"D’où rayonne la nuit" à la Comédie-Française, un joli spectacle musical sur les relations compliquées de Molière et de Lully
Yoann Gasiorowski a écrit et mis en scène "D’où rayonne la nuit", qui mêle théâtre et musique, celui de Molière et celle de Lully.
Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française, commande un spectacle à Yoann Gasiorowski sur Molière et Lully, qui ont collaboré onze fois si l’on a bien compté, textes et musique, comédies-ballets, la plus fameuse étant Le bourgeois gentilhomme. "Mais je ne connais rien à la musique baroque", se récrie Gasiorowski, à qui l’on indique un musicien, Vincent Leterme, plutôt versé… dans la musique contemporaine !
Théâtre de tréteaux
De cet attelage sort un très joli spectacle, autour de six comédiens et deux musiciens en scène, qui nous parle de musique, de danse, de Molière, d’un roi à qui on ne refuse rien, de l’esprit de troupe, de chansons populaires, de petites joies et de mélancolie. Cela, dans un esprit de "théâtre de tréteaux" un peu foutoir, sautant du coq à l’âne mais qui, au final (et l’on aura souvent ri), traite avec finesse de ces saltimbanques d’hier et d’aujourd’hui, ceux d’hier, et c’est une réussite de Gasiorowski qui signe aussi un texte plein de qualités, paraissant si proches de ceux d’aujourd’hui qu’on finit par les confondre.
C’est aussi le but mais d’une manière joliment burlesque. D’une armoire, d’une grande malle, on sort une perruque, un chapeau à plumes, une robe à godets : chacun est un des protagonistes et parfois lui-même. Elsa Lepoivre est Madeleine Béjart ; Birane Ba, jeune acteur Noir, se met une perruque blonde pour incarner Molière (effet comique garanti). Elissa Alloula est Lully (italien à jurons compris), Claïna Clavaron Armande (jolies scènes de tendresse entre Madeleine et Armande, pardon, entre Elsa et Claïna), Serge Bagdassarian un peu tout (et surtout mademoiselle Hilaire, comédienne), Gasiorowski se réservant le rôle du naïf, confondant les dates, les lieux, les instruments de musique ("cette guitare… non c’est un théorbe, une sorte de luth à long manche, 1 mètre 45 de long", lui répond Nicolas Wattine, excellent musicien qui fait duo -et quelques interventions parlées- avec Cécile Vérolles, la violoniste).
Musique de Lully et chansons populaires
Car il y a de la musique évidemment -cela s’appelle impromptu musical- et pas seulement de Lully mais aussi des chansons populaires du temps, dont certaines qu’on connait encore. On sait les Comédiens-Français très multicartes ; et l’on se régale à leur petit chœur où les voix et les rythmes sont si justes. C’est moins vrai quand ils sont en solo (Bagdassarian et Claïna Clavaron, voix ravissante, s’en sortent le mieux) mais la musique baroque est difficile avec ses incessants demi-tons qu’il faut, sur des airs lents, tenir. Quant à Elissa Alloula, elle met une énergie incroyable dans les chants rythmés, en italien.
Au milieu de ce récit qui commence sur les chapeaux de roue (Louis XIV, 23 ans, voulant absolument faire danseur à la réception de Fouquet, Molière est obligé d’écrire Les fâcheux en cinq jours, sans oublier d’y "coudre" des entrées de ballet au milieu des intrigues de la comédie). Soudain le rythme s’interrompt et l’on assiste à une belle conversation, très bien écrite et pas didactique du tout, sur les arts majeurs, théâtre, musique et danse, et la manière dont ils se confrontent ou s’harmonisent : car, par exemple, contrairement à la peinture qui n’a qu’une dimension, ils doivent s’inscrire dans l’espace et dans le temps ("La tragédie est mimée autant qu’elle est dite") et ont besoin de passeurs, danseurs, acteurs et musiciens, sans quoi ils n’existeraient pas. Reflet d’un temps, celui du Roi-Soleil, où, grâce à lui qui a su s’entourer de génies, la création artistique a fait un bond inégalable…
Esprit de troupe
La plus jolie scène est cependant de pur théâtre, où les comédiens de la troupe, assis sur une malle, miment un voyage de nuit, tremblant de froid et des cahots de la diligence. Et ils chantent, pendant que des confettis blancs jetés sur eux imitent la neige qui poudroie. C’est le pur esprit de la commedia dell’arte dont s’inspirera Molière, et cette fois sans Lully, dans Les fourberies de Scapin.
On ne vous dira pas (même si c’est dans toutes les biographies) comment les deux Jean-Baptiste se brouilleront (la musique du Malade imaginaire sera composée par le jeune Marc-Antoine Charpentier) et mille choses encore. Mais on louera pour finir cette complicité joyeuse que l’on sent dans ces trois générations de comédiens, signe d’un vrai esprit de troupe où rayonne le bonheur de l’échange. Partageant avec nous cette maxime tirée d’une chanson de l’époque : "Ne songeons qu’à nous réjouir / La grande affaire est le plaisir".
"D’où rayonne la nuit", texte et mise en scène de Yoann Gasiorowski
Studio-Théâtre de la Comédie-Française
du mercredi au dimanche à 18 heures 30
Jusqu’au 6 mars.
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