A la Comédie-Française, Denis Podalydès incarne un "Roi Lear" teigneux et pathétique dans la mise en scène de Thomas Ostermeier
"Le Roi Lear" de Shakespeare entre au répertoire de la Comédie-Française. Le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier en propose une version plus irrévérencieuse que tragique.
Cela peut paraître étonnant mais Le Roi Lear n’avait jamais été représenté depuis deux siècles à la Comédie-Française. Et c’est donc dans la version de Thomas Ostermeier, metteur en scène iconoclaste, que le souverain fait ses premiers pas dans la grande maison. Car ce n’est pas une surprise, Ostermeier nous livre son Lear, prenant des libertés avec cette tragédie sur la soif du pouvoir et la transmission, soutenu par la nouvelle traduction d’Olivier Cadiot.
Sa cinquième mise en scène d’une pièce de Shakespeare (parmi lesquelles Richard III et La Nuit des rois, déjà au Français en 2018), Thomas Ostermeier la situe dans un beau et inquiétant paysage de lande voilé de brume. Avec, uniquement pour symboliser d’autres lieux, un cadre lumineux qui représente le château de Lear puis de ses filles, et un écran vidéo en forme de bannière où s’incruste une impressionnante tempête. Deux trompettistes annoncent les apparitions royales et jouent une partition musicale qui mêle compositions baroques et contemporaines. Comme pour La Nuit des rois, une passerelle relie la scène à l’orchestre où les acteurs viendront prendre le public à partie à plusieurs reprises.
Lear vieillissant expose son projet à la salle : abdiquer et léguer la part la plus vaste de son royaume à celle de ses trois filles qui lui vouera l’amour le plus profond. Seule la benjamine, sa préférée, refuse, déclenchant l’ire de son géniteur et sa répudiation.
"Un Roi Lear" proche du "Roi se meurt" de Ionesco
Denis Podalydès excelle en vieux roi tyrannique et quasi incestueux, alternant colères et divagations. Ce parti pris d’un enfant gâté et capricieux s’accrochant au pouvoir a pour revers de tenir toute émotion à distance et de gommer la tragédie de son destin. On est plus proche avec lui et avec Ostermeier du dérisoire du Roi se meurt d’Eugène Ionesco.
L’émotion jaillira cependant avec le duo formé par le personnage de Gloucester (Eric Genovese) et de son fils Edgar (Noam Morgensztern), eux aussi écartés du pouvoir par le fils illégitime Edmund, sidérant Christophe Montenez dans la peau du félon prêt à tout, y compris à séduire les deux sœurs pour s’emparer du trône.
Les 2h45 du spectacle ne pèsent pas, tant les comédiens du Français s’investissent, parfois un peu trop (le fou de Stéphane Varupenne). Les deux sœurs Goneril et Regan incarnées respectivement par Marina Hands et Jennifer Decker sont des amazones diaboliques, éclipsant Cordélia (Claïna Clavaron) si "gentille" qu’Ostermeier a réduit son rôle ! Kent, le fidèle conseiller du roi, est incarné par une femme, Sephora Pondi, à la belle présence.
Si on est sceptiques sur la pertinence de la séquence astrologique d’Edmund ou sur les clins d’œil appuyés au monde d’aujourd’hui, l’épilogue qui n’est pas conforme à la version de Shakespeare nous a pourtant convaincus, car il est dans la lignée psychologique de ce Lear-là. La mort serait beaucoup trop grande pour ce vieillard pathétique, il se contentera de retrouver la fidèle Cordélia, tremblant dans sa chaise roulante et réajustant sa couronne, attendant un retour en grâce qui, tel Godot, n’arrivera jamais.
"Le Roi Lear" d’après William Shakespeare
Adaptation Thomas Ostermeier et Elisa Leroy
Traduction Olivier Cadiot
Mise en scène Thomas Ostermeier
Salle Richelieu de la Comédie-Française
Du 23 septembre 2022 au 26 février 2023
matinée à 14h, soirée à 20h30
En direct au cinéma le 9 février sur pathelive
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