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Tchernia ou le modèle du journaliste saltimbanque

Avec quelques autres, Pierre Sabbagh ou Pierre Dumayet, il fut l'un des pionniers de la télévision en France. Ce colosse délicat savait tout faire. Et d'abord tenir l'antenne comme personne. Une spéciale "Mardi Cinéma" lui sera consacrée mardi 11 octobre à 22h50 sur France 2.
Article rédigé par franceinfo - Hervé Brusini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Pierre Sabbagh et Pierre Tchernia dans un studio de Cognacq Jay en 1951
 (CHARLES PROST / INA)
  (DR)
Sur la photo, l’équipe du premier journal télévisé est ici réunie au quasi grand complet. Stylo à la main, Pierre Tchernia se tient au centre de ce groupe des pionniers de la petite lucarne. Nous sommes à l’été 1949. Et ce journaliste là, comme d’ailleurs la plupart de ses congénères, ne sait pas vraiment ce que l’avenir lui réserve. Pourtant l’avenir sera particulièrement riche, car à lui seul Tchernia va réunir en plus de 60 ans de carrière ce qu’est la télé : l’info et le spectacle.

« En 1949, je suis allé voir Pierre Sabbagh, qui cherchait des gens pour créer le premier journal télévisé » nous disait-il en 1999 pour un film intitulé "Voyage au centre de l’info". « Il ne me connaissait pas et me demande ce que je fais. Alors je lui ai raconté ma courte carrière, un peu de radio, l’IDHEC (l’Institut des Hautes Études Cinématographiques), régisseur au théâtre. En fait cela correspondait à ce que Sabbagh avait fait, des marionnettes, du cinéma lui aussi… » Et Tchernia a rejoint la fine équipe des Pierre Dumayet (rédacteur lui aussi), Gilbert Larriaga ( reporter cameraman) ou Jacques Anjubault (chef monteur). Tous les corps de métiers sont là au service d’une nouvelle manière de faire l’info. « On était réunis dans une petite salle, devant un poste de télé, un micro et une clé pour prendre la parole en direct. Et précisément, on parlait comme je vous parle sur les images », nous décrivait Pierre Tchernia.

VIDEO. Le portrait de Pierre Tchernia par Michel Vial 
Commenter des images, filmer, monter, réaliser des reportages, ils jetaient alors les bases d’un flux innovant d’images en noir et blanc et diffusé en 819 lignes. Les téléspectateurs n’étaient que quelques milliers, mais la bande de jeunes intégrée par Tchernia y croyait dur comme fer. Ils auraient pu choisir la radio, y connaître des carrières brillantes, car tous étaient de grand talent. Mais c’est la télé naissante qu’ils avaient choisi un peu comme une aventure où l’on se jette à corps perdu. On voit ces plans où Tchernia est au montage, avec devant lui de la pellicule 35 millimètres comme au cinéma. Ça fume, ça s’énerve, ça stresse (déjà), un Tchernia concentré est à l’œuvre.

Peu à peu, la personnalité de chacun s’est révélée. La marque de Pierre Tchernia a très vite été cette incroyable capacité à tenir l’antenne comme s’il était au coin de la rue en train de raconter à ses amis, sa dernière histoire. Tranquillement, et toujours souriant. Le journaliste Tchernia est homme de direct. Cela tombe bien, le direct était dans les années 50 la grande euphorie du spectacle audiovisuel des foyers français. « Il y avait des déchirures d’images. Mais contrairement à aujourd’hui, le spectateur était avec nous. Flûte, se disait-il, ils ont des ennuis. Mince, panne de son. Ils vont y arriver. On va voir la suite », nous racontait P. Tchernia.

Colosse et complice

Sur le pont d’un porte-avions, au fond de la mine à Lens, chez le peintre Foujita, ou en visite à l’assemblée nationale, Tchernia savait guider le regard du téléspectateur, satisfaire la curiosité de chacun sans esbroufe. C’était un colosse à la voix complice, et blagueuse. Pour un direct à la foire du trône, Tchernia s’était placé aux côtés de Madame Irma la femme la plus grosse du monde, avait il précisé. « Vous savez que la foire du trône, c’est aussi la foire aux pains d’épices ? » questionne Tchernia. « Tout à fait ! Des pains en forme de cochons. » répond la dame. « Et bien c’est pour cela que j’ai acheté des cochons au nom de tous mes directeurs. Et des directeurs, il y en a beaucoup à la télé… », lance Tchernia l’insolent. Car celui qui avait présenté la semaine franco-britannique de la télé en 52, qui avait commenté la visite de la reine Elisabeth II en 57, et participé à nombre d’émissions du magazine 5 colonnes à la une, était aussi un chansonnier dans l’âme (comme on disait alors). L’émission la ‘boîte à sel’ en 1955 constitue un bel exemple de dérision et parfois d’un surréalisme très surprenant. Tchernia le journaliste cachait un artiste modeste. Quelqu’un que tout le monde connaissait, comme chaque famille connaît un cousin Robert qu’on aime à revoir pour sa culture et son humour. La silhouette massive de Pierre Tchernia est désormais un souvenir que l’on est heureux de partager.

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