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"Sinfonia" ou la noirceur du confinement : le dernier ballet "enragé" de Thierry Malandain a été présenté en Espagne

Le dernier ballet de Thierry Malandain, directeur du Centre chorégraphique national de Biarritz, a été présenté samedi à Saint-Sébastien en Espagne. Conçu dans un sentiment de colère lié aux fermetures des théâtres en France, il raconte la noirceur du confinement et les corps corsetés.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
"Sinfonia" du chorégraphe Thierry Malandain, inspiré par le confinement, présenté au Teatro Victoria Eugenia de Donostia de San Sebastián en Espagne le 10 avril 2021. (ANDER GILLENEA / AFP)

D'un côté, un quatuor de puissants qui délimite le périmètre. De l'autre, une quinzaine de danseurs à l'étroit. Sinfonia, le dernier ballet de Thierry Malandain, directeur du Centre chorégraphique national de Biarritz, présenté samedi à Saint-Sébastien en Espagne, raconte la noirceur du confinement et les corps corsetés.

Un ballet "réglé dans les ténèbres"

Tout est noir. Noir le sol, noirs les costumes, noir le sujet. Le ballet a été "réglé dans les ténèbres", explique à l'AFP le chorégraphe qui a créé Sinfonia en octobre 2020 car "il fallait qu'on occupe les danseurs". Le ballet de 28 minutes pour 20 danseurs a donc été conçu "en urgence" et sur une partition des années 1960, à l'époque d'une autre pandémie, celle de la grippe de Hong Kong.

"Sinfonia" du chorégraphe Thierry Malandain, inspiré par le confinement, présenté au Teatro Victoria Eugenia de Donostia de San Sebastián en Espagne le 10 avril 2021. (ANDER GILLENEA / AFP)

Présenté lors de deux uniques représentations au théâtre espagnol de Victoria Eugenia de Saint-Sébastien, le ballet raconte ce qui n'est malheureusement pas encore un souvenir, le confinement. 

On ne peut pas les rater, ils sont la seule lumière sur scène : les cônes de chantier argentés, outils diaboliques. Quatre garçons en costume, "chevaliers de l'apocalypse et allégorie des pouvoirs publics" selon Thierry Malandain, les déplacent au gré de leurs envies pour "décider des espaces dans lesquels évoluent les danseurs". Le reste de la troupe, condamné à piétiner, se recroqueville tantôt en foetus, tantôt se prend la tête. Pendant qu'ils se distordent, le quatuor se tord de rire.

"Rapport de domination et de perversité"

"On confine, on déconfine. On brise les espérances", raconte l'un de ses membres, Arnaud Mahory. "Ces 4 puissants, ça peut être Macron, Merkel, Von der Leyen et Lagarde, ça peut être qui on veut", explique-t-il, décrivant le "rapport de domination et de perversité", les "conciliabules tenus par cet entresoi qui prend des décisions pour le reste du monde".

Le chorégraphe a d'ailleurs choisi une partition ésotérique de Luciano Berio presque cacophonique, rappelant les discours dissonants sur la pandémie depuis ses débuts, avec des "ordres et des contre-ordres". Thierry Malandain se défend d'avoir imaginé un "ballet politique" et préfère parler d'"une pièce de circonstance qui scelle ce moment-là".

Le choregaphe harangue ses danseurs 

"Moi je pourrais aller casser la gueule à Macron, j'irais manifester", harangue-t-il ses danseurs lors de la répétition, les exhortant à sortir "leur rage". Même si l'Espagne fait figure d'exception et a conservé ses théâtres ouverts, le chorégraphe ne peut s'empêcher d'utiliser un vocabulaire mortuaire parlant là d'un "théâtre désossé" dont on a retiré les sièges ou "des croix" sur les fauteuils condamnés.

A la sortie, le public espagnol a reconnu les stigmates du confinement : "on a bien compris, ces quatre personnes qui contrôlent le reste des gens, en imposant les espaces et en empêchant les libertés", explique Ibon Sarasola, un spectateur de 39 ans. 

"Il est où l'espoir ?"

L'une des danseuses, du côté des opprimés, se souvient du confinement, de son "réagencement de l'espace, de s'agripper aux meubles de [son] petit appartement". Le ballet dit "cette rage de la contrainte physique de l'espace, et les montagnes russes émotionnelles des annonces qui tous les mois disent qu'on va rouvrir les théâtres... cette impression d'être ballotée". Si elle ne boude pas son "plaisir fou" d'être à nouveau sur scène, cela n'aura duré "que deux soirs... c'est frustrant", d'autant que les gens souffrent "d'un manque cruel de beauté, de magie, d'espoir".

La fin du spectacle voit le retour des embrassades. C'est le moment de se toucher à nouveau, de poser ses mains sur l'autre comme pour vérifier qu'on existe encore, alors que la distanciation sociale a créé des situations inédites : certaines personnes n'ont plus touché ni été touchées depuis des mois. La farandole sort de scène, mais le quatuor, lui, revient et scelle un nouveau pacte. "Il est où l'espoir ?", interroge Thierry Malandain. Claire Lonchampt, elle, estime qu'"on ne sait pas qui a gagné" : "Il faut croire en la libération, sinon pourquoi on s'entraîne tous les jours ? C'est ce qui nous tient depuis un an. On lâchera rien, on se tiendra prêt pour le jour où ce sera possible".

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