A Garnier, Tcherniakov marie pour le meilleur "Iolanta" et "Casse-Noisette"
Il est encore plus téméraire de revisiter "Casse-Noisette", grand classique des fêtes de Noël, écrit par Alexandre Dumas à partir d'un conte d'Hoffmann.
Mais commençons par le début. Le rideau s'ouvre sur "Iolanta", charmant opéra méconnu de Tchaïkovski, qui voit la jeune princesse recouvrer la vue grâce à l'amour du comte de Vaudémont.
Dans un décor unique et intimiste de demeure bourgeoise, le soleil d'hiver darde ses rayons au travers des hautes fenêtres derrière lesquelles la Iolanta de la russe Sonya Yoncheva est admirable de justesse de jeu et de chant. Son père le roi René (Alexander Tsymbalyuk), Vaudémont (Arnold Rutkowski), Robert (Andrei Jilihovski) sont parfaitement incarnés. Et même si le jour de la première, les voix n'étaient pas encore totalement libérées, la beauté de la langue russe est évidente à l'oreille.
Lorsque Iolanta retrouve la lumière et que l'opéra (dirigé par le chef Alain Altinoglu) s'achève, le décor s'élargit et l'on découvre la jeune Marie de "Casse-Noisette" (qui avait plusieurs fois fait irruption dans le salon de Iolanta) applaudir les protagonistes de l'opéra donné pour son anniversaire. Du théâtre dans le théâtre, enchainement habile de Tcherniakov pour nous entrainer cette fois dans un parcours initiatique beaucoup plus sombre, puisque Marie s'imagine une histoire d'amour avec Vaudémont.
Tcherniakov confie les différents tableaux de ce "Casse-Noisette", revu et corrigé, à trois chorégraphes aux styles radicalement différents (Arthur Pita, Edouard Lock, Sidi Larbi Cherkaoui). Le portugais Arthur Pita, petit nouveau à Garnier, ouvre le feu en orchestrant la fête d'anniversaire avec humour et vitalité. Robes années 50 et hauts talons, on se croirait parfois chez les zazous de Jérôme Savary ! La fête est débridée autour de Marie, délicieuse Marion Barbeau, future première danseuse. La belle Alice Renavant incarne la mère, Nicolas Paul un trouble Drosselmeyer, tandis qu'avec sa perruque rousse Stéphane Bullion est un Vaudémont fantomatique. Le reste du ballet revisité par Tcherniakov, est une plongée dans les ténèbres, à l'opposé des féeries de Marius Petipa.
Ainsi quand la fête tourne au cauchemar et que les invités se retournent contre Marie et Vaudémont, le metteur en scène fait appel à la gestuelle saccadée du canadien Edouard Lock dans un très beau décor vidéo de forêt. Le tranchant de sa danse, s'il est parfaitement adapté aux dérèglements des sentiments, l'est moins dans le tableau où des jouets s'animent. On est sur le point de décrocher mais on salue la performance des danseurs, qui s'adaptent aux styles si contrastés des chorégraphes, au sein d'un même ballet et en incarnant les mêmes personnages.
Le 3e chorégraphe, c'est Sidi Larbi Cherkaoui qui signe une valse des flocons funèbre, façon siège de Stalingrad, opposant sous le blizzard les costumes lourds à la danse aérienne. Ses pas de deux sont frémissant de grâce et de sentiments, notamment celui où Marie essaye de relever Vaudémont et de lui redonner vie. Sa valse des fleurs, transformée en danse des sosies est bouleversante : Marie ne voit autour d'elle que des répliques d'elle même et de Vaudémont, qui peu à peu vieillissent sous nos yeux, tandis que la valse se poursuit…
Qu'on soit séduit ou non par cette relecture, la marque de fabrique de Tcherniakov, on ne peut nier l'audace et la clarté du propos, la beauté de sa réalisation. Le russe réussit à imbriquer les deux œuvres avec brio, opposant la lumière de "Iolanta" à l'ombre de "Casse-Noisette", avec pour seule religion la musique éblouissante de Tchaïkovski, dont il aime à dire : "Je n'ai plus besoin de l'écouter, je la connais par coeur, c'est une partie constituante de ma vie".
"Iolanta /Casse-Noisette" de Tchaïkovski, direction : Alain Altinoglu, mise en scène : Dmitri Tcherniakov
Retransmission en direct dans un réseau de cinémas en France et dans le monde le 17 mars à 19h30
Sur Culturebox à partir du 25 mars à 19H et sur France 3 ultérieurement.
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