"At the same time…" de Robyn Orlin ou la recherche du corps africain
“At the same time we were pointing a finger at you, we realized we were pointing three at ourselves” : au moment même où nous pointions notre doigt sur vous, nous nous rendions compte que nous en pointions trois sur nous-mêmes. Ce long titre, comme toujours chez Robyn Orlin, pour dire que le regard porté sur l’autre peut en dire long, également, sur soi-même. L’autre est le corps, grand objet d’intérêt pour la chorégraphe sud-africaine, dans toutes ses pièces : comment est-il perçu, ressenti ? Il n’y a, selon Robyn Orlin, ni représentation ni discours sur le corps africain et cette absence est porteuse de conséquences sociales, sanitaires, culturelles dans l’ensemble du continent. Dans cette pièce réalisée avec les danseurs de la compagnie JANT-BI de Germaine Acogny, Robyn Orlin s’interroge sur ce refoulement et évoque, pour ce faire, également, le poids du regard occidental.
De quoi parle cette pièce ?
Elle parle de beaucoup de choses à la fois : du corps avant tout, comment est-il utilisé pour raconter des histoires ? Elle parle aussi du comportement humain, comment il peut être axé sur le corps. Elle parle de la vie en communauté en Afrique, comment on se regroupe pour se faire un peu d’argent, ou dans le cadre d’une cérémonie d’initiation, moment important où l’on gère tous les problèmes qui se posent dans la communauté. J’ai aussi voulu évoquer ce qui se passe en France (référence est faite aux résultats électoraux du Front national, et dans la pièce Marine Le Pen est évoquée dans un rituel imaginaire, ndr) - et dans le monde - et dire que c’est important. Puis, il est question des femmes, de leur place dans la société et aussi de la place des hommes. Cette pièce parle aussi d’homosexualité. Ce n’était pas le cas avant, ou en tout cas je n’en avais pas conscience. Et pourtant en Afrique, comme dans le monde, il y a beaucoup d’homophobie. Et je pense qu’il faut en parler.
Sur scène, seuls huit hommes dansent et pourtant la femme aussi est présente, par une vidéo de Germaine Acogny, ainsi que par le travestissement…
Je pense qu’en Afrique, cet énorme continent où nous sommes, les femmes sont très puissantes et quand on m’a donné une compagnie avec seulement des hommes j’ai dû trouver un moyen d’y faire venir les femmes. Parce que je pense vraiment qu’elles sont la sauvegarde du continent. Dans l’initiation pour devenir des hommes au Sénégal et plus globalement en Afrique de l’Ouest, la première chose que les jeunes doivent apprendre, c’est comment respecter les femmes.
L’un de vos choix, pour parler du corps, est de passer par les cérémonies traditionnelles d’initiation.
J’ai décidé d’utiliser les cérémonies comme intermédiaire et comme métaphore, parce que cette cérémonie est incroyable. Je pense qu’elle a perdu sa raison d’être mais elle fonctionne toujours dans la communauté au Sénégal. Pour les enfants comme pour les adultes c’est l’occasion de se confronter à leurs propres peurs. J’ai vu beaucoup de personnes abandonner, cela doit être difficile pour eux.
La cérémonie représente la tradition, est-ce aussi un repère pour se projeter dans le futur ?
Peut-être, car la cérémonie joue un rôle tangible. On y connait mieux les hommes, les danseurs, leurs histoires, leurs peurs. Je pense que ce que nous perdons en ce moment dans le monde, c’est un sens d’humanité. Et j’ai envie de le faire revenir, d’une certaine façon. Mais la cérémonie a aussi à voir avec les travaux de Brecht et de Tadeusz Kantor où le performeur est exposé et vulnérable, comme je le suis en créant la pièce.
Dans ce spectacle, on parle beaucoup de colonisation.
Oh oui, j’espère que c’est très clair. Le corps est colonisé, le public est colonisé, les danseurs sont colonisés. Et beaucoup de ce qui se passe est le résultat de la colonisation.
La colonisation est un fait du passé…
Ca n’a pas changé. Je pense que la colonisation a toujours lieu dans le monde, mais différemment. Je remarque que quand un Européen arrive en Afrique, on parle d’expatriation. Mais quand un Africain vient en Europe, on est reçus comme étrangers ou des sans papiers. Ce sont les traces de l’histoire, mais la colonisation a lieu encore partout, toujours, malgré tout. C’est moins visible, le pouvoir est plus dispersé.
Comment le corps peut-il devenir africain ?
Je pense qu’il était africain, dans le spectacle. Mais plus encore, il est humain. Vous savez, je ne suis pas nationaliste, l’important c’est que nous soyons tous des humains. Les Français blancs n’ont pas idée de ce que vivent les Africains en Europe, particulièrement en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, ils doivent se promener aves les passeports dans la poche. C’est ce qui se passait durant l’Apartheid en Afrque du Sud. Et ce n’est pas une jolie sensation. Et je joue beaucoup avec ça dans la pièce où je fais demander au public qui a ses papiers.
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