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Dans "Le silence de Molière" à la Comédie-Française, Danièle Lebrun incarne avec subtilité la fille inconnue du dramaturge

C’est au Studio-Théâtre de la Comédie-Française : Danièle Lebrun incarne Esprit-Madeleine Molière, fille unique du dramaturge, qui se confie à nous. 

Article rédigé par franceinfo Culture - Bertrand Renard
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Danièle Lebrun dans "Le silence de Molière" (VINCENT PONTET, coll. Comédie-Française.)

Le silence de Molière et l’émotion nous saisit, la compassion peut-être. A cette existence si grise que l’on en ignore tout, de cette femme prénommée Esprit-Madeleine, fille d’un des plus célèbres hommes de théâtre de tous les temps. A quoi ressembla cette vie ?  L’Italien Giovanni Macchia l’a imaginée, et sous forme d’un interrogatoire : mené par qui ? Peut-être à l’entrée du Paradis où, forcément, cette pieuse personne qu’était Esprit-Madeleine Molière sera montée directement après 57 ans de vie discrète, de vie silencieuse (pour reprendre l’expression de l’Italienne Dacia Maraini) puisqu’elle ne se sera jamais exprimée sur ses parents, aura toujours fui le monde, vivant en partie au couvent (sans prendre les ordres), se mariant sur le tard, et si tard qu’il n’y aura jamais d’enfant. 

"L'ignominie du rire"

Que sait-on d’Esprit-Madeleine ? Peu. Qu’elle joua un petit rôle dans Psyché de papa (elle avait six ans) mais surtout (tout s’explique) qu’il écrivit pour elle le personnage si amusant de Louison dans Le malade imaginaire (Ah ! non, bon papa, je ne vous mens pas). Mais qu’elle refusa de le jouer, commençant déjà son retrait du monde. 

Un monde dans lequel, son père disparu, sa mère remariée, elle trouvait d’autant moins sa place qu’Armande, la négligeant, se consacrait à son art de comédienne et aussi au fils qu’elle eut de ce remariage, les frères et sœurs d’Esprit-Madeleine étant, eux, morts après quelques semaines. "Je commençais, dit-elle, s’adressant à son père ou à sa mère (on ne sait), à découvrir l’ignominie du rire". Sans qu’on fasse attention à elle puisque de toute façon "on ne fait malheureusement pas confiance aux souvenirs des enfants, rappelle Anne Kessler, la metteure en scène, et encore moins à l’époque qu’aujourd’hui."  

Danièle Lebrun (VINCENT PONTET, coll. Comédie-Française.)

"Je dormais quand mon père mourut"             

"Ainsi, ajoute Esprit-Madeleine, la mort de mon père ne fut pas pour moi une de ces douleurs. Je dormais quand mon père mourut. Personne ne me réveilla". Plus tard, dans la grande maison à côté de laquelle Armande avait installé un théâtre, passant de l’une à l’autre telles les deux faces d’une même vie, elle assistait, lucide et ennuyée, à la transformation de sa mère, car "l’habillage d’un acteur est toujours une cérémonie joyeuse et funèbre". On l’accusera d’avoir brûlé les archives de son père car il ne reste rien, ou fort peu, du dramaturge.  

La subtilité de Daniel Lebrun 

On l’accusera aussi de n’avoir jamais défendu ni sa famille ni sa mémoire. Sa prise de parole dans la pièce relève de sa volonté de s’expliquer enfin, et aussi d’échapper à ce sort de "jeune fille cloîtrée, emprisonnée sans âme ni lumière" (Esprit-Madeleine était-elle si croyante ?) Danièle Lebrun y met toute son intelligence de comédienne, son art des pleins et des déliés d’un texte ; avec le talent imparable de cette voix qui sait se faire entendre jusqu’au dernier rang sans qu’elle la force jamais, respectant la pudeur du personnage qui, jamais, ne se permettrait de se hausser du col. Et il faut voir la subtilité qu’elle met à faire vibrer ce corps immobile (assise, très droite, avec sa grande robe d’apparat et sa perruque grise), cherchant à convaincre dans un mouvement vers nous et retenue cependant dans son être même par la vertu de discrétion qui a toujours conduit sa vie.

Le mystère d’Esprit-Madeleine sera ainsi à peine dévoilé, parachevant le silence de Molière qui ne nous aura laissé ni papier ni descendant.  

Même si les descendants de Molière, ce sont tous les acteurs.

"Le silence de Molière" de Giovanni Macchia, mise en scène d’Anne Kessler, interprétation de Danièle Lebrun.
Studio-Théâtre de la Comédie-Française
du mercredi au dimanche à 20 heures 30
Jusqu’au 27 février
        

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