.
L’algorithme arriverait à savoir qu’il ne faut pas vous proposer "La Liste de Schindler" alors que vous êtes sur votre tablette et qu’on est mardi soir, parce qu’on sait que vous n’avez pas le temps et que ce n’est pas l’appareil adéquat.
Netflix a ainsi enregistré, révèle Motherboard, tous les choix faits par les spectateurs de sa fiction interactive Black Mirror: Bandersnatch. De là à imaginer des séries ou des films scénarisés par des algorithmes, il n’y a qu’un pas, que la science n’a pas encore permis de franchir.
Le réalisateur Cary Fukunaga, qui a piloté la série Maniac pour Netflix, confirme au magazine GQ (en anglais) que les résultats fournis par les algorithmes pèsent déjà lourd dans la balance. "Netflix étant une société de données, ils savent exactement comment leurs spectateurs regardent ses contenus. Ils peuvent donc regarder quelque chose que vous écrivez et dire : ‘Nous savons d'après nos données que si vous faites cela, nous perdrons tant de spectateurs.’ (...) L'argument de l'algorithme va gagner à la fin de la journée. La question est donc de savoir si nous voulons prendre une décision créative au risque de perdre des personnes."
Episode 4 : supprimer tout obstacle au "binge watching"
Les fans de séries ont développé un nouveau comportement (en anglais) avec Netflix. En 2017, l’entreprise lui a donné un nom : le binge racing. Les spectateurs dévorent leurs séries favorites le plus vite possible, dès le jour de leur sortie et en moins de 24 heures de préférence. Canada, Etats-Unis, Danemark en tête, aucun pays n’y échappe. Aucune série non plus, à commencer par Gilmore Girls, Fuller House et Marvel’s The Defenders. Cette nouvelle manière de consommer de la vidéo s’est ajoutée au binge watching des sérievores qui enchaînent les épisodes sans s’arrêter pendant des heures.
"Le binge watching est devenu un comportement socialement accepté. Et même si tous les spectateurs n’ont pas adopté cette pratique, le temps consacré au divertissement a augmenté ces dernières années, observe l’analyste Tony Gunnarsson. Netflix n’a pas créé le binge watching. L’entreprise a juste eu la chance que ce changement d’habitude des téléspectateurs survienne en même temps que son apparition. Le service a comblé un vide en quelque sorte."
Ce mode de consommation à haute dose a été rendu possible par la manière dont Netflix diffuse ses œuvres, mettant en ligne tous les épisodes d’une saison d’un coup, mais il est aussi encouragé par les technologies déployées par le géant américain. "Tout ce qu’on fait pour le consommateur, c’est s’assurer qu’on enlève de la friction entre la technologie et la capacité à regarder le contenu qui va lui plaire", résume le communicant Yann Lafargue.
Netflix a levé toutes les barrières d’entrée et a rendu l’accès à son service très facile.
Pour que ses abonnés conservent leurs réflexes de téléspectateurs, Netflix a inséré un bouton bien visible – aux couleurs de son logo rouge sur fond blanc – sur les télécommandes de leurs télévisions et de leurs lecteurs connectés. Le service s’est aussi glissé dans les box de leurs fournisseurs d'accès à internet. "Les applications de Netflix sont disponibles avec toutes leurs fonctionnalités dans plus de périphériques dans le monde que n’importe quel autre fournisseur de vidéo, même des périphériques tels que la Nintendo 3DS et certains tapis de course", observe Matthew Ball, ancien patron de la stratégie d'Amazon Studios.
"Même si vous vivez en dehors d’une grande ville et que votre bande passante n’est pas très bonne, Netflix a la capacité de réduire très rapidement le temps de chargement des vidéos", confirme l’analyste Tony Gunnarsson. Pour que le débit de la connexion internet ne soit pas un obstacle à la qualité de son service, Netflix a ré-encodé l’ensemble de son abyssal catalogue, afin d’optimiser la consultation de ses vidéos sur mobile. Et, accessoirement, de réduire sa consommation de bande passante, Netflix dévorant à lui seul 15% du trafic descendant mondial, selon une étude de l’entreprise Sandvine (en anglais), spécialisée dans l’analyse des réseaux, en septembre 2018. Il y a quelques années, un abonné consumait 4 gigas de données sur son forfait mobile pour regarder une dizaine d’heures de vidéo. Désormais, il peut en regarder plus de 26 heures.
Netflix a également affiné cette compression, expose Matthew Ball. Un dessin animé n’est pas compressé de la même manière qu’un blockbuster, et, dans un même film, une scène d’action n’est pas compressée de la même manière qu’une scène de dialogues. Le tout pouvant être diffusé à des débits différents. Cette quête de l’optimisation peut aller très loin. A Los Gatos, à une heure de route au sud de San Francisco (sans les embouteillages), se trouve le siège historique de Netflix. Un grand bâtiment de couleur ocre et au toit de tuiles, de style italianisant. A l’intérieur, les ingénieurs ont installé six antennes-relais dans de grandes armoires métalliques ventilées, qui suppriment toute interférence extérieure. Chacune de ces cages de Faraday peut contenir des dizaines de téléphones et tablettes. Les chercheurs y simulent les conditions d’utilisation de pays entiers et éprouvent la qualité du service de streaming en 4G ou en wi-fi en Inde ou aux Pays-Bas. En une journée, ils sont en mesure de mener 125 000 tests différents, relate Variety (en anglais).
Netflix a développé un vaste ensemble de technologies pour son activité et chacune d’elles est sans doute la meilleure de sa catégorie.
Des tests, les ingénieurs de Netflix en réalisent en permanence. Dans leurs simulations, ils introduisent le chaos dans leur système, débranchent leur service dans une région et le redirigent vers une autre. Ils sont d’abord parvenus à réparer une telle panne volontaire en un peu plus d’une heure, puis en moins de dix minutes. Netflix s’efforce de ne jamais bugger. En 2017, le taux de disponibilité de la plateforme était de 99,97%, selon la statistique fournie à Variety par une cadre dirigeante des équipes de recherche.
Rien ne s’oppose plus ni au binge watching ni au binge racing. Sauf le reste de votre vie, observe le patron de Netflix, Reed Hastings, cité par The Independent (en anglais). "Lorsque vous regardez un show sur Netflix et que vous y devenez accro, vous veillez tard le soir. Nous sommes en compétition avec le sommeil, de manière marginale. Et c’est donc une très grande réserve de temps." Plaisanterie ou simple constat ?
**********
Texte : Elodie Drouard et Benoît Zagdoun
Illustrations : Awa Sane et Vincent Winter