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"The Handmaid’s Tale" : l'extrême violence de l'héroïne dans la saison 4 dénature-t-elle la série ?

Dans le nouvel opus de cette série dystopique, la violence de l'héroïne a choqué nombre de spectateurs. Au détriment de la crédibilité du scénario et du message de la série ? Décryptage avec une psychologue spécialisée dans la prise en charge des femmes victimes de violences sexuelles.

Article rédigé par franceinfo Culture - Faustine Mazereeuw
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
La saison 4 de "The Handmaid's Tale" vient de se clôturer sur OCS. Un nouvel opus toujours aussi dérangeant. (OCS)

Clap de fin pour la saison 4 de The Handmaid's Tale (La Servante écarlate) qui s'est achevée en juin sur OCS. Cette série américaine issue du roman de Margaret Atwood met en scène une République ultra-violente envers les femmes et constitue à l'origine un véritable plaidoyer contre les dérives totalitaires et pour la protection des droits des femmes. Alors que le taux de natalité a chuté, un coup d'État renverse le gouvernement américain et les femmes se retrouvent réduites en esclavage et enfermées dans des rôles bien précis : ainsi, les "Servantes" doivent procréer pour le compte de riches familles.

Récompensée par le prix de la "Meilleure série dramatique" aux Golden Globes en 2018, l'œuvre a reçu des critiques plus mitigées à partir de saison 2, moment où le scénario dépasse le livre. Complaisance envers la violence, zooms incessants sur des visages grimaçants... La série était déjà réputée pour être particulièrement difficile à regarder - trop, selon certains.

Dans cette nouvelle partie, la violence ne se cantonne plus aux tortionnaires de la République de Gilead. C'est l'héroïne même, June, qui, déjà ambiguë dans la saison 3, glisse peu à peu dans la violence, jusqu'à reproduire certains comportements de ses bourreaux. Certaines scènes sont choquantes et ébranlent l'image de résistante de June. Alors que The Handmaid's Tale a inspiré de nombreuses féministes qui se sont vêtues de l'uniforme pour manifester - cape rouge et coiffe blanche - , le message que souhaitent faire passer les scénaristes dans cette nouvelle saison peut laisser perplexe : la série sert-elle toujours la cause des femmes ? Est-elle trop indulgente avec la brutalité de son héroïne ? Qui plus est, la réaction de June est-elle réaliste ? Franceinfo a passé en revue le scénario avec Annie Ferrand, psychologue clinicienne spécialisée dans la prise en charge des femmes victimes de violences sexuelles.

(Attention, cet article dévoile des informations sur l'intrigue de la série et évoque des scènes de violences sexuelles)

Une scène de viol conjugal qui crée la polémique

Pour la première fois depuis ses débuts, la série change radicalement de cadre : June a réussi à s'échapper de Gilead et à rejoindre son mari au Canada. En état de choc, prise par des moments d'absence, l'héroïne n'est plus la même qu'avant sa capture sept ans auparavant. Des signes tout à fait crédibles de dissociation, selon Annie Ferrand. "À son arrivée, son cerveau est en sidération. Elle a aussi des moments de décrochages émotionnels, elle ne ressent plus d'empathie ni de joie, elle a du mal à se connecter à sa fille et à son mari", explique la psychologue. Une juste représentation des marques laissées par les traumatismes, selon elleMais l'épisode 7 est resté en travers de la gorge d'une partie du public à cause d'une scène de violence sexuelle. Et ce qui coince, c'est que cette fois-ci, June n'en est plus victime, mais coupable. De nombreux utilisateurs de Twitter se sont indignés :

"Sommes-nous vraiment supposés faire comme si June n'avait pas violé son mari ? [...] Il ne s'agit pas d'elle en train de reprendre le pouvoir, il s'agit d'une agression sexuelle", affirme cette spectatrice sur Twitter. Des allégations qu'Annie Ferrand confirme : “Cette scène nous montre des critères clairs d'un viol conjugal. Par exemple la circonstance : de nuit et par surprise, au sens légal du terme. D’autre part, la personne victime de viol exprime un dissentiment verbal dont June ne tient pas compte. Il exprime aussi un refus non verbal dont elle ne tient toujours pas compte”.

Un choix que les scénaristes ont justifié par les horreurs qu'a subies June à Gilead. "Nous souhaitons tous une fin de conte de fée pour June. Mais est-ce réaliste, étant donné tout ce que ce personnage a subi, étant donné tous les traumatismes et la violence dont elle a été imprégnée, qu'elle puisse instantanément retrouver une relation saine et tendre avec Luke ?", questionne Yahlin Chang dans le magazine américain Refinery29. Peut-être pas, non. Mais de là à violer son mari ?

"Il est statistiquement très rare qu'une femme se transforme en agresseur"

Pour Annie Ferrand, “il est crédible que quand une victime n'est pas bien prise en charge psychologiquement et qu'elle est confrontée à ses traumatismes, comme l'est June qui revoit ses anciens agresseurs, elle puisse se mette en état de dissociation se laisser contaminer par le scénario de l'agresseur" en reproduisant certains gestes et certaines attitudes. Mais selon cette praticienne (qui a exercé dans plusieurs structures spécialisées dans la prise en charge des violences faites aux femmes comme la Fédération nationale solidarité femmes), "il est statistiquement très rare qu’une femme se transforme en agresseur parce que le rapport de pouvoir n’est pas du tout favorable aux victimes de violences sexuelles pour qu’elles deviennent des bourreaux. Les femmes n'ont pas le même pouvoir social : cette voie-là est plutôt l’expression d'un homme"

Annie Ferrand souligne que la plupart des femmes qu'elle a suivies avaient toujours une "conscience morale plus aiguë que la moyenne, à l'exception de 3 ou 4% d'entre elles". "Par exemple, elles sont très précises et très précieuses quand elles me racontent les violences vécues avec un conjoint, elles n'ont pas un mot plus haut que l'autre", rapporte-t-elle. June, elle, est rongée par un désir de vengeance et a l'air de prendre un plaisir sadique à humilier ses anciens oppresseurs, comme son ex-maîtresse Serena Joy. Et ce, en dehors d'une situation de légitime défense. Pour Annie Ferrand, la haine ressentie par les victimes est tout à fait légitime et réaliste, mais "il s'agit le plus souvent d'une haine qui protège, qui fait qu'on n'y revient pas, pour se protéger, pas d'une haine de vengeance".

Un message préjudiciable pour le combat des victimes de violences sexuelles ?

Annie Ferrand voit dans le scénario un certain danger pour les victimes de violences sexuelles et de torture. “Il peut être préjudiciable pour leur combat de dépeindre de manière trop puissante des attitudes de victimes qui seraient à l’égal de celles des bourreaux, car beaucoup de victimes ont l’impression d’être des monstres”, déclare-t-elle. En effet, "la victime peut avoir l’impression d’être coupable, comme le lui a appris son bourreau. On le voit dans la série : on répète à June qu’elle est mauvaise, qu’elle est une pécheresse", analyse la psychologue.

Mais si par la surenchère dans la représentation de la violence, la mise en scène peut faire croire que June devient aussi cruelle que ses tortionnaires de la République de Gilead, Annie Ferrand nuance. "On ne montre pas June en train de torturer son mari, on n'est pas sur la même mesure, ni sur la même intentionnalité, souligne-t-elle. Elle adopte certains comportements de son agresseur, mais ne le devient pas car elle n'a pas le même pouvoir social", poursuit la psychologue.

Porter la violence des femmes à l'écran, un parti pris qui interroge

Néanmoins, si elle n'est peut-être pas si fréquente dans la réalité, porter la rage et la violence des femmes à l'écran reste un choix intéressant. Peu représentées, les femmes violentes ont pourtant existé à travers l'histoire. En 1968, la féministe radicale Valerie Solanas, autrice du pamphlet Scum Manifesto, qui appelle tout simplement à "tailler les hommes en pièces", tenta d'assassiner Andy Warhol. Plus récemment, en 2013, une femme s'étant auto-surnommée "Diana, la chasseuse de chauffeurs", a revendiqué au Mexique l'assassinat de deux conducteurs de bus pour venger des femmes victimes de viols. Comme elles, June finira par obtenir vengeance en tuant son ancien Commandant et violeur Fred Waterford dans l'épisode final.

Cette saison 4 de The Handmaid's Tale marque une rupture par rapport aux précédentes parties, en faisant évoluer drastiquement le rôle de June. L'héroîne choque par sa violence, poussée à son paroxysme et franchissant les limites de la morale, et présente son comportement comme la conséquence de ses traumatismes passés, de ses douleurs toujours vives et de son désir de vengeance. La série pose clairement la question des différences entre les attitudes violentes chez les femmes et chez les hommes. La saison 5, d'ores et déjà annoncée, pourrait apporter des éléments de réponse. 

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