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"Les loges du Français" : visite très intime à la Comédie-Française avec Eric Ruf, Didier Sandre, Hervé Pierre...

Quarante loges réservées aux soixante sociétaires et pensionnaires de l’illustre institution, le photographe Stéphane Lavoué a eu l’autorisation exceptionnelle de pousser les portes de ses petites enclaves secrètes. En résulte un très beau livre publié chez Gallimard. Reportage.

Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La loge de Jérôme Pouly "Les Loges du Français" par Stéphane Lavoué, éditions Gallimard (Stéphane Lavoué)

Une seule et même clé ouvre toutes ces loges de la Comédie-Française réparties sur trois étages, et pourtant elles sont souvent le jardin secret de ses occupants. Pour la première fois, des photos prises sur le vif nous livrent l’intimité de grands comédiens.

Une clé unique

"Eric Ruf m’avait proposé de faire les portraits de la troupe, le trombinoscope des comédiens et je m’étais installé dans une loge. Pendant trois semaines", nous raconte le photographe Stéphane Lavoué, "ils ont défilé devant moi et évidemment il y avait des moments d’attente. Donc je me suis baladé dans les couloirs, j’ai poussé une porte, et quand j’ai découvert la loge d’Hervé Pierre et ses nuages, je me suis dit qu’il y avait moyen de faire, en creux, le portrait du comédien que j’avais devant moi."

La loge d'Adeline d'Hermy (Stéphane Lavoué)

La loge dans les nuages d'Hervé Pierre

Eric Ruf a donné son feu vert au photographe qui s’est vu confier la précieuse clé avec une consigne, ne pas prévenir de sa visite. "Je pénétrais, après avoir frappé à la porte, dans un univers qui pouvait être fraîchement habité de la veille, avec le lit défait, les vêtements par terre, le petit mot laissé sur le bureau, c’était assez intimidant", se remémore le photographe. On apprend ainsi que lorsque Hervé Pierre a emménagé dans une loge un peu ingrate donnant sur un puits d’aération, il a demandé à sa fille artiste peintre de le "mettre dans les nuages". D’où ce ciel très onirique, du sol au plafond.

La loge d'Hervé Pierre "Les loges du Français" par Stéphane Lavoué aux éditions Gallimard (Stéphane Lavoué)

Gris-gris

Dans ces cocons de taille variable, les comédiens impriment leur marque, accumulent les petits cadeaux de première, les gris-gris, les petits messages… "Ma loge raconte quelque chose de moi", sourit Didier Sandre qui nous reçoit. "Il y a les photos de mes maîtres", Antoine Vitez, Maurice Béjart, Jean Vilar, Patrice Chéreau, Bernard Faubel… quelques photos de famille. "Toutes les choses qui peuvent apaiser quand on est un peu angoissé, tendu, inquiet", avoue le comédien. "On a besoin de ces rassurances-là. D’autres comédiens ont des loges absolument zen, sans rien. Moi, j’ai besoin de quelques points de repères"

La loge de Didier Sandre (Stéphane Lavoué)

Un lit dans chaque loge

Pourquoi des lits dans presque toutes ces loges ? Cela s'explique facilement, selon Didier Sandre : "Souvent, pendant les week-ends et pendant les fêtes on joue en matinée et en soirée. Par exemple il m’arrive de jouer Les Fourberies de Scapin et Les Damnés dans la même journée, donc il faut absolument qu’on passe à autre chose. Il y a un moment de sieste, une douche, se laver les cheveux. Se nettoyer du personnage précédent, pour pouvoir venir au personnage qui va suivre. C’est à cause de cette situation particulière au Français où on joue en matinée et soirée des choses différentes du fait de l’alternance, ce n’est pas pour roupiller (éclat de rire)".

La loge d’Eric Ruf, administrateur général de l’institution et metteur en scène, est encombrée d’un joyeux fouillis : "J’ai attendu longtemps cette loge un peu plus grande pour élaborer mes décors avec mes équipes", dit-il. Les plus grandes loges font bien sûr des envieux, d’autant que seuls les sociétaires ont droit à une loge individuelle. Les nouveaux pensionnaires, eux, devront partager avec un ou une camarade. 

La loge d'Eric Ruf (Stéphane Lavoué)

La chambre avec vue de Didier Sandre 

Il y a bien sûr des exceptions : lorsque le comédien entre dans la troupe, auréolé d’une longue et belle carrière, il est aussi gratifié d’une loge pour lui tout seul. C’est le cas de Didier Sandre, pourtant arrivé seulement il y a six ans. "J’ai eu la faveur d’être seul et d’avoir une loge qui donnait sur la place Colette (la place où donne la façade du théâtre) !", nous dit l'acteur. "Le luxe, et on me l’a fait sentir comme tel ! Elle n’est pas grande, mais je l’aime beaucoup et puis elle était livrée nue, c’est-à-dire que je l’ai aménagée comme j’en avais envie, avec des rideaux rouges… La photo (qui est dans le livre) s’est faite à l’insu de mon plein gré si j’ose dire. On m’avait demandé l’autorisation que j’avais donnée bien sûr et j’ai découvert un jour la photo accrochée sur un mur, ça m’a fait très plaisir. Et depuis je la montre à tout le monde : ça c’est ma loge !"

La loge de Didier Sandre (Stéphane Lavoué)

"Un sas" 

Cette loge, est-ce un refuge ? "Pour moi c’est très important, car c’est une espèce de sas, de lieu comme ça où on passe de nos vies ordinaires à une vie un peu autre, celle du passeur d’histoire, l’incarnation d’un rôle, le serviteur d’une mise en scène, d’un auteur, et moi j’ai besoin de temps pour ça, pour faire cette transmutation. J’écoute beaucoup de musique en général pour me concentrer, je me refais le texte, je mange, je bois de la tisane, il y a tout un rituel. Dans la journée quand je joue, à partir de 14 heures, je ne me sens pas très bien et je recommence à aller bien quand je franchis les murs de la loge. Je me sens chez moi, dans le théâtre, prêt à raconter mon histoire (rires)". 

Les loges du Français, un livre pour les amoureux du théâtre, les admirateurs de cette troupe d’excellence. Aucune légende n’accompagne ces photos, seul un index à la fin de l’ouvrage précise le nom des occupants. Il ne faudra donc pas y chercher des anecdotes ou des biographies des comédiens, mais une magnifique atmosphère.

"Les loges du Français" de Stéphane Lavoué, préface Eric Ruf (Gallimard/Comédie-Française)

Les loges du Français, Gallimard-Comédie-Française
35 euros 

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