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A Bastille, Wayne McGregor conclut brillamment la 1ère saison Millepied
"L’anatomie de la sensation", commande de l’Opéra à l’Anglais Wayne McGregor, est un hommage à l’immense peintre Francis Bacon, son compatriote. Neuf pièces jouées enchaînées, pour différentes formations de danseurs, en un beau moment de danse contemporaine.
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Complicité masculine
Revoici donc cette « Anatomie de la sensation », créée en 2011. Et d’entrée vous pouvez oublier vos souvenirs de l’œuvre du peintre : ne sont vraiment identifiables que le cri du pape Innocent X, reproduit un instant au troisième tableau par un groupe de danseuses en rang, et le fameux orange « Bacon », sur un des grands panneaux de couleur pure qui compose le décor (très belle scénographie de John Pawson, très belles lumières de Lucy Carter)L’autre référence au peintre (encore faut-il le savoir!) est la partition de Mark-Anthony Turnage, « Blood in the floor », titre d’un tableau de ce même Bacon ! Superbe morceau d’une musique qui n’oublie pourtant jamais son époque, un peu du Jolivet de la première manière, mâtinée de jazz par la présence de la batterie et d’un saxophone.
Deux hommes entrent en scène: ce soir-là l’étoile Mathias Heymann et le coryphée Alexandre Gasse. On connait la politique de notre scène nationale : mêler à rôles égaux des interprètes de différents niveaux hiérarchiques pour renforcer cet esprit de troupe où l’étoile n’est pas seule sur son nuage mais le porte-parole (ou plutôt le porte-geste !) d’une compagnie. Nos deux danseurs sont bientôt en slip, Heymann en gris, Gasse en blanc. Gestes complices, parfois en mano a mano, jambes pliées-étirées, petits sauts, entrelacements, étude de muscles. Mélange très intéressant de technique classique (venue des grands américains, Balanchine ou Robbins?) et d’une dimension bien plus physique, plus en puissance : c'est si on doit le définir, l'identité MacGregor. Avec une grande élégance, à laquelle contribuent Heymann et Gasse: car l’homo-érotisme n’est pas loin mais le tranchant, la clarté des figures, éloignent toute ambiguïté, au profit de la danse pure.
La grâce d'Alice Renavand
Puis vient Alice Renavand (« Junior addict ») Cette magnifique artiste, qui nous rappelle souvent Marie-Agnès Gillot, éblouit d’entrée dans son solo : les jambes immenses, l’envergure, une verticalité de statue, athlète autant que danseuse (et McGregor en joue) mais la danse l’emporte toujours au final, avec la grâce. Scène de groupe (« Needles »), plus jazzy, danseuses en orange « Bacon » : on admira la capacité de la troupe à changer de style, à mélanger, là, d’une figure à l’autre, différentes formes chorégraphiques, avec une évidence qui finit par ne plus nous étonner mais qui est l’apanage de très peu de compagnies au monde. Et chaque danseur, dans celle-ci, est formé à cela, est capable de cette diversité-là. McGregor en profite, au risque du patchwork, du manque d’unité. A part Bacon, que relient les morceaux de «L’anatomie de la sensation »? Rien, sinon ce « feeling », autre sens anglais du mot « sensation », qui doit passer entre les danseurs, et aussi dans l’entre-deux qui les sépare ?
Aurélie Dupont en solitaire
Une petite déception, justement, quand apparaissent Aurélie Dupont et Alexandre Gasse (« Elegy for Andy ») On attend entre eux (elle habillée, lui… beaucoup moins) une sensation, une rencontre, une sensualité. Mais rien. A cause en partie de McGregor, qui les tient trop souvent à distance l’un de l’autre. On admire Dupont, on admire sa capacité à donner son autonomie à chaque partie de son corps pour le réunifier aussitôt dans la fluidité du mouvement. C’est très beau (c’est en cela que la danse contemporaine n’est jamais du contorsionnisme) mais c’est une danse tournée vers soi-même, une danse de solitaire. Heureusement il y a Renavand et Josua Hoffalt. Dans un petit bijou, « Crackdow ». Cela commence par des regards, des gestes épiés, une séduction amoureuse qui va crescendo. Enfin, Renavand, joyeuse, à son plus beau. Et Hoffalt magnifique aussi dans l’illusion qu’il donne de ne rien faire (sinon de porter Renavand dans un superbe mouvement de pédalo dans le vide!) Quand ils sortent de scène ils ont des sourires et des euphories de gamins.
Des noms à suivre
(Ces soirées où défile une partie de la compagnie permettent toujours de remarquer un ou deux noms, qu’on aimerait revoir ou suivre. On a donc noté Laurène Lévy, aussi « étoile », dans « Shout », que l’étoile Dorothée Gilbert, sa partenaire. Et Adrien Couvez, autre coryphée, au physique inhabituel, râblé, crâne rasé, l’énergie d’un hip-hopeur dans « Needles »).Le morceau final, « Dispelling the fears », renvoie au début: un groupe de garçons en maillots couleur chair, par petits groupes. Cela ressemble à l’entraînement des athlètes dans la Grèce ou la Rome antique. McGregor cultive encore plus l’ambiguïté comme si on allait vers une «Anatomy of pleasure » A la fin un garçon danse, un autre le regarde danser. Le regarde en espérant qu’il le regarde. Mais le premier continue sa danse, objet de regard et non de désir. Le second finit par sortir. Le garçon danse, danse encore, la lumière baisse… La danse est une anatomie de la sensation.
« L’anatomie de la sensation (Pour Francis Bacon) », chorégraphie de Wayne McGregor à l’Opéra-Bastille
Par le Ballet de l’Opéra de Paris, jusqu’au 16 juillet (matinée gratuite le 14 juillet à 14 heures 30)
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