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"The Morning Show", "See", "For All Mankind"... Que valent les premières séries originales lancées sur Apple TV+ ?

Article rédigé par Elodie Drouard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
L'affiche promotionnelle de la série "The Morning Show", dont les trois premiers épisodes sont disponibles sur AppleTV+ à partir du 1er novembre 2019. (APPLETV+)

Apple lance ce vendredi son service de vidéo à la demande contenant uniquement des programmes originaux. On les a visionnés et nos premières impressions sont mitigées.

Après Netflix, Prime Video, OCS et avant Disney+, c'est au tour d'Apple de se joindre à la longue liste des plateformes proposant un service de SVoD (vidéo à la demande sur abonnement). Disponible sur l'application AppleTV via les téléphones, tablettes et ordinateurs du constructeur à la pomme, Apple TV+ promet un catalogue de séries, films et documentaires, tous originaux.

A l'occasion du lancement de la plateforme, vendredi 1er novembre, Apple propose de visionner gratuitement les deux premiers épisodes de quatre des nouvelles séries proposées. Franceinfo les a vus et voici nos premières impressions.

"The Morning Show"

Ça parle de quoi ? 3h30 du matin. Comme tous les jours, Alex Levy (Jennifer Aniston) commence sa journée par un Red Bull Light avant de se préparer pour aller présenter "The Morning Show", la matinale du grand network américain UBA. Sauf qu'aujourd'hui, elle apprend en arrivant aux studios que son "mari de télévision" depuis quinze ans, Mitch Kessler (Steve Carell) ne sera pas à ses côtés, remercié dans la nuit après des plaintes pour harcèlement sexuel.

Au même moment, au fin fond de la Virginie-Occidentale, Bradley Jackson (Reese Witherspoon), une correspondante régionale de la chaîne SENN, se retrouve propulsée star des réseaux sociaux après qu'une vidéo l'a montrée s'accrochant avec un manifestant alors qu'elle couvrait la réouverture d'une mine de charbon.

Reese Witherspoon incarne la reporter Bradley Jackson dans la série "The Morning Show". (APPLETV+)

Alors que la question du remplacement de Kessler agite tout UBA, la jeune femme est invitée sur le plateau du "Morning Show" pour expliquer son geste. La confrontation entre les deux journalistes se passe mal, mais le patron de la chaîne la remarque et lui propose d'intégrer l'équipe de la matinale. Elle se retrouve sans le vouloir au cœur de la bataille entre Alex Levy et ses patrons pour désigner le remplaçant de Kessler.

Et ça vaut le coup ? Avec un budget de 15 millions de dollars par épisode (environ 13,5 millions d'euros, soit autant qu'un épisode de la dernière saison de Game of Thrones, selon RTL) et un casting de stars confirmées, The Morning Show est sans conteste la figure de proue du lancement d'Apple dans la SVoD. Créée par Jay Carson (House of Cards) et inspirée du livre Top of the Morning du journaliste américain Brian Stelter, la série nous plonge au cœur d'une grande chaîne de télévision en plein crise. Et même si ses créateurs s'en défendent, The Morning Show présente beaucoup de similitudes avec l'histoire vraie du présentateur Matt Lauer, débarqué en novembre 2017 du "Today Show", qu'il présentait depuis vingt ans, après avoir été accusé de "comportement sexuel inapproprié".

Sur fond de mouvement #MeToo, The Morning Show raconte surtout comment les médias traditionnels américains traversent depuis quelques années une crise majeure qui les oblige à se réinventer pour rester attractif face à l'infotainment, l'infodivertissement. Une introspection incarnée à travers les trajectoires de deux femmes journalistes que tout oppose. L'une, star de la télévision sur le déclin que le cynisme a peu à peu gagné. L'autre, reporter engagée dont le franc-parler a empêché toute évolution de carrière.

Jennifer Aniston et Reese Witherspoon dans la série "The Morning Show". (APPLETV+)

Incarnée par deux des actrices les plus américaines qui soient, cette confrontation à coup de joutes verbales livre des moments assez jouissifs. L'alchimie est au rendez-vous et l'on se réjouit d'avoir une nouvelle série qui donne de vrais beaux rôles à des actrices.

Visuellement, c'est très propre (léché, diront certains) grâce à la réalisation impeccable de Mimi Leder (Urgences, The Leftovers), globalement bien écrit et souvent très drôle grâce au talent de la showrunneuse Kerry Ehrin (Friday Night Lights, Bates Motel, Parenthood).

Seuls bémols, on se demande comment va évoluer l'affaire de harcèlement sexuel dont est accusé le présentateur. Dans les premiers épisodes, le personnage joué par Steve Carell est dépeint comme une victime égocentrique qui s'apitoie sur son sort et qui compare le mouvement #MeToo au maccarthysme. On attend désormais le point de vue des victimes ou au moins une mise en perspective. Et le fait qu'une journaliste régionale soit propulsée à un tel poste en un claquement de doigts laisse perplexe. Les plus attentifs noteront qu'il y a beaucoup d'iPhone à l'écran (pour ceux qui auraient oublié qu'ils regardent une série produite par Apple), mais il serait dommage de s'arrêter à cela et de se priver d'un très bon divertissement.

C'est pour vous si… Vous aimez les séries au casting cinq étoiles. Si vous appréciiez les incursions d'Aaron Sorkin (A la Maison Blanche) dans le monde des médias (Studio 60 on the Sunset Strip puis The Newsroom), mais que vous n'êtes pas contre vous divertir non plus. Si vous recherchez une bonne série de network comme la télévision américaine n'en produit plus beaucoup, foncez.

"See"

Ça parle de quoi ? Dans un futur très lointain, l'humanité est devenue totalement aveugle. La faute à un virus qui a décimé la grande majorité de la population mondiale, ôtant aux survivants la capacité de voir et les condamnant à transmettre cette cécité de génération en génération. Les deux millions d'humains qui peuplent désormais la planète sont organisés en tribus et luttent pour leur survie dans un écosystème où la nature a repris ses droits. Et après des siècles à vivre dans le noir, seuls les hérétiques pensent encore que la vision a un jour existé.

Hera Hilmar (dans le rôle de Maghra) et Jason Momoa (Baba Voss) dans la série "See". (APPLETV+)

Baba Voss (Jason Momoa) est le chef des Alkenny, une tribu qui a récemment recueilli Maghra, une jeune femme enceinte au passé mystérieux que d'aucuns considèrent comme une sorcière. Devenue l'épouse de Baba Voss, elle ne tarde pas à accoucher de jumeaux. Mais ces enfants sont autant craints que convoités...

Et ça vaut le coup ? Après Game of Thrones et Aquaman, Jason Momoa montre une nouvelle fois son appétence pour les costumes qui vous donnent un air un poil dénudé (qui a dit ridicule ?). Mais ce n'est pas le principal problème. Réalisé par Francis Lawrence (la saga Hunger Games) et écrit par Steven Knight, le créateur de Peaky Blinders, See surprend, mais pas forcément dans le bon sens du terme.

Si quelques bonnes idées émergent dans cet univers peuplé de non-voyants (le braille a été remplacé par des nœuds noués sur des cordelettes, les humains mettent à profit leurs autres sens comme l'ouïe et l'odorat), d'autres trouvailles scénaristiques provoquent de véritables moments de gêne risible, comme lorsque la reine Kane prie en se masturbant et en écoutant du Lou Reed, ou ces scènes de violence et de tortures qui nous rappellent tout ce que l'on détestait dans Game of Thrones.

L'acteur américain Jason Momoa incarne le chef guerrier Baba Voss dans la série "See". (APPLETV+)

Les épisodes s'enchaînent et l'on oscille entre ennui et malaise, sidéré de découvrir que trois épisodes couvrent déjà presque dix-huit années de l'histoire (à ce rythme-là, Jason Momoa devrait être plus que centenaire à la fin de la saison), et un peu désolé qu'une idée qui paraissait intéressante sur le papier n'arrive pas à se concrétiser, en dépit d'un budget pharaonique (équivalent à celui de The Morning Show, selon The Hollywood Reporter). Cela dit, See pourrait avoir le potentiel pour devenir un objet de culte un peu honteux, sorte de Game of Thrones version nanar.

C'est pour vous si… Vous êtes en pâmoison devant le corps athlétique de Jason Momoa ou si vous êtes en quête d'une dystopie totalement improbable à regarder entre amis, comme on regarde l'Eurovision, plus pour se moquer que par amour de la chanson.

"Dickinson"

Ça parle de quoi ? Née en 1830, élevée dans une famille aisée d'une ville moyenne du Massachusetts, Emily Dickinson (Hailee Steinfeld) rêve d'une vie beaucoup moins conventionnelle que celle à laquelle elle est prédestinée. Sa mère (Jane Krakowski) n'a qu'une obsession, la marier rapidement puisqu'elle n'est d'aucune utilité à la maison. Sauf qu'Emily ne l'entend pas ainsi, par refus des conventions, mais surtout parce qu'elle est amoureuse de Sue Gilbert (Ella Hunt), sa meilleure amie. De son côté, son père avocat (Toby Huss) est moins pressé que sa fille préférée s'en aille, bien que ses frasques et ses aspirations le fassent régulièrement sortir de ses gonds. Car si Emilie déteste par-dessus tout les tâches ménagères, elle a une passion qui, pour une jeune femme de l'époque, est peu recommandable : la poésie.

Et ça vaut le coup ? Pas de doute possible, avec Dickinson, Apple entend bien dépoussiérer la vie de la poétesse américaine dont le génie ne fut révélé qu'après sa mort, en 1886. Sous l'impulsion d'Alena Smith, créatrice de la série, la jeune fille introvertie et tourmentée devient une adolescente rebelle qui n'hésite pas à twerker et à prendre de l'opium pour pimenter une existence trop morne.

Portée par une bande-son qui enchaîne les tubes du moment (Billie Eilish, Lizzo, Mitski, etc.), Dickinson est clairement destinée à séduire les millennials qui pourront ainsi découvrir quelques-uns des poèmes de la célèbre autrice, régulièrement incrustés à l'écran, nouveau gimmick dont les créateurs de séries télé adorent désormais abuser.

D'autant que ces épisodes affichent un format court d'une trentaine de minutes, aisément "bingewatchable" comme le souhaite leur créatrice, interviewée récemment par le site américain Slate (en anglais). Les puristes s'offusqueront de ce traitement anachronique réservé à l'une des plus grandes poétesses américaines. Les autres se réjouiront que la jeune génération puisse ainsi en entendre parler.

C’est pour vous si... Vous êtes nés avant 1995 et que la poésie que l'on vous a enseignée au lycée vous a laissé un souvenir assez mitigé. Les autres se tourneront plutôt vers La Dame blanche, la biographie romancée de la poétesse, signée Christian Bobin (éd. Gallimard, 2007). Pour ceux que l'homosexualité féminine au XIXe siècle intéresse, jetez-vous sur Gentleman Jack (disponible sur OCS) qui raconte la vie de la Britannique Anne Lister, qualifiée de "première lesbienne moderne".

"For All Mankind"

Ça parle de quoi ? Eté 1969. Toute l'Amérique est devant la télévision pour voir les premiers pas de l'homme sur la Lune. Sauf que nous sommes le 26 juin, et non le 21 juillet, et que cet homme est russe et se nomme Alexei Leonov. Pour les membres de la Nasa, et plus particulièrement l'astronaute Edward Baldwin (Joel Kinnaman) qui faisait partie de la mission Apollo 10, c'est un énorme coup dur d'avoir été ainsi coiffé sur le poteau.

Edward Baldwin, interprété par Joel Kinnaman dans la série "For All Mankind". (APPLETV+)

L'Amérique est humiliée, la CIA désavouée et pour Richard Nixon, l'heure est à la revanche. Le président américain entend frapper fort et souhaite désormais que les Américains soient les premiers à établir une base militaire sur la Lune.

Et ça vaut le coup ? Et si… La ficelle scénaristique est connue, mais cette nouvelle uchronie qui imagine un monde dans lequel les Américains ont été doublés dans la course à la Lune par leurs ennemis du moment a de quoi intriguer. Créée par Ronald D. Moore (Battlestar Galactica), Matt Wolpert et Ben Nedivi (producteurs exécutifs de la série Fargo), For All Mankind réinvente un pan de la guerre froide à travers des histoires d’astronautes, de femmes d’astronautes et d’employés de la Nasa.

L'actrice américaine Wrenn Schmidt interprète Margo Madison, un personnage fictif qui devient la première femme à travailler dans la salle de contrôle de la Nasa. (APPLETV+)

Les auteurs multiplient les personnages et les arcs scénaristiques associés, au risque de ralentir considérablement l'intrigue. Peu rythmés, les épisodes souffrent surtout d'un problème majeur. Le postulat de départ nous promet implicitement une rupture dans l'histoire de notre monde telle que nous la connaissons. Mais ici, rien de spectaculaire. La série se veut certes beaucoup plus subtile que The Man in the High Castle (qui dépeint les Etats-Unis divisés en trois zones après que l'Allemagne nazie et le Japon ont remporté la Seconde Guerre mondiale), mais l'on s'attend à beaucoup plus de changements que ce qui nous est présenté à l'écran.

D'autant que de nombreux éléments appartenant à l'histoire sont également décrits et qu'à moins de connaître la conquête spatiale sur le bout des doigts, il est difficile de faire la part des choses entre les événements ayant véritablement eu lieu (comme la mise en cause de l'implication de Wernher von Braun, un ingénieur allemand de la Nasa, dans le régime nazi) et la fiction.

C'est pour vous si... La conquête spatiale vous passionne et que l'idée de regarder un long film de dix heures ne vous rebute pas (vous devrez toutefois patienter un peu car seuls les trois premiers épisodes seront disponibles au lancement, les suivants mis en ligne chaque vendredi, comme la plupart des séries Apple TV+).

Notez par ailleurs que la plateforme lancera également, le 28 novembre, un thriller en dix épisodes de 30 minutes signé M. Night Shyamalan (Split, Sixième Sens), que le réalisateur américain aimerait prolonger le temps de six saisons, rapporte le site Indiewire (article en anglais). Suivra le drama Truth Be Told le 6 décembre, avec Octavia Spencer (La Couleur des sentiments), Aaron Paul (Breaking Bad) et Lizzy Caplan (Masters of Sex). Apple a annoncé que de nouveaux programmes viendront étoffer le catalogue tous les mois. Reste à savoir combien et s'ils seront suffisamment attractifs pour susciter des abonnements.

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